CHAPITRE 4 – Les Ombrenyths
Le fracas des armes résonnait à travers les Terres Fracturées. Sous un ciel zébré d’éclairs magiques, chaque instant semblait arracher un morceau de lumière à ce monde plongé dans l’obscurité. Les Ombrenyths, créatures d’ombre incarnée, s’élançaient avec une férocité bestiale. Leurs corps tordus, faits de chair sombre et palpitante, défiaient les formes naturelles. Chaque coup porté tranchait une matière étrange, une chair mouvante, malléable, mais bien réelle, qui se régénérait lentement, comme si elle refusait de mourir.
Edric, au centre de l’affrontement, pivotait avec une précision acharnée. Son épée fendait l’air, coupant des Ombrenyths qui s’approchaient trop près. Malgré la sueur qui perlait sur son front, le froid ambiant mordant sa peau, il ne laissait rien transparaître d’autre qu’une concentration glaciale.
— Elles reviennent encore et encore…, grogna-t-il en parant une attaque qui manqua de le déséquilibrer.
Au-dessus du chaos, Vaelthar, son dragon noir, était une vision imposante. Ses ailes massives battaient l’air, projetant des gerbes de flammes noires qui illuminaient brièvement le champ de bataille. Les Ombrenyths reculaient sous cette chaleur intense, mais à peine une fraction de seconde. Attirées par la magie qui émanait des failles, elles revenaient sans relâche, plus nombreuses, plus audacieuses.
Kaelen, haletant et visiblement épuisé, se précipita aux côtés d’Edric. Ses épaules étaient trempées de sueur malgré l’air glacial, et son épée dégoulinait d’une substance noire et visqueuse qui s’évaporait lentement, laissant un résidu cendré sur la lame.
— Je crois que je vois ce qu’elle veut dire ! cria-t-il en pointant du doigt une fissure plus grande que les autres, dont la lumière bleutée pulsait comme un cœur vivant. Là-bas !
Edric tourna la tête, ses yeux gris se fixant sur la faille. Une énergie presque tangible en émanait, rendant l’air plus lourd et oppressant. Malgré la fatigue qui lui alourdissait les membres, il serra son épée avec plus de force.
— Avec moi ! ordonna-t-il d’un ton tranchant. Les autres, couvrez nos arrières !
Vaelthar, perché non loin, émit un grondement approbateur, projetant une langue de flammes vers un groupe d’Ombrenyths qui tentaient de contourner la ligne de défense. Le groupe, obéissant aux ordres, formèrent un cercle protecteur, abattant leurs épées et lances sur les créatures qui les encerclaient.
Edric et Kaelen s’élancèrent vers la faille, leurs pas rapides mais lourds sur le sol jonché de débris et de cendres. Les Ombrenyths, conscientes du danger, semblaient concentrer leurs attaques sur eux. L’une d’entre elles, plus rapide, jaillit devant Kaelen, ses membres déformés s’étirant comme des griffes pour l’atteindre.
— Attention ! hurla Edric, pivotant pour abattre son épée sur la créature.
Le coup fendit l’air avec un sifflement, frappant l’Ombrenyth en pleine tête. Sa chair sombre éclata sous l’impact, projetant une gerbe de matière visqueuse, mais les lambeaux commencèrent à se rassembler, animés par une force monstrueuse.
— Elles sont infatigables, ces saletés ! grogna Kaelen, essuyant la sueur de son front d’un revers de gant.
— Ignore-les autant que possible ! La faille est leur source ! répliqua Edric, sa voix tendue mais déterminée.
Chaque pas semblait plus difficile à mesure qu’ils approchaient. L’air autour d’eux devenait lourd, saturé d’une énergie oppressante. Edric pouvait sentir ses muscles protester, ses mouvements ralentis comme s’il avançait dans une marée invisible.
Une Ombrenyth jaillit brusquement sur sa droite, ses membres distordus projetés comme des lames. Il para de justesse, mais la griffe effleura sa cuirasse et entailla son flanc gauche dans une gerbe de douleur brûlante. Il vacilla d’un pas, les dents serrées, le souffle court, mais ne ralentit pas. La faille était trop proche. Le temps, trop court.
La fissure s’étendait devant eux, large et béante, illuminée d’une lumière bleutée qui pulsait comme un battement de cœur. Chaque pulsation projetait des ombres mouvantes sur leurs visages, accentuant l’intensité de la scène.
— C’est ici, pas vrai ? demanda Kaelen, son ton trahissant une pointe d’appréhension.
Edric hocha la tête, son regard fixé sur la faille.
— Oui. Si on peut la sceller, on affaiblira ces choses… peut-être même les détruire.
Kaelen se positionna à ses côtés, levant son épée pour se tenir prêt.
— Fais ce que tu dois faire. Je te couvre.
Edric inspira profondément, serrant son épée avec une force renouvelée malgré la fatigue. La lame semblait vibrer dans sa main, comme si elle ressentait elle aussi la puissance de la faille.
— Kaelen, garde-les loin de moi, quoi qu’il arrive ! ordonna-t-il d’une voix rauque.
Kaelen répondit d’un signe de tête, pivotant pour repousser un Ombrenyth qui s’élançait vers eux.
Edric leva son épée, chaque muscle de son corps tendu à l’extrême. La lumière de la faille pulsait plus fort, comme si elle sentait qu’il s’apprêtait à agir. Avec un cri guttural, il abattit sa lame directement dans la faille. Le sol trembla sous l’impact, une onde de choc se propageant dans toutes les directions. La lueur bleutée de la faille vacilla, son énergie semblant momentanément perturbée, mais elle ne céda pas complètement. Les Ombrenyths alentour hurlèrent, leurs formes se tordant, mais ils commençaient déjà à se reformer.
— Ce n'est pas suffisant ! » haleta Saryn, s'avançant malgré l'épuisement visible sur ses traits.
— Edric, Kaelen, couvrez-moi ! Je vais tenter de la refermer ! Ce sceau demande une concentration absolue. »
Des runes complexes, d'un argent pur, se mirent à luire autour de ses mains tendues. Une énergie intense jaillit vers la fissure béante. D'abord argentée, pure, c'était sa propre magie qui répondait à son appel. Mais elle sentit aussitôt que ce ne serait pas assez. Par désespoir, elle puisa plus profondément, touchant à une autre source en elle, plus sombre, plus avide. La Voix répondit. La lumière vira soudain écarlate profond, presque douloureux à regarder – une magie brute, primordiale, qu'Edric ne lui connaissait pas et qui semblait la consumer de l'intérieur.
On aurait dit que la terre elle-même résistait, se convulsant sous l'assaut de cette puissance. Puis, lentement, la pulsation menaçante de la faille diminua, se rétracta sur elle-même jusqu'à n'être plus qu'une cicatrice noire et fumante à la surface du sol.
Les Ombrenyths qui avaient été repoussés hurlèrent, et la plupart commencèrent à se dissiper comme une brume au soleil. Mais Edric, le regard fixé sur la scène, fronça les sourcils. Il remarqua une chose étrange : deux des créatures, les plus proches de l'endroit où se tenait Saryn, ne s'étaient pas affaiblies. Au contraire, pendant une fraction de seconde, leur ombre avait paru se densifier, absorber la lumière résiduelle de son sort avant de s'évanouir dans les ténèbres.
Saryn chancela violemment, une fine suie noire maculant ses lèvres, et des veines sombres parcoururent brièvement ses bras avant de s'estomper. Elle dut s'appuyer un instant sur son bâton pour ne pas tomber.
— Ce n'était pas... pur, haleta-t-elle en direction d'Edric, plus pour elle-même que pour lui. La Flamme... elle leur a parlé.
— Pour celle-ci... c'est fait, murmura-t-elle, la voix brisée par l’effort. Alors qu’ils pensaient avoir gagné un répit, un rugissement guttural et inhumain retentit derrière eux. Une Ombrenyth gigantesque, plus dense et plus imposante, surgit, son corps déformé émettant une lumière sombre. Ses mouvements étaient plus rapides, plus déterminés, et son regard semblait fixé sur Edric.
— Ce n’est pas vrai ! grogna Kaelen, se plaçant entre la créature et Edric.
Vaelthar, dans un mouvement gracieux mais brutal, atterrit devant eux, ses ailes déployées comme un mur protecteur. Il projeta une colonne de flammes noires vers la créature, mais cette dernière absorba une partie de l’énergie, son corps se gonflant davantage.
— Attaquons ensemble ! hurla Edric, levant son é p é e à nouveau, prêt à se battre jusqu’au bout.
Saryn, bien qu'épuisée par le scellement de la faille, serra les dents. Elle sentait le contrecoup de l'énergie écarlate, mais face à cette nouvelle menace, elle puisa dans ses réserves. Ses mains, tendues vers le ciel, tremblaient encore, mais elle parvint à tracer un dernier cercle de runes dans l’air. La lumière argentée éclata dans une explosion, formant une cage lumineuse autour de la créature.
— Maintenant, Edric ! Frappe ! cria-t-elle, sa voix tendue mais résolue.
Saryn, après avoir maintenu la cage d'argent, s'effondra réellement à genoux cette fois, la dernière étincelle de sa force magique visible l'ayant quittée. Les veines sombres étaient plus prononcées sur ses bras et la suie sur ses lèvres plus marquée.
Edric, encore à terre, l’observait. Pas avec admiration.
Mais avec cette peur instinctive qu’on ressent face à un feu qu’on croyait éteint… et qui commence à parler.
Lorsque le dernier écho s’éteignit, le silence retomba, lourd et pesant. Kaelen s’appuya sur son épée, haletant, tandis qu’Edric retirait lentement sa lame du sol.
Un frisson le parcourut lorsqu’il sentit un liquide tiède glisser le long de ses côtes. Il porta une main à son flanc, ses doigts revinrent poisseux, tachés d’un mélange de sang et de suie. La douleur était vive, mais contenue… pour l’instant.
Mais tous savaient que ce n’était que le début d’un combat bien plus vaste.
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