Chapitre 7-2 : Cérémonie

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  Un enfant de chœur ouvrait la marche, balançant au rythme de ses pas un encensoir d'où s'échappaient des veloutes de fumées. Une vingtaine de servants de cérémonie le suivaient, les bras croisés au niveau de leur poitrine. Les sept grandes-prêtresses leur succédèrent, drapées au couleur de leur déité. Toute de noir vêtue, la Mère Entière, la grande-prêtresse de Zirka, refermait la marche de leur cortège, encadrée par deux filles de chœur qui soutenaient un coussin sur lequel reposait la couronne de la reine pour la première et une coupole rempli d'un liquide doré pour la seconde.

  Puis le claironnement changea ; un orchestre et l'orgue se joignirent au chant des cors et l'hymne du Wiegerwäld se déploya dans l'ensemble de l'édifice afin d'accueillir la famille royale au grand complet. La reine-mère, les princes et princesses et leur conjoints, les enfants de ces derniers... Tous parés de leur plus beaux atours et coiffés de couronne ou diadème proclamant leur statut, ils s'avancèrent dans la nef au rythme de l'hymne. Derrière eux, leur marraine leur emboîtait le pas, volant ou marchant au gré de leur envie.

  Alors que tous les invités s'inclinaient sur leur passage, la vue de toutes ces têtes couronnées et de ces Tirnaniennes ébranla l'état second dans lequel le début de la procession avait plongé Ric. Toute la rancune qu'il avait refoulé à son arrivée dans le domaine commença à raffluer. Leurs traits se brouillèrent, leur nom se dissipa. Très vite, ils se transformaient en une seule et même entité...

  Mais avant que le ressentiment ne s'emparât de lui, il la vit.

  Son Altesse Rajani.

  Sa simple présence détonnait au milieu de la procession. Afin d'honorer son royaume matrimonial, elle revêtait une splendide tenue wiegerwäldienne en brocard vert royal, ornée de pierreries et de passementeries dorés. Un corsage cintré, au col droit et au manches en cloches tailladées, soulignait sa grossesse avancée et laissaient entrapercevoir les manches blanches de sa chemise. Ces dernières bouffaient, bien visible, au niveau de ses coudes, avant de disparaître sous les sur-manches qui recouvraient ses avant-bras. Sa lourde jupe ouverte sur des jupons plus clair, tirant sur l'émeraude, s'étendaient sur plusieurs mètres derrières elle. Le reste de sa toilette, en revanche, se composait d'éléments purement khilakais, son pays natal : un dupatta accordé à sa mise recouvrait sa sombre chevelure qui retombait librement sur son épaule gauche ; un tikka reposait contre son front ; un nath lui perçait le nez de son grand anneau et l’oreille de sa lourde boucle ; de larges bracelets enserraient ses poignets, retombant sur le haut de ses mains et dissimulant avec ses sur-manches une partie du henné qui ornait sa peau cuivré depuis le bout de ses doigts jusqu'à son coude.

  S'ils ne portaient aucun symbole soulignant leur sang à moitié khilakais, ses quatre enfants, qui lui emboîtaient le pas avec tout autant de solennité, présentaient tous avec fierté une déclinaison plus ou moins prononcés de cette carnation mate. Même la cadette de tout juste trois ans, que sa marraine fée tenait par la main, affichait cette expression bien trop sérieuse pour une petite fille de son âge.

  S'ensuivaient six des sept grand-prêtres qui, à l'instar de leurs consœurs, revêtaient les couleurs de leur dieu, suivi d’une nouvelle vingtaine de servants de messe. Puis la musique changea encore, gagna en intensité, et ils entrèrent.

  Le Père Suprême, Grand-Prêtre parmi les grands-prêtres, entouré de trois garçons de cérémonie portant qui la couronne du roi, qui une coupole remplie de liquide doré, qui le sceptre

  Et enfin, la dernière silhouette qui se découpait dans le cadre du portail, celle qui allait refermer la marche, s'engagea à son tour.

  À la lumière du soleil qui emplissait l'édifice à travers les vitraux, sa chevelure aussi sombre que le plumage d'un corbeau se parait d'un manteau de reflets irisés. Une veste en brocard vert royal et orné de passementeries d'or, identique à celui de son épouse, ceignait son buste puissant. Un gorgerin en or, gravé des armoiries des Guldegriffritter, enserrait son cou. Le galon doré longeant son pantalon albâtre soulignait ses jambes élancées. Des gants ivoirins recouvraient ses mains. Malgré l'intensité de l'hymne, Ric avait l'impression d'entendre les épées à sa taille cliqueter à chacun de ses pas, ainsi que le bruissement de sa cape. Cette dernière, joyaux du trésor royal, recouvrait ses vastes épaules d'un plumage doré, élargissant celle de gauche d’une simple spalière en or et celle de droite d’une tête de griffon hurlant forgée dans le même métal. Puis, dans un lourd drapé de velours doré bordé de fourrure ocre, elle chutait jusqu'au sol et ondulait à chacun de ses pas.

  Ric avait du mal à respirer.

  Jamais Éleuthère ne lui avait paru aussi majestueux.

  Même sans cette tenue, n'importe qui l'aurait vu pour qui il était : le port noble, le regard droit, brûlant d'intensité, et la démarche franche, inébranlable en dépit de la lourdeur de son ensemble et des milliers d'yeux posés sur lui, il avançait, tel le roi en devenir qu'il était.

  Alors que le début du cortège s'était déjà déployé devant le chœur, l'hymne gagna encore en puissance à mesure que le futur souverain s'en approchait. Elle atteignit son point culminant à l'instant où le Père Suprême referma la ligne, le dauphin à cinq pas de lui. Celui-ci s'arrêta. Au même instant, l'orchestre se tut et tous posèrent un genou à terre, un poing sur le cœur et la tête baissée, tel un seul homme. L'espace d'un instant, personne ne bougea. Tout était si immobile, si silencieux que le temps lui-même semblait s'être arrêté. Combien de temps restèrent-ils ainsi ? Quelques secondes ? Plusieurs minutes ? Ric n’en avait pas la moindre idée, mais quand, d'un même mouvement, tous se relevèrent à l'exception d'Éleuthère, il se rendit compte qu'il avait cessé de respirer tout du long et il prit une si grande inspiration qu'il eut l'impression d'avoir manqué d'air depuis des heures.

  Depuis les extrémités de la ligne, les enfants de chœur, religieux et membres de la famille royale gagnèrent leur place dans les stalles de part et d'autre du chœur. Parmi les grands-prêtres et grandes-prêtresses, seul le Père Suprême resta debout. Dans un murmure d'aube qui résonna dans la cathédrale silencieuse, il se plaça devant la cathèdre. Éleuthère n'avait toujours pas bougé. Et il ne bougea toujours pas tandis que le grand-prêtre de Lumen ouvrait la cérémonie de son intronisation.

  Les premières louanges furent prononcées, puis, un à un, les grandes-prêtresses et grands-prêtres s'avancèrent pour lire un texte sacré. La chorale ponctuait chaque lecture d'un chant dédié à la divinité concernée et de long temps de prières étaient observés. Puis l'archiviste royale fut invitée à la cathèdre, pour rapporter l'illustre histoire de Fritz Weiss, père de la lignée des Guldegrifferitter ; ce simple écuyer devenu roi après avoir sauvé le royaume d’un nachtkrapp titanesque qui avait plongé près de la moitié du pays dans une nuit sans fin des mois durant. Non seulement le jeune homme avait triomphé là où tous les plus grands avaient échoué, mais, surtout, il y était parvenu en chevauchant un griffon doré, une créature connue pour préférer la mort que de laisser quiconque les monter. À son récit s'enchaîna celui de ses plus illustres héritiers qui avaient rappelé, chacun à leur façon, que les dieux étaient derrière leur famille et leur règne, légitime.

  –Et aujourd'hui, reprit le Père Suprême, par leur grâce, nous sommes invités à assister à l'ascension d'un nouveau roi qui, peut-être, s'élèvera auprès de ces grands noms.

  Son regard se posa sur Éleuthère, toujours agenouillé, la tête baissée et une main sur le cœur. Il était resté si immobile durant toute la première partie de la cérémonie qu'on l'eût pu croire changer en statue.

  –Votre Altesse, l’appela l'officiant.

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