" Il y a de la superstition à éviter la superstition " F. Bacon

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Je m'appelle André, ma femme dit de moi que je suis un superstitieux pathologique. Que j'ai perdu toute objectivité, en accordant une place bien trop grande aux croyances populaires. C'est vrai que je crois en l'existence d'un ordre supérieur, invisible pour elle, mais bien présent en ce qui me concerne. D'ailleurs, il lui serait difficile de nier que les augures me sont souvent favorables. Mon voisin Henri, qui est médecin, me traite gentiment de toqué. Ce terme doit sûrement venir des T.O.C ( troubles obsessionnels convulsifs) qu'il m'a diagnostiqués. Quoiqu'il en soit, même si certaines personnes de mon entourage se moquent de moi, en appelant ça " des lubies ", ils ont fini pour la plupart par m'accepter tel je suis.  


Tous mes amis proches savent par exemple, que je n'accepterais jamais, même pour tout l'or du monde, de venir dîner chez eux si nous sommes treize à table. Mais ils en connaissent également la raison. Elle remonte à mon enfance. C'était le jour de ma première communion. Toute la famille était réunie pour l'occasion, dans la grande salle à manger. Je me souviens que le repas n'en finissait pas et que j'avais hâte de quitter la table. Leurs conversations m'ennuyaient, ils ne faisaient que parler politique et ne semblaient pas d'accord sur la façon de diriger le pays. À la fin du repas, Pépé qui était rouge de colère s'est levé en criant, pour s'étendre aussitôt de tout son long à côté de sa chaise. Un grand silence s'est immédiatement installé puis tout le monde s'est levé dans la précipitation. Lorsque je suis arrivé près de Pépé, il ne respirait déjà plus. Crise cardiaque. Nous n'étions plus que douze, un vendredi treize. 


Depuis ce jour, le chiffre treize est pour moi synonyme de malheur. Mais je ne dois pas être le seul à avoir vécu un drame ce jour là. Car à ma grande surprise, je ne trouve jamais de treizième étage dans les ascenseurs, ni de chambre portant le numéro treize et encore moins de rangée treize dans les avions. Alors quand ma femme me traite de superstitieux, je lui réponds alors que nous devons être très très nombreux dans ce cas...


En fait, personne ne comprend qu'à chaque étape de ma vie, j'ai pu faire appel à ces croyances irrationnelles. Ainsi adolescent, j'étais amoureux de Sylviane la plus belle fille du lycée, à mes yeux, sans savoir si cet amour était partagé. Timide de nature, je n'avais même jamais osé l'aborder. Un jour qu'elle était en grande conversation avec ses copines dans la cour, je me suis lancé un défi : Je compte jusqu'à sept... si elle me regarde dans ce laps de temps, c'est que nous sommes faits l'un pour l'autre. J'ai commencé à  compter mentalement, en croisant les doigts afin de mettre toutes les chances de mon côté, et elle s'est tournée vers moi au chiffre 6. Plus rien ne m'interdisait alors d'aller lui parler, ni de lui avouer mes sentiments. Je ne le regrette pas, aujourd'hui nous sommes ensemble pour le meilleur et pour le pire. Je me souviens que mes copains d'alors m'avaient dit en rigolant, que c'était le hasard, que l'insistance de mon regard en était la cause. Je ne crois pas à la chance mais au destin, influencé par cette force qui est en moi et renforcé par les précautions qui sont miennes au quotidien. 


Aussi le matin, dès mon réveil, pour ne pas contrarier les augures, je prends le temps de me lever du pied droit. Je vous avouerais que cela demande un long entraînement et une concentration certaine. Il est vrai que n'ai encore jamais eu l'occasion de sortir de mon lit dans l'urgence... Mais dans ces conditions, cela représenterait déjà un mauvais présage en soit... alors l'un dans l'autre s'il m'arrivait de faire un " faux " pas, peut-être que les effets s'annuleraient... Lorsque je descends l'escalier pour me rendre à la cuisine, je fais en sorte de ne croiser personne. Si une autre personne vient à monter, je la laisse passer, attendant mon tour. Sinon ce serait la dispute assurée ! Et il y a déjà tellement d'occasions que je ne voudrais pas en rajouter ! 


À table par exemple, je ne supporte pas de voir le pain à l'envers dans la corbeille, et si cela arrive, je le remets aussitôt à l'endroit, d'un geste sûr et autoritaire, sans oublier de faire une croix sur la croûte avec la pointe de mon couteau, avant de le manger. Je ne sais plus pourquoi,  mais il ne faut pas plaisanter avec ces choses là ! 

Ne me demandez pas de vous passer le sel en cas de besoin, vous essuieriez alors un refus. Et ne vous avisez surtout pas d'en renverser devant moi. C'est arrivé une fois, et je me suis évanoui. Mon petit neveu n'a eu de cesse de vouloir m'en faire respirer pour me réveiller ! Ce n'était évidement pas les bons et il m'a brûlé les sinus !  Et si vous aviez dans l'idée de croiser vos couverts, dans un moment d'inattention à la fin du repas. Surtout ne le faites pas, ôtez vous tout de suite cela de l'esprit, les conséquences en seraient catastrophiques pour vos hôtes ! À moins que cela ne soit le but recherché !  


Pour être tout à fait honnête, je ne suis pas quelqu'un de compliqué à vivre. Il n'y a que ma femme pour dire le contraire ! Regardez par exemple, d'un point de vue vestimentaire, j'évite simplement la couleur verte. En même temps cela ne m'est pas trop difficile. Qui aurait envie de se transformer en haricot ? Pour dormir paisiblement je place toujours un couteau sous mon oreiller, alors que certains parlent de matelas. Moi je préfère ainsi, c'est plus rapide à déposer et à enlever, en cas d'attaque. En plus, cela éloigne les cauchemars. Ce que je ne me m'explique pas, ce sont ceux de ma femme depuis... Chez le médecin, dans la salle d'attente, je compte les carreaux du carrelage en pariant sur un chiffre pair ou impair en fonction de mon humeur. Ce " jeu " est cependant moins amusant en période hivernale. Enrhumé,  j'y vais plus souvent et peine à effacer de ma mémoire le chiffre précédemment trouvé ! 


Par contre je ne crois pas à la malédiction pesant sur vous si vous croisez un chat noir, mais j'ai quand même la solution. Dès qu'il me semble en voir un, au loin, je ferme les yeux et le tour est joué ! C'est plus compliqué si vous êtes au volant de votre voiture... Mais pour le coup ce serait vraiment de la malchance ! 

Cela me rappelle le jour où Lucien a voulu m'imiter pour rigoler. Au village, Il y avait une échelle posée contre le mur de la poste,  qui était en réfection. Et bien vous me croirez ou non, mais ce jour là nous avons perdu Lucien. Il a voulu contourner l'échelle, pour me montrer à quel point j'étais stupide de ne pas vouloir passer dessous, et une voiture l'a écrasé. C'est vrai que je ne lui avais pas dit de regarder, avant de descendre du trottoir... Et après, il était bien entendu trop tard pour lui en faire la remarque !  Cela m'a fichu un coup, j'ai même été ébranlé quelques jours dans mes convictions. Puis la vie a repris et avec elle mes petites manies... 



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