Chapitre 12-4 : Dilemme

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  –Dans ce cas, je te demande d'accepter l'offre de ton frère. (Ric se figea alors qu'elle serrait les poings sur sa soutane.) Je comprends ta réticence, mon chéri, et si cela ne concernait que toi, je t'aurais conseillé de refuser, car après ce que tu viens de m'avouer, la simple idée que tu remettes les pieds dans cette maudite forêt me donne la nausée. Mais tu n'es pas le seul concerné et vous souffrez depuis si longtemps... Si tu ne te dresses pas pour eux, qui le fera ?

  Les articulations de Ric blanchirent autour de l'apatite, qui se mit à briller.

  –Cependant, poursuivit Brune, j'impose une condition à ton accord : que tu n'y ailles qu'en tant que Ric Jäger, simple chasseur éminent. (Troublé, car cela allait à l'encontre même de l'objectif visé par sa présence, Ric ramena son attention sur sa tante qui lui rendit son regard.) Aucun bénéfice ne ressortirait si ton nom était connu dès le début. Bien au contraire. Des soldats pourraient refuser de t'écouter ; le moindre problème te serait reprocher et si la mission se solde par un échec, tout le monde t'en attribuerait la responsabilité. Et j'ai beau souhaiter de tout mon cœur que votre situation s'améliore, je refuse que cela se fasse à ton détriment.

  Le poids écrasant sur les épaules de Ric diminua brusquement. Il s'était tellement focalisé sur le fait d'accepter ou non qu'il n'avait pas pensé à chercher une alternative qui ne lui donnerait plus l'impression d'avoir un couteau sous la gorge. Mais si ses aînés acceptaient cette option, cela ne le préserverait qu'en cas d'échec. En cas de réussite...

  –Si tout se passe comme Éleuthère et Adalsinde l'espère, cela finira par se retourner contre vous.

  –Bien sûr que non.

  Comme toujours lorsqu'il rappelait sa nature corrompue, le ton de Brune était sec, sans appel. Et pour la première fois, une pointe d'irritation grouilla sous la peau de Ric.

  –Pourquoi refuses-tu obstinément de croire à la possibilité que nous soyons vraiment nocifs ? Tu as vu le nombre de personne qui ont souffert parce qu'ils ont eu la folie de s'attacher à moi ou le malheur de me côtoyer.

  –Et toi, pourquoi refuses-tu obstinément de croire à la possibilité que vous ne soyez pas nocif ? contra-t-elle avec plus de douceur. D'innombrables personnes souffrent et meurent nuit et jour. Penses-tu qu'elles ont toutes été en contact avec un enfant illégitime ? Que votre disparition ferait disparaître tous les malheurs de ce monde ?

  –Non.

  –Alors s'il te plaît, essaye de te voir comme je te vois. Tout le monde est capable du meilleur comme du pire et chaque futur tissé par Tynged comportent son lot de joie et de souffrance. La nature de chacun n'a aucun pouvoir sur cet équilibre. Elle ne nous confie que des cartes, mais libre à nous de les utiliser ou non à bon escient. Et en devenant chasseur, tu as fait bien plus pour ton pays que de nombreux grands de ce royaume. Mais les facultés qui t'ont permis d'endosser ce rôle ne sont pas les seules cartes dont les dieux t'ont dotées.

  Elle leva une main vers lui et, comprenant tout de suite ses intentions, il referma ses doigts sur les siens. Sa tante tressaillit, mais elle ne chercha pas à rabaisser son bras.

  –Tu peux la cacher sous toutes les couches de vêtements que tu souhaites, fuir la cour et changer ton nom, rien ne changera jamais cette facette de ta personne, Thébaldéric.

  Seul le silence lui répondit, alors, après quelques instants, elle recommença à rapprocher sa main de Ric. Même s'il la tenait toujours, il ne lui opposa nulle résistance. Du bout des doigts, elle ne tarda pas à effleurer sa clavicule et se saisit du cordon autour de son cou. Dès qu'elle commença à le soulever, un frisson dévala l'échine de Ric tandis qu'un frottement remontait lentement le long de son sternum. La sensation ne dura pas, mais sa disparition fut pire encore. Cela signifiait que la chevalière qui en était à l'origine n'était plus dissimuler sous sa chemise. Qu'elle était visible au su et vu de tous, de l'or massif qui la composait, au chaton incroyablement travaillé qui représentait un griffon terrassant un nachtkrapp.

  –En tes veines coule le sang des Guldgriffeitter, reprit Brune. La sève qui nourrit le Wiegerwäld. Ta bâtardise t'a peut-être privé du titre de prince auquel il aurait dû te donner droit, mais même elle ne peut te voler le pouvoir de cette essence. Jusqu'à présent, c'est à toi qu'elle a profité, car ton père a pu s'en servir pour te garder à ses côtés, t'offrir une éducation digne de ton sang et te protéger. Aujourd'hui, tu es invité à l'utiliser pour d'autres, mais potentiellement aux détriments du reste de la population. Alors, que vas-tu faire ? Taire ta voix afin de prévenir la majorité du pays d'une menace des plus hypothétiques, alors qu'il serait toujours possible de revenir en arrière le cas échéant ? Ou la déployer afin d'essayer de mettre un terme aux persécutions plus que réelles qui oppressent une minorité depuis des siècles, car malgré ton appréhension, tu sais que toi seul, avec ton sang à la fois royal et bâtard, as l'opportunité de changer les choses ? Quel que soit ton choix, je sais que tu en perdras du sommeil ; tu t'inquiètes bien trop de blesser les autres pour qu'il en soit autrement. Mais lequel des deux t'empêchera le plus de dormir ? Au fond de toi, je pense que tu le sais. Que tu l'as toujours su. Sinon, tu ne serais pas venue me trouver.

  Et sur ces mots, elle le quitta. Ric resta un instant immobile, à contempler la porte derrière laquelle elle avait disparu, encore secoué par tout ce qu'elle venait de lui dire, avant de baisser les yeux sur sa main. Il ignorait quand, mais pendant qu'elle lui parlait, Brunehilde avait déposé sa chevalière au creux de sa paume, juste à côté de l'apatite. L'éclat de la pierre activée creusait les détails de la bague, donnant presque vie aux deux rapaces.

  Un moment passa encore avant que l'apatite ne se mette à vibrer tandis qu'il tapait sa réponse.

  Une pression courte et trois pressions longues, suivies par une pression courte et une pression longue.

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