Chapitre 7-4 : Cérémonie

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  Ric se figea, puis releva vivement la tête. Un éclat de rire, semblable au plus fin des carillons, retentit, le guidant droit à la propriétaire de cette voix cristalline : une pixie à la chevelure et aux ailes d'argent qu'il ne connaissait que trop bien.

  Puck.

  Un immense sourire fendait le visage de l'intéressée.

  –Allons, Thébaldéric, pourquoi me fixes-tu comme si tu voyais un fantôme ? Tu ne pensais tout de même pas pouvoir vraiment venir ici sans que je te...

  Avec une seconde de retard, le ton débordant de condescendance moqueuse qu’elle employait, ce ton qu'elle avait toujours utilisé lorsqu'elle s'adressait à lui, arracha Ric à sa stupeur. L'air choqué qui lui avait échappé le déserta, sa mâchoire se verrouilla et il planta la Tírnanienne sans attendre la fin de sa tirade.

  Par tous les dieux, comment avait-il pu être si stupide ! Ne pas garder un œil sur elle et toutes les autres marraines... Ne pas la sentir approcher... À croire qu'il avait voulu qu’elle le trouvât !

  –Eh, tu ne peux pas me quitter comme ça ! s'indigna faussement Puck en le suivant. Ta présence illumine cette journée. Elle s'annonçait barbante au possible, mais quand Emerantiana saura que tu es là...

  Son intonation suffit à indiquer à Ric que son rictus s'accentuait. Il se mit à courir, le bruissement feutré de ses semelles étouffés par le morceau de l'orchestre, les acclamations de la foule et les battements bien trop rapides de son pouls. Puck pouvait prévenir sa filleule en quelques secondes. S'il n'avait pas quitté la cathédrale avant...

  La porte du clocher s'ouvrit soudain face à lui et trois soldats apparurent. Ric et son cœur se stoppèrent net.

  –Oooooh, s'exclama Puck en portant une minuscule main à ses lèvres en forme de O parfait. Je crois que je me suis mal exprimé. J'aurais dû dire : « mais maintenant qu’Emerantiana sait que tu es là... ».  

  Alors que le premier garde s'engageait sur la coursive, Ric sentit l'air lui manquer. La cathédrale, pourtant si vaste, semblait soudain se refermer sur lui, l'écraser. Son regard sauta des hommes en uniformes, à la nef et la foule en contrebas, avant de terminer sur la pixie.

  –Ne faites pas cela, Puck.

  Une expression victorieuse dissimulant à peine la satisfaction malsaine qui l'accompagnait éclaira furtivement le visage de la Tírnanienne avant d'être remplacé par une moue peinée des plus sur-jouée.

  –J'ai bien peur qu'il ne soit trop tard, mon cher. L'ordre vient de la reine-mère ; je n'ai pas l'autorité de la contredire.

  –Mais vous pouvez les retenir, contra Ric d'une voix bien trop posée pour son état. Juste le temps que je parte.

  Elle haussa un sourcil circonspect.

  –Et pourquoi ferais-je cela alors que j'ai personnellement contribué à cette situation ?

  –Car il s'agit du sacre d'Éleuthère. Il ne peut pas commencer son règne sur un scandale.

  Avec un soupir exaspéré, Puck croisa ses petits bras sur sa minuscule poitrine et sembla considérer sa demande. Ric jeta un bref coup d'œil aux soldats, désormais à mi-chemin de lui.

  –Puck..., la pressa-t-il.

  –Une seconde, je réfléchis.

  –Je n'ai pas une...

  Ric laissa mourir le reste de sa phrase et ferma les yeux, de nouveau écœuré par sa propre ganacherie. Comment avait-il pu croire qu'évoquer Éleuthère changerait quelque chose ? Les Tírnaniennes n'aimaient rien de plus que se divertir. Alors quoi de mieux qu'un scandale le jour d'un sacre, au lieu d'un énième couronnement identique à tous ceux qui l'avaient précédé ? Puck venait elle-même de dire que sa présence éclairait sa journée.

  Lorsqu'il rouvrit les yeux, son ressentiment coincé en travers de la gorge pour ne pas donner plus de satisfaction à la pixie, cette dernière avait laissé tomber le masque et lui souriait de toutes ses petites dents.

  –Moi qui commençais à croire que tu avais perdu la main après dix ans loin de nous... Je suis contente de voir que ce n'est pas le cas ; c'est bien plus stimulant.

  Ric ne lui offrit aucune réaction. Il ne réagit pas plus quand son sourire s'agrandit malgré tout, ni quand elle fusa vers lui, ni quand il sentit ses lèvres froides frôler sa joue dans un baiser aussi léger que fugace.

  –Si tu savais comme tu m'avais manqué, Thébaldéric, susurra-t-elle à son oreille.

  Puis elle repartit à tire-d’aile en gloussant, sûrement à la recherche de la meilleure place pour admirer le scandale à venir. Ric reporta aussitôt son attention sur les trois soldats à quelques mètres de lui. Il percevait aussi la présence d'autres hommes dans son dos. À moins de causer du grabuge ou de sauter dans la nef, et donc de créer une tout autre sorte de scandale, il n'avait aucun moyen de se sortir de cette embuscade.

  –Monsieur ? l'interpella l'un des soldats, le plus gradé d'après ses insignes. Sa Majesté Emerantiana nous a demandé de vous conduire à elle alors je vous prierais de bien vouloir me suivre. Avez-vous des armes ?

  Était-ce plus fort que lui ou cet homme ne tenta-t-il simplement pas de dissimuler ses sentiments ? Sa voix, tout comme son regard, suintait la répugnance et le mépris. Comme si Ric n'était qu'un manant qui se serait trouvé sur sa route pavée de marbre et bordée de bosquets fleuris. Un déchet qui n'aurait jamais dû fouler le même sol, ni respirer le même air que lui.

  Une expression reprise par les deux hommes derrière l'officier et probablement par ceux dans le dos de Ric.

  Pour toute réponse, Ric continua d'afficher un visage de marbre. Mais si son corps refusait de trahir son malaise, il n'en était pas moins secoué. Cela faisait si longtemps que personnes ne l'avait rabaissé d'un simple regard qu'il avait l'impression d'être revenu dix ans en arrière, que ce dégoût viscéral était la seule chose qu'il pouvait inspirer aux autres. Le vieux besoin de s'y soustraire lui donna envie de se replier sur lui-même, de se faire aussi petit que possible. Et il n'était qu'une demi-douzaine, pour le moment. Une fois qu'ils l'auraient escorté hors de l'édifice, au cœur des invités...

  L'impression qu'un fléau refermait ses crocs autour de sa gorge le prit aux tripes.

  Puck ne s'était pas fourvoyée. Cela faisait trop longtemps qu'il était parti. Il ne pouvait plus supporter le mépris, la répulsion et la haine comme il l'avait fait autrefois. Plus depuis qu’il avait compris qu'elles étaient légitimes. Cette perspective le rendit si nauséeux que pendant une seconde, il envisagea vraiment de sauter dans la nef afin de s'échapper. Dans tous les cas, un scandale allait éclater, alors pourquoi ne pas opter pour celui qui aurait le moins de répercussions pour lui ?

  –Monsieur ? insista le soldat.

  Non... Même s'il sautait, il ne parviendrait pas à fuir. D'autres soldats, en bas, s'empresserait de l'arrêter. Puck et les autres marraines ne le laisseraient pas non plus s'en tirer à s'y bon compte. En résumé, toute tentative de fuite ne ferait que renforcer le scandale à venir, rendre ce sacre encore plus mémorable.

  –J'ai le droit d'être ici, tenta-t-il en désespoir de cause.

  Avec des gestes lents qui ne seraient pas pris pour une menace, il produisit l'invitation de sa poche. L'officier la prit avec méfiance, puis l'analysa tout en gardant Ric à l'œil. Lorsqu'il la replia et la rangea dans sa propre poche, Ric sut que cela ne changeait rien, ce que le soldat confirma.

  –Sa Majesté décidera de l'importance de cette invitation.

  Résigné, Ric détourna le regard, remit les deux poignards dissimulés dans ses bottes aux soldats et les laissa l'escorter hors de la cathédrale, le plonger aux cœurs des invités, ces spectateurs à la fois acteurs de la scène dramatique sur le point d'être jouée.

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