"La fille et la rue" (Partie III)

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-Ce ne sont pas tes affaires le vieux, l’agressa le plus jeune du trio. Trace ta route, on ne te veut pas de mal.

-Pour tout vous dire, c’est dur de ne pas s’en mêler, vous êtes plantés là au milieu du chemin. Les ruelles sombres, ça n’est pas ce qui manque pourtant, non ?

-On te l’as déjà dit. Ce ne sont pas tes affaires, et je ne veux pas encore trancher une gorge supplémentaire. Va-t-en, par Drhos, supplia le plus vieux du trio.

-Je ne fais que vous donnez des conseils l’ancien. Cela éviterait par exemple que des gens comme moi s’interpose dans votre histoire. Prenez ce que vous voulez à cette jeune fille, mais laissez là partir indemne, je vous le demande.

-Ta demande, tu peux te la carrer là où je pense !

-Vous savez, en temps normal, les injustices ne sont pas mon principal centre d’intérêt. Je les laisse même prospérer, pour ne pas dire que j’en suis le principal instigateur. Mais, en l’occurrence, j’ai l’impression d’être un homme observant une fourmilière. Les fourmis son certes nombreuses, mais l’homme peut leurs ôter la vie d’un simple mouvement. Il ne fait pas parti de leur fourmilière, mais il peut avoir un impact majeur sur celle-ci. Navré, mais dans cette situation particulière, vous êtes les insectes, et je suis l’homme. Pourquoi ? Vous n’avez que des dagues, j’ai une épée. Vous n’avez pas d’expérience – vous peinez à maîtriser une personne à trois contre un -, j’ai déjà chargé une vingtaine de guerriers avec ma lame pour seul compagnon. D’un simple coup de lame, je peux vous transpercer le corps. Alors oui, cela paraît arrogant dit comme ça, mais si vous le désirez, on vérifie ma théorie tout de suite la bande de bras cassé. Ma demande est simple : ne tuez pas cette jeune fille et il n’y aura pas d’effusion de sang.

Alors que le plus vieux maintenait Laha, l’un des hommes de Joba, le plus téméraire, brandit sa dague en direction de Peregrinus, se vantant de vouloir vérifier sa théorie. Son autre compagnon, quant à lui, observa la scène tétanisé par la peur.

A l’opposé, l'homme au masque de fer, dans un doux sifflement aigu, dégaina son épée. La lame semblait encore plus sombre sous les rayons du soleil, tandis que l’améthyste, incrusté au milieu du pommeau, brillait de mille feux. Contre tout attente, il lâcha le manche de l’épée, laissant tomber cette dernière au sol dans un soubresauts ferreux, avant de lui aussi sortir sa dague.

-D’égal à égal, j’apprécie le geste, s’exclama l’homme.

-Ca aurait été un peu trop rapide avec l’épée, un peu d’honneur ne fait pas de mal, pour une fois que je me sens d’esprit chevalresque.

Son adversaire, le visage couvert de cicatrices, chargea en premier, dirigeant son arme vers la poitrine de Peregrinus. Ce dernier para l'attaque en attrapant puis dévia le bras d’arme de l'homme, avant de riposter en lui enfonçant sa lame dans la cuisse. Du sang jaillit et l’homme grommela en tombant à la renverse, sous le poid de la douleur. Comprenant qu'il n'avait que d'infimes chances de victoire, le plus vieux lâcha Laha et rejoignit son autre camarade, déjà loin, en abandonnant le blessé.

Lorsque l’homme libéra la gorge de Laha, ses poumons se gonflèrent instinctivement. Sa vision devint de plus en plus nette, et le voile d’obscurité se dissipa. Ses muscles, eux aussi, répondaient de nouveau. Alors seulement, elle observa l’inconnu. Il nettoyait sa dague couverte de sang à l’aide d’un chiffon blanc, et son épée était de nouveau rengainé à sa ceinture. Puis, il s’approcha de Laha, et dit, d’une voix calme :

-A trois contre un sans arme, tu n’avais que peu de chance, affirma-t-il, mais tu t’es bien battu. Bon, lève-toi, je n’ai pas toute la journée jeune fille.

-Je … merci, s’enquit-elle tout en s’exécutant.

-Il n’y a pas de quoi. Où allais-tu avant cette mésaventure ?

-Vers le centre-ville, pourquoi ?

-Car nous allons au même endroit, puis, ses hommes pourraient revenir se venger. Je t’aurai bien donné ma dague, mais j’y tiens. C’est une femme qui me l’avait donné, une femme comme toi, et elle se battait merveilleusement bien.

-C’est déjà assez gentil de m’être venu en aide, étranger. Je ne mendierais pas pour la dague de ta femme, gloussa-t-elle.

-Ce n’est pas la … enfin, changeons de sujet, avançons.

Ils entamèrent leur marche. Laha jeta un dernier coup d'œil derrière elle afin de vérifier si tous les bandits étaient bien partis, et ils l'étaient, en effet. Le blessé avait semble-t-il rampé jusqu’à la ruelle, imprégnant les pavés de sang dans son sillage.

-Heureusement que tu étais là tout de même, à croire que la bonne déesse Risis veille sur moi, le remercia Laha, une fois de plus.

-C’est normal, enfin non, je n’ai pas l’habitude. Mais j’ai pu me dégourdir les bras au moins. Mais comme ça tu crois en Risis, la déesse de la guerre ? Pourtant c'est plutôt Drhos, celle de l'esprit et le savoir, qui prône à Akkar. J'en déduis donc que tu ne viens pas d'ici, non ? l'interrogea-t-il.

-Bien vu, je viens des empires centraux, plus particulièrement d'un petit village en Enescleysha à proximité de la muraille d'Eleneim.

-Niveau sécurité on a vu mieux. Aux premières loges de la guerre !

-C’est justement ce que tu viens d’évoquer qui m’a fait atterrir ici, cette foutue guerre. (Ses sourcils se froncèrent, et ses yeux brillèrent d’une lueur mêlant tristesse et vengeance). Il y a de cela quelques années, un chef de clan du grand Nord, qui avait selon les rumeurs refusées de se soumettre à la confédération, a pillé mon village et une grande partie du pays avant de disparaître dans la nature, le lâche. J'ai tout perdu, nous n'étions que de simples paysans. Leurs lames ont pris l'âme de mon père et de mon frère ayant pris les armes contre les pilleurs. Comme les femmes n’étaient pas admises sur le champ de batailles à mon plus grand regret, nous avons fui avec ma mère dans la forêt afin de rejoindre la capitale. Mais elle avait été blessée lors de l'attaque par une flèche, ses blessures se sont infectées ... et elle a succombée, dit-elle, la voix pleine de regret. Depuis mes dix ans, j'ère donc dans les rues, de ville en ville, de pays en pays, en quête d'une vie stable et d'une plus vaste richesse qu’un quignon de pain. Mais je te promets que si je retrouve ce chef, je le torturerais jusqu'à la fin des temps.

Peregrinus garda le silence durant quelques secondes avant de répondre.

-Je suis sincèrement désolé pour ta famille, assura l'homme à la façade métallique.

-Ne t’inquiète pas, j'ai eu assez d'années pour faire mon deuil, j'en ai fait une force. Au fait, je ne me suis pas présenté. Je me nomme Laha Andrasta.

-Peregrinus Ogma.

S’en suivit un nouveau silence, heureusement amical, où ils marchèrent calmement le long de la grande avenue. Les quartiers, dans les environs, paraissaient bien plus aisés que ceux des sombres ruelles. Les personnes y résidant, pour la plupart de riches marchands ou inventeurs, jouissaient effectivement d’un certain statut social. La ville, en avance sur son temps, possédait la réputation de regorger de génie en tout genre, précurseur d'avancées technologiques.

D'imposants arbres, valsant au gré du vent, se dressaient tout le long des trottoirs de pierres. Les immeubles, quant à eux, s’habillaient de chapeaux de tuiles noires et de murs en pierres beiges tandis que les gargouilles sur les toits, à l'image des démons des souterrains, semblaient figés dans le temps en menaçant chaque être vivant de leurs regards inquisiteurs.

Le silence, seulement rompu jusqu’alors par le sifflement du vent s'engouffrant entre les branches, disparu lorsqu'un brouhaha tout d'abord sourd et lointain se fit entendre. Il semblait provenir du bout de l’avenue. Une foule criaient de joie tandis qu'une musique, d'aspect celtique et festif, résonnaient en même temps.

-Qu'est-ce donc ? s’enquit alors Peregrinus.

-C'est la fête d'Akkar. Aujourd'hui, nous sommes au premier quart du deuxième erbère, le treizième jour, répondit-elle.

-Par les dieux, j’avais oublié cette maudite fête.

-Pourquoi dire ça ? L’ambiance et la bière est bonne là-bas.

-C’est ce qu’on se dit, puis dès que le soleil se couche, on abuse de la boisson. La dernière fois que je me suis laissé tenter, un gars en rogne est passé par la fenêtre du premier étage, par ma faute.

-Je vois quel genre de personne tu es, gloussa-t-elle. Pour moi, la question est vite résolue : je n’ai même pas de quoi acheter d’alcool.

-Je t’aurais bien payé un verre jeune fille, mais j’ai d’autres chats à fouetter que de faire découvrir les joies de la bière à une personne que je connais depuis à peine une vingtaine de minute. Il faut que je rencontre un marchand du nom de Fedor. Tu ne le connaîtras pas, par hasard ?

-Oh si ! Je lui ai fréquemment rendu des services avant qu’il n’embauche un assistant personnel, malheureusement. Il doit être à l’allée B04 derrière son étable, comme d’habitude.

-Ca me rassure, je craignais qu’il ne soit même plus dans la ville, pour ne pas dire dans un cercueil depuis le temps.

-Ah ! Pour rien au monde le vieux Fedor quitterait son étable, pas même la mort ! Son cercueil lui servira plutôt d’étable. Je peux te mener jusqu’à lui si tu veux, je te dois bien ça.

-Volontiers, ce plus rapide ainsi.

Laha emboîta donc le pas. Au loin, la voie centrale traversant le centre-ville, apparaissait noire de monde, les passants se massant autour de l’animation phare : le cortège de la fête d’Akkar. Ce dernier s’accompagnait en son centre de chariots en bois sculptés à l'effigie du cheval blanc - et tiré par des chevaux blancs -, l’animal symbolique d’Akkar. De temps à autre, des nuages de fumées provenant d'une troupe de cracheur de feu, s'élevaient vers les cieux. Des hommes, quant à eux déguisés en démons des souterrains, portaient des tambours sur lesquels ils frappaient à l'unisson.

De nombreux groupes de gardes patrouillaient dans la zone. A la suite de tensions militaires survenus dans le Nord quelques mois plus tôt, la sécurité avait été doublé par rapport aux autres années. On craignait l’attentat.

Laha, suivit de près par Peregrinus, pénétra finalement dans la foule. Serrée entre les spectateurs, la jeune fille se sentait oppressée et l'oxygène vint à lui manquer. Elle avait horreur de la foule, et par-dessus tout d’être dans la foule. La solitude loin du jugement des passants lui convenait davantage. Heureusement, grâce à sa fine carrure, elle pouvait aisément se tailler un chemin dans cet océan, contrairement à Peregrinus et sa cape s’accrochant à n’importe quel obstacle.

Au bout d'une dizaine de minutes à avancer pas à pas, la foule devint moins dense, le cortège avançant dans une direction opposée.

« Nous y sommes enfin, la place de l’étoile », souffla Laha à Peregrinus.

C’était ici que les grandes avenues de la cité convergeaient. Les immeubles, couvert de dorures et de sculptures, comportaient pour la plupart une boutique à leurs rez-de-chaussée. Quel meilleur lieu pour ouvrir un commerce de luxe ? Les bâtiments de la proche banlieue faisaient pâle figure face à eux.

Au centre de la place, des festivaliers organisaient une danse. Tous se tenaient la main en formant un large cercle, et, dans un remarquable jeu de jambe, effectuaient une chorégraphie dans un large sourire. Au milieu de la ronde, les musiciens, les luthiers et batteurs donnaient le rythme.

Enfin, Laha souffla puis s'assura que son compère l'avait bien suivi en se retournant. Peregrinus lui renvoya alors son regard en s’exclamant, d’une lourde voix afin de braver le brouhaha ambiant :

-Nous y sommes bientôt ?

-Oui, nous devons seulement aller vers les grandes halles.

De nouveau, Laha partit donc en avant. Devant-eux, à un kilomètre, se dressait le fameux marché d'Akkar. Les imposantes constructions d'acier et de verre, décorés par diverses moulures et statues, surplombaient les bâtiments alentours.

Mais soudain, un sourd vacarme, provenant de l’Ouest, retentit. La musique s'arrêta, et les passants ne dirent plus un mot, laissant place à un silence pesant. Quelques secondes passèrent, et la partie droite d’une des halles au loin s'effondra, disparaissant derrière un épais nuage de poussière grise dans un tonnerre aux échos ferreux. Le sol trembla légèrement tandis qu’un trio de gardes patrouillant dans les environs se mit à courir en direction des ruines du marché, alors que la foule s’était transformé en statues de chairs et d’os, tétanisé par ce qui venait de survenir.

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