Les caravelles de la nuit

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La caravelle, le cul contre le comptoir, les yeux dans le vague, attendait, clope au bec, que son maton vienne la récupérer.
Elle aurait eu pour elle, l'oreille du serveur, le regard d'un client potentiel et le museau bavant de désir d'un micheton de la nuit passée, mais elle était bien trop crevée pour faire autre chose que la plante en pot. Et malgré le déodorant qu'elle pressait par intermittence, autour d'elle ça chlinguait ! Bon Dieu que ça puait !

Son mac traînait : il prenait son temps pour relever les compteurs. Il en avait toute une flotille, des caravelles, toutes magnifiques, rondes et bien mises, bien serrées, mais celle-ci, contre le comptoir, était la plus en vogue, la plus jolie, à voile et à vapeur, rien ne lui faisait peur. Sinon l'odeur, encore, que les boys trimballaient. Comme dans les morgues, elle aurait voulu un déo diffuseur.

Son maton ne se pointait pas avant l'heure du chien. Jusque-là, la belle avait toujours fort à faire. Mais à cinq heures les bourgeois se rentraient. Ne restaient plus alors que les Triplés Bienveillants, coke, alcool, soda ; le sexe étant, quant à lui, une pensée lointaine, trop difficile d'accès pour les pauvres cons restés là. Ils puaient la vinasse, la sueur et le foutre pour les ex-vaillants.

L'établissement veillait au confort de ses appâts, un chouille de sapin chimique couvrait, avec plus ou moins de bonheur les effluves de la plèbe. Les Triplés avachis envisageaient de sécher, étalés sur le bar. Plus ou moins, comme la belle caravelle, ils attendaient que Jojo leur botte le train ; carburant nécessaire pour s'en retourner dans les cambuses et les pajots lointains.

La fleur du soir se fanait au petit matin, ne sachant plus très bien qui elle était, elle portait tous les noms que la nuit lui avait donnés. Elle aurait eu besoin, la belle, d'être un peu cajolée. La pelouse des sièges autos étaient seuls à la consoler. Jojo avait autre chose à faire.
Il avait de quoi rugir : mon salaud, elle avait, en une nuit, payé ses paris de la semaine. Grand seigneur, il condescendit à lui glisser cent balles dans le soutif, non sans lui claquer les miches.
« Et ça pourrait dire merci quand même ! »

Un jour la caravelle mettrait les voiles, et s'arrangerait pour qu'il reste au quai, voire en cale... mort.


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