Chapitre 1 : Le dieu déchu

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- Qu'est-ce que tu fais encore debout, c'est l'heure de dormir p’tit gars, dit Joe, un mince sourire au visage.

- J'ai pas sommeil papa, j'ai froid, dit-il en grelottant.

Les vitres de la plupart des fenêtres étaient brisées et avec pour seule couverture un fin tissu troué, le petit garçon et son père allaient devoir apprendre à supporter la température.

- Je sais, je sais bien ... Écoute, demain on essayera de chercher un refuge ailleurs mais pour passer cette nuit c'est le mieux qu'on puisse trouver. Ça te va Sam ? Dit Joe, un air inquiet comme gravé sur le visage.

- Ouais. T'en fait pas, assura-t-il.

Joe s’assit aux côtés de son fils sur le matelas gonflable rafistolé au scotch. Quelques secondes suffirent pour que le petit garçon vienne se blottir contre le bras de son père. Après un court silence troublé seulement par les claquements de dents de chacun, Sam se tourna vers l’adulte.

- Dis papa, pourquoi ils ont jamais froid les gens dans les histoires que tu me racontes ?

Le père rit. Depuis que Sam était tout petit il lui faisait la lecture pour l’endormir. Un peu de rêve et une évasion de courte durée qui apaisait Sam et lui permettait le plus souvent de s’endormir. Joe, son père, et encore son père avant lui avaient réussi tant bien que mal à conserver ces écritures d’une autre époque dans un vieux recueil.

- Il faut croire qu'ils sont sur une planète chaude, on n'a pas eu cette chance, dit-il d'un ton rieur.

- Et ça a toujours été comme ça ? Je veux dire ... les gens d'avant ils avaient froid aussi ?

- Je suppose oui, enfin de ce que ton grand-père m'avait expliqué, ça dépendait de l'époque de l'année. Dans tous les cas c'est du passé.

Comme toujours, l'évocation de l'ancienne ère avait un don pour piquer la curiosité du jeune garçon qui ne pouvait s'empêcher de poser question après question. À l’inverse Joe était passé du rire à un air impassible.

- Qu'est-ce qui s'est passé entre-temps papa ? L'ancienne ère s'est juste terminée comme ça ?

- Il est tard pour ce genre d'histoire Sam.

Le garçon pourtant ne bougea pas d'un cheveu. Il gardait la tête tournée vers son père et les yeux grands ouverts. Pas besoin d’être un génie pour savoir qu’il ne dormirait pas avant que celui-ci ne cède. Après un léger temps de silence et une moue exaspérée, Joe reprit.

- Ce n’est ni une histoire joyeuse ni une histoire rassurante p’tit gars, tu es sûr de vouloir l’entendre ce soir ? Demanda-t-il un sourcil levé.

- Oui, s’il te plaît.

Joe avait attendu relativement longtemps avant de lui conter ce récit-là. Son père lui, n’avait pas été si tendre puisque c’est quand Joe avait sept ans qu’il lui avait dit la vérité. Sam en avait bientôt quatorze. Après avoir pris une grande inspiration, le père se lança.

- Tu vois ce collier ?

Le père sortit de sous son t-shirt une petite statuette en bois accrochée au bout d’une chaîne. Elle représentait une femme, debout, les mains jointes, de façon assez grossière par endroits. Malgré tout une fine attention avait été portée au visage, qui semblait paisible et serein.

- Tout part de là petit. Il s’agit d’Aelia, déesse de la nature.

- Mais tu m’avais dit qu’ils étaient tous disparus non ? Je veux dire, les dieux et les déesse.

- Pas vraiment Sam, pas vraiment.

Après un court moment passé à regarder la statuette, le père rangea le collier et se retourna vers son fils.

- Il y en avait des dizaines autrefois. Chaque entité du monde qui nous entoure était régie et protégée par un dieu unique. Il y avait Ionos, dieu du temps, Satie, déesse des rêves, Calio, dieu des animaux, Hanoris, déesse de la guerre, et tant d’autres. Sans compter les divinités mineures. Ils veillaient sur le monde et étaient vénérés des hommes.

Malgré toutes les questions qui passaient dans la tête du petit garçon, il se retenait de les poser pour ne pas perdre une seule miette de cette vérité qu’il tenait à connaître au plus profond de lui. C’était rare que Joe parle de ce qu’il y avait avant alors autant en profiter. Il en oubliait presque qu’il avait froid, tant il était plongé dans le récit.

- Seulement voilà, l’humanité a souvent un talent pour ruiner ce genre d’équilibre. Peu à peu les traditions ont été mises de côté et l’inaction des dieux critiquée. Tout ça pour qu’au final ceux-ci tombent dans l’oubli. Sans dieux à respecter, il n’y avait plus aucune limite à l’avarice et la cupidité de chacun. L’homme s’est accaparé le monde et ses ressources, tel un virus ne connaissant ni limites ni frontières. Jamais l’équilibre n’avait été autant bouleversé. Et ce en quelques siècles seulement.

Joe parlait de cela le regard perdu dans le vide. Ses joues semblaient crispées, il avait une vraie haine pour ce peuple du passé dont il était le descendant. Relater ces évènements c’était en quelque sorte explorer la misère de sa propre existence. Rien d’agréable donc, surtout quand on doit l’expliquer à un enfant, qui plus est son enfant.

- Or une divinité ne peut subsister quand ce qu’elle était censé protéger disparaît. Plus le temps passait et plus Aelia semblait se rapprocher d’une fin inéluctable, l’activité humaine ne permettait plus sa survie et elle était proche de s’éteindre, raconta le père. Révolté, le fils intervint :

- Et les autres dieux n’ont rien fait ? Demanda le petit garçon, ne pouvant comprendre telle injustice.

- L’un d’eux à essayé. Son nom était Sorin, il était son amant. Il voulait à tout prix protéger sa bien-aimée.

- Son amant ? Interrogea Sam, perplexe face à un mot qu’il ne connaissait de toute évidence pas.

C’est fou comme une question d’apparence aussi innocente, pouvait s’avérer si désolante. Joe jeta un regard attristé à Sam. Après une seconde de réflexion pour savoir comment mettre des mots sur un terme aussi complexe, le père reprit. C’était son rôle d’instruire son fils à ce sujet mais il trouvait cela un peu cruel de faire ainsi alors qu’il n’aurait probablement jamais l’occasion de rencontrer l’amour.

- On dit de deux personnes qu’elles sont amantes quand elles sont amoureuses l’une de l’autre. C’est un sentiment qu’une personne peut éprouver pour une autre personne. Quelque chose de beau. Quand deux âmes se complètent et se lient à jamais. C’est difficile à expliquer aussi rapidement mais l’amour c’est quand deux personnes ouvrent leur cœur l’une à l’autre pour tout partager d’eux-mêmes. On ferait n’importe quoi par amour. Des actes les plus fous jusqu’aux plus insensés.

Avant de continuer son histoire, Joe jeta un regard au petit garçon. Celui-ci observait devant lui un point fixe dans le vide, toujours l’air perplexe. Il essayait probablement de comprendre ce sentiment complexe dont il apprenait l’existence. Un sentiment qui même avec tous les efforts du monde ne pouvait être vraiment compris qu'après l'avoir rencontré. Joe regarda son fils. Le petit avait les yeux de sa mère. Finalement il reprit le récit pour l’achever une bonne fois pour toutes.

- Sorin voulait intervenir et poser des limites à la voracité de ce peuple dont il était le dieu. Selon lui le monde devait toujours offrir la possibilité d’une cohabitation et d’un équilibre entre les différentes forces constituantes de celui-ci. Joe laissa échapper un léger soupir. Les autres dieux n’étaient pas du même avis. L’intervention divine était presque prohibée. Selon eux la vie devait suivre son cours et le rôle des dieux n’étaient pas de changer le cours des évènements mais de l’accompagner. Aelia, même mourante était d'accord avec eux.

Le père marqua une courte pause.

- Et puis finalement, ce qui devait arriver arriva. Aelia finit par s’éteindre dans la plus grande montagne des régions du nord, seule avec son amant. Fou de rage et assoiffé de vengeance, c’est épée à la main que celui-ci se rendit au sanctuaire des dieux. Prévenus de son arrivée, et conscient de ne pouvoir échapper à l’affrontement, toutes les autres divinités firent front commun pour stopper la fureur de Sorin, le dieu déchu. Aucun d’entre eux ne put l’arrêter. Il les massacra tous jusqu’au dernier sans pour autant que sa souffrance ne s’atténue. On a appelé ça la chute des dieux, 6 novembre 2059. À partir de la plus rien ne pouvait le retenir. Il en voulait au monde entier, et tout particulièrement aux hommes. Je ne sais pas si tu imagines bien l’étendue de ses pouvoirs. En seulement 3 mois les deux tiers de la population mondiale avaient … disparu. Le seul moyen pour survivre était de se cacher et de prier sa bonne étoile. Enfin tout ça c’était il y a un peu plus d’une centaine d’années. Aujourd’hui certains disent qu’il est retourné auprès de son amante défunte. D’autres qu’il rode encore en quête de revanche, rasant tout sur son passage.

Un silence s’installa. Si Sam en attendait plus, de son côté Joe avait terminé.

- Et toi tu en penses quoi ?

L’enfant était inquiet mais sa curiosité en voulait encore plus, il faisait confiance à son père et voulait savoir surtout s’il y avait lieu de s’inquiéter ou non.

- J’en pense qu’il est tard, et qu’un petit garçon comme toi devrait déjà dormir depuis longtemps. Il attrapa les cheveux de son fils et secoua doucement sa tête.

Les deux rirent ensemble en se chamaillant pour de faux. Ce n’est qu’après quelques minutes que le père arriva à faire se coucher son fils qui ne pouvait s’empêcher de sourire malgré les révélations qu’on venait de lui faire.

- Dort bien p’tit gars, on a une grosse journée demain.

Alors que le père s’éloignait vers son matelas la voix de son enfant le fit se retourner.

- On est en danger papa ? Demanda-t-il agrippé au bout de sa couverture.

- Tu me fais confiance non ? Tout se passera bien tant que je serais là, conclu-t-il en souriant.

*

Loin vers le nord, dans les régions les plus glaciales de ce monde,

*

La roche était, depuis longtemps déjà, recouverte d’une fine couche de glace. Le soleil perçait à peine à travers une brèche ouverte par l’érosion sur le plafond de la caverne. Au centre de la caverne trônait une stèle gigantesque. Derrière la glace, sur cette pierre mystérieuse, poussait une sorte de vigne envahissant toute la caverne. Les années avaient presque réussi à la faire disparaître, mais pas tout à fait. Tout était silencieux. Pas un bruit, pas un mouvement.

 Puis un pas. Lourd et lent, comme jaillissant du vide, une ombre furtive glissant sur le sol de l’antre. L’inconnu se porta à quelques mètres de ce qui semblait être un tombeau puis s’effondra à genoux. Ses cheveux blancs en désordre lui arrivait aux épaules et contrastaient avec le noir profond de son manteau long. Ses poings étaient serrés et son visage creusé surtout au niveau des joues. Le silence revint pendant quelques secondes avant d’être déchiré par un cri d’une violence extrême. Une souffrance infinie semblait résonner encore et encore contre les parois de la caverne. La voix de l’homme se brisa avant qu’il ne s’effondre. Plein d’une frustration et d’une colère toujours intacte après tant d’années, le dieu déchu frappa de toutes ses forces le sol. Une fissure s’ouvrit tout au long des parois de la caverne dans la glace centenaire. La paix et le silence revint presque aussitôt après la secousse. Le souffle haletant, Sorin jeta un dernier regard sur le tombeau, avant de s’évaporer dans un nuage d’une fumée noire comme la nuit.

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