"Lame contre lame, âme contre âme" (Partie I)

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Anbert balaya furtivement la forêt du regard, à la recherche du moindre mouvement de son ennemi, mais il ne vit rien. Il se rebaissa donc derrière son buisson.

Tout en tentant de deviner la position de sa cible, il frotta son crâne dépourvu de cuir chevelu. Anbert avait compensé ce manque de pilosité en laissant pousser sa grande barbe noire, à laquelle il avait ajouté un anneau. Ses petits yeux noisette, quant à eux, étaient semblable à ceux d'un aigle, perçant et incroyablement précis. C'est notamment pour cet atout que l'arbalète était devenue son arme favorite.

La peau du gaillard était basanée. C’étaient ses origines Sudistes qui le trahissaient. Enfant, il avait en effet grandi sur les terres d'un seigneur de guerre, comme il en existe des centaines dans le Sud, qui se prénommait Aquins. Et comme souvent, pour la plupart des Sudistes, les piliers de son éducation avaient reposé sur la violence et le patriotisme aveuglé. Aquin avait eu pour ambition de transformer les jeunes enfants nées sur ses fiefs en futurs guerriers, prêt à mourir au combat. Après tout, la survie de son petit royaume, en pleine terre hostile, en dépendait.

Mais au plus grand regret de sa famille, qui avait vu en lui un soldat hors-pair, le jeune Anbert avait décidé de fuir son royaume natal dans le but de parcourir librement le monde, sans emprise ou seigneur. Lui, ne finirait pas mort sur un champ de batailles, comme tous ses amis, lui, ne prêterait jamais allégeance à Aquin. La liberté, il la désirait ardemment, mais il n’avait fait que courir après une chimère - et il le savait bien.

La désillusion avait été soudaine lorsqu'il s'était rendu compte qu'il ne pouvait vivre indéfiniment une vie de voyageur itinérant. L’argent ne tombait pas du ciel, et un jour où l’autre, il aurait été à la rue. Aussi, il s'était résigné à faire ce qu'on lui avait toujours appris : tuer d'autres hommes, et il excellait dans ce domaine. Le métier de chasseur de prime lui avaient permit de subvenir à ses besoins, tout en conservant une once de liberté. S’il ne voulait pas remplir une mission, il ne l’acceptait pas, s’il voulait voyager dans le grand Nord, il le faisait. Personne ne le forçait.

Cela faisait maintenant vingt ans qu'il remplissait avec aisance les missions de chasse à l'homme. Le plus souvent, il lui suffisait de pister sa cible durant plusieurs jours, puis de lui coller un carreau d'arbalète par surprise entre les deux orbites, une fois celle-ci retrouvé. Enfin, il n'avait plus qu'à toucher sa prime bien grasse. Entre fratricide pour soucis d'héritage, meurtre de marchands rivaux ou tuerie contre des bandits, il n'en était pas à son premier essai. Anbert était même considéré comme un vétéran dans le domaine, jouissant de quelques réputations locales qu'il laissait dans son sillon.

Il n’avait que faire de la cible, tant que les pièces suivaient. On ne lui avait jamais appris la notion de bien et de mal, seulement la notion d'argent, et ce n'est pas à quarante ans que cela changerait.

Mais aujourd'hui, celui qu'il traquait lui donnait du fil à retordre. Sa tête était mise à prix pour crime et vols commis sous la juridiction des états unifiés d'Esrens. Son nom était Peravranus, ou quelque chose dans le genre. La façon dont il se nommait ne lui importait d'ailleurs que très peu. Ce qu'Anbert cherchait à connaître davantage, c'était le physique de sa cible. Et là, il n'avait pas manqué de preuve.

On le décrivait comme portant un masque de fer et une longue cape au couleur ténébreuse, accompagné d'une grande capuche. Capuche qu'il ne quittait jamais, plongeant son masque dans l'obscurité. Un plastron et des gants métallique couvert d’une huile noire, débordant sur les avants-bras, le protégeait de toute attaque éventuelle. Il avait également de grandes bottes en cuir, allant de pair avec des éperons, et s’armait d’une magnifique épée à la lame sombre.

Mais effectivement, la tâche s'était révélée plus difficile que prévu. Anbert avait raté son tir d'arbalète, et l'homme était seulement tombé de sa monture. A ce moment-là, le grand gaillard avait cru sa cible assommée. Il avait donc ordonné à un de ses deux compagnons de dégainer son couteau de chasse et d'aller trancher la gorge de l'homme, son corps étant inerte et allongé au milieu du chemin.

L’homme avait donc obéi, mais à la seconde ou il s'apprêtait à lui trancher la tête, l'homme au masque de fer avait sorti par surprise une dague avant de la planter dans la poitrine de son bourreau, en plein cœur, qui était tombé, raide mort.

Peregrinus avait fui par la suite dans le bois, et la traque, pimenté par quelques passes d'armes de temps à autres, s’éternisait dans le temps. Anbert ne lâchait pas le morceau tandis que l'homme se défendait avec une aisance surhumaine.

Il avait déjà abandonné une prime au cours du mois, puis ce salaud avait tout de même tué un de ces compagnons - même si ça ne le gênait pas tant que ça -. Il ne pouvait pas abandonner, le prix de la tête de cet individu était bien trop élevé.

Soudain, à quarante mètres devant lui, une branche craqua et une forme noire, au beau milieu de l'obscurité, s'échappa de derrière un tronc d’arbre. Moins d'une seconde après, Anbert décocha un carreau d'arbalète avec une précision mortelle. Mais Peregrinus avait prévu le coup, et, au lieu d'avancer en ligne droite comme l’anticipait le mercenaire, il avait lentement reculé en faisant de nombreux virages, avant de courir une fois le carreau partit.

Agacé par ce nouvel échec, bien trop prévisible pour ses yeux expérimentés, le gaillard secoua son compagnon endormi puis entama son sprint, et tout deux talonnèrent leur proie, enjambant branches ou racines à toute vitesse. Au bout de quelque minute de course acharné, ils s'arrêtèrent de nouveau, à bout de souffle, pour reprendre une position similaire à la précédente.

Alors qu'Anbert profitait du moment de calme afin de réarmer son arbalète, son compagnon, Ten, lui tapa l'épaule et chuchota :

-Ecoute, je vais prendre mon épée et abattre cette raclure Anbert, siffla-t-il, la main sur le manche de bois.

-Non tu n'iras pas plus loin. Tes enfants espèrent encore ton retour prochain à ton logis, rétorqua-t-il sans prendre au sérieux l’annonce de son ami.

-Oui, et ils espèrent que papa ramène de l'argent surtout. Je n'ai plus un sou, et nous ne passerons pas l'hiver. Si le loyer n’est pas payé d’ici la nouvelle saison, nous serons expulsé de notre maison, et mes enfants mourront dans le froid en mendiant de l'argent sur les durs pavés de la ville. J’ai besoin de cette prime, puis cet homme a tué Ayle, c'était un de mes plus grands amis. Navré, je refuse, rétorqua-t-il.

-Par Risis, es-tu devenu fous Ten ? Tu n'as qu'un fauchon. C'est une arme qui certes, frappe fort, mais qui n’a en combat aucune agilité face à son épée bâtarde. La sienne est légère, rapide et tranchante, tandis que ta lame ne vaut pas plus qu'un gourdin en fer ! Ecoute, je pourrais te donner un peu d'argent pour ton loyer. Je t'en conjure, reste ici.

-Tu n'auras pas assez d'argent pour subvenir à tes besoins en plus des miens durant toute la saison.

-Alors je préfère dormir dans les rues en te sachant au chaud avec les tiens.

-Encore une fois, navré, je préfère le sang. Je m'en vais rejoindre mes parents, et Ayle. Tu toucheras pas mal de sous auprès de l'employeur pour ma mort, verse-les à ma famille.

-Je t'en prie, répéta-t-il désespérément, mais c'était trop tard.

Ten dégaina son fauchon dans la pénombre. La lame rouillée, aussi étrange que cela puisse paraître, luisait au clair de lune dans un reflet brun presque éblouissant. Pas à pas, il se dirigea vers sa cible, qui, essoufflée, n'avait pas d'autre choix que de l'affronter. Et il le savait parfaitement bien.

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