Prologue - 2

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  À la fin de son récit, ses pleurs emplissaient le silence de la clarière. L'inconnu, qui ne l'avait pas interrompu une seule fois, attendit que ses sanglots cessent avant de parler.

  –La vie n'a pas été tendre avec toi, ma fille. Personne ne peut t'en vouloir de chercher à y mettre un terme et trouver du réconfort dans le royaume de Zirka. Cependant, si elle n'a pas été tendre, la vie ne t'a pas abandonnée. Derrière les ténèbres de ton présent luit ton avenir. Un avenir magnifique et débordant de bonheur.

  –Je m'en moque. Je ne peux plus le supporter. S'il vous plaît, laissez-moi rejoindre ma famille.

  –Si c'est une famille que tu désires, elle te sera accordée.

  –Avec ce monstre ? s'horrifia-t-elle.

  –Non. Pas avec lui... (Le regard de l’être se perdit dans le lointain.) Un jour viendra où l'un des tiens sortira de l'ombre. Il t'arrachera des griffes de ton bourreau, te vengera et t'aidera à enfin connaître ce bonheur qui t'a été si longtemps refusé. Il te faut juste te battre jusqu'à son arrivé.

  –L... L'un des miens ? Nous... Nous n'avons pas tous disparu ?

  L'expression de son interlocuteur changea ; un voile de tristesse terni son regard et son sourire.

  –Ne te tiens-tu pas devant moi, ma fille ?

  La jeune femme fondit à nouveau en larmes. Ainsi elle n'était pas seule ? Si elle avait la force de tenir... Non... elle n'en avait plus. En outre, quand le monstre apprendrait sa fugue...

  –Il n'en saura rien, affirma l'être. Personne n'en aura jamais vent. Et car de nombreux jours sombres te séparent encore de cette vie, voilà de quoi t'aider.

  Il apposa ses lèvres sur son front. Une nouvelle vague de chaleur, semblable à la première, se déversa en elle. Mais cette fois, elle ne s'éteignit pas lorsqu'il s'éloigna. Quand elle lui demanda ce dont il s'agissait, il lui répondit simplement que c'était un don qui l'aiderait à supporter ce qui l'attendait. Puis, sur ses mots, il se releva et se détourna.

  –A... attendez ! paniqua la jeune femme. (Alors qu'il allait s'éloigner, il se retourna pour lui faire face.) Que... Que puis-je faire pour vous remercier ?

  Un sourire tout aussi triste qu'avant souleva encore ses lèvres.

  –Promets-moi seulement de ne pas abandonner.

  Elle ne sut que répondre. Elle aurait aimé le faire, mais ne voulait pas lui mentir, puisqu'elle ignorait ce qui l'attendait. Le bonheur que lui promettait cet être mystérieux valait-il la peine d'endurer encore le monstre qui l'avait fait sienne ? Elle avait tant souffert qu'elle ne se souvenait même plus de ce que cela signifiait d'être heureuse. Aimée.

  Alors, elle lui demanda de lui montrer, de réparer son cœur devenu poussière, de lui rendre l'envie de vivre, et il s'exécuta.

  Quand il y fut parvenu, il lui demanda à nouveau de promettre de ne pas abandonner et cette fois, elle le fit. Il s'écarta aussitôt d'elle et se rhabilla. Mais au lieu de partir sans mot dire, comme elle s'y attendait, il se tourna une dernière fois vers elle et referma la main dans l'espace entre eux. Ce fut presque instantané, mais à mesure que ses doigts se repliaient une fine tige en or se matérialisa au creux de sa paume et il s'en saisit au lieu de refermer sa main sur le vide. À l'extrémité haute de cette apparition jaillirent des pétales, qui se déployèrent en couronne, puis d'autre, plus larges, se formèrent à leur tour, se rassemblant dans une magnifique corolle.

  L'être tendit la fleur à la jeune femme.

  –Pour que tu n'oublies jamais notre rencontre et que tu n'oublies pas ce pour quoi tu te bas, Asteria.

  Hébétée, la jeune femme se saisit de son présent, une parfaite réplique d'une reine de la nuit, puis releva les yeux pour dévisager son amant, à qui elle n'avait pas révélé son nom, avant de revenir à son cadeau.

  Une fleur en or

  Quand elle releva la tête, il avait disparu.

  Et neuf mois plus tard, ses sanglots se mêlèrent à au premier cris de la vie.

  Des cheveux pareils à des fils d'or, des yeux abritant des océans si vastes que l'on pouvait se noyer si on les observait trop longtemps, peut-être même une infime nitescence qu'elle sembla être la seule à voir... Elle qui avait été tourmenté par l'incertitude durant toute sa grossesse faillit mourir joie à la vue de ces traits. Elle savait toutefois qu'elle ne pouvait garder cet enfant à ses côtés. Comme elle, le roi possédait une chevelure sombre. Jamais elle ne pourrait faire passer ce garçon pour le sien. Il le ferait exécuter. Aussi confia-t-elle son fils à une accoucheuse, à qui elle donna aussi la reine de la nuit.

  –Pour qu'il ne manque de rien, murmura-t-elle.

  La femme hocha la tête, puis s'en alla avec l'enfant. Le monstre pénétra dans la chambre peu de temps après. Lorsqu'Asteria lui expliqua que le bébé était mort-né, il entra dans une telle colère qu'il ressortit de la pièce en la laissant presque morte. Seul le don de son amant lui permit de survivre.

  Mais les années passant, la volonté d'Asteria recommença à flancher. Son fils était en vie quelques part et cela lui suffisait. Alors, un jour que le roi la frappait encore une fois pour la stérilité de leur mariage, elle fit quelque chose qu'elle n'avait jamais fait en vingt-cinq ans : elle l'accusa d'en être à l'origine.

  Fou de rage, il se jeta sur elle, refermant ses doigts autour de sa gorge. Il la serra si fort qu’Asteria ne tarda pas à manquer d’air. Elle commençait à se sentir partir et accueillait cette sensation avec le sourire lorsque la porte de la chambre royale fut arrachée de ses gonds. Le roi lâcha Astéria, qui revint à la vie dans une violente quinte de toux. Elle toussa si fort qu'il lui fallut un instant pour distinguer l'homme qui se tenait dans le chambranle. Elle en reperdit à nouveau son souffle.

  Cette blondeur, cette carrure, cette nitescence... L'espace d'un instant elle crut que son ancien amant était revenu pour l'arracher des ténèbres.

  Mais l'homme avait une chevelure bien trop longue, des traits trop jeunes et des yeux brûlant d'une rage que seul un enfant est capable de ressentir envers ceux qui osent toucher la femme qui l'a porté en son sein et a tout sacrifié pour assurer son bonheur.

  Épée à la main, le fils d'Asteria se jeta sur le monstre.

  Le combat fut vite terminé. Vitesse, agilité, maîtrise, détermination... Le bâtard le surpassait en tout et le terrassa en quelques secondes.

  De longues batailles devaient encore être menées pour libérer le pays des partisans du monstre, mais à l'instant où Asteria referma ses bras autour de son fils, tout le reste n'eut soudain plus aucune importance. Après tant de souffrances, la simple sensation de ce jeune homme contre son sein, cet enfant qu'elle n'avait même pas eu le temps de tenir le jour de sa naissance, la submergeait. En larmes, elle voulut l'appeler pour s'assurer qu'elle ne rêvait pas, qu'il était bien là, et se rendit compte qu'il lui était si inconnu qu'elle ignorait cette information capitale.

  Le garçon, plein de sollicitudes, s'empressa de la rassurer.

  –Je n'ai pas encore de nom, mère. Vous avez tant donné pour moi que je voulais vous en laissez l’honneur, comme vous auriez dû le faire si vous n'aviez pas été forcée à m'envoyer loin de vous pour me protéger.

  Asteria pleura de plus belle et entre deux sanglots, lui donna le nom de Eneko, l'étincelle qui chasse les ténèbres.

  Le jeune homme vécut à la hauteur de ce nom. Tel un feu naissant, il chassa l'obscurité qui s'était enraciné dans leur royaume, raviva l'éclat du royaume en le nourrissant du sien lorsqu'il monta sur le trône et restaura sa grandeur, puis l'aida à briller durant toutes les années de son règne juste et prospère.

  Asteria fut présente à chacune de ses étapes, atteignant un âge surpassant de loin celui qu'une personne de son espèce pouvait espérer atteindre. Comme si la vie cherchait à compenser toutes ses années de souffrance par ce bonheur indicible de voir son fils flamboyé et sa lumière se propager à ses propres enfants, puis petits-enfants.

  Elle finit par s'en aller dans les bras d'Eneko et le sourire aux lèvres, peu de temps avant que celui-ci ne la suivît dans l'Outremonde.

  Juste avant qu'il ne rendît son dernier souffle, il plongea son regard dans celui de son aînée, si semblable aux sien.

  –Honore-la en régnant comme j'ai régné, ma fille, et transmets cet ordre à ton fils lorsque tu t'éteindras à ton tour. Mère a trop souffert pour voir l'un des siens devenir le monstre dont je l'ai libéré et je maudis celui qui laissera la puissance de notre sang éveiller son arrogance, sa cupidité et sa cruauté. Jusque dans les profondeurs du Brasier je le traquerais pour le lui faire payer.

  L'héritière du trône hocha la tête avec solennité et elle respecta sa promesse sans faillir, tout comme son fils après elle.

  Et il en fut ainsi, génération après génération, jusqu'au jour où, dans un éclair, le pays fut réduit en cendres.

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