Accélération

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Saint-Denis, 4 juin 2025

Comme tous les mercredis à 13h30, au QG du projet et en visio, l’équipe faisait un point hebdomadaire sur les avancées et les difficultés du moment.

Les indicateurs étaient globalement au vert : le nombre de promesses reçues était en forte augmentation depuis le Paris-Match de mars, il y avait de plus en plus de projets engagés et on fêtait même les premiers projets terminés.

Après l’examen du tableau de bord, Sophie parcourait la liste des initiatives en cours, commentant si besoin, répondant aux questions, signalant les éventuels arbitrages à prendre. Samir et Raphaël tranchaient au fur et à mesure, réservant à Marc, qu’ils voyaient systématiquement en fin de journée, les éventuels choix stratégiques. Agnès tenaient à jour le plan d’action, qui serait diffusé à toutes les chevilles ouvrières du projet dès 14h30.

Sophie jubila. — Dans la catégorie Théâtre, la pièce « Panache ! » est écrite. On y retrouve Cyrano, Dumas, La Légion étrangère, Olympe de Gouges, Louise Michel, parmi 20 autres figures du courage, de l’élégance et de la flamboyance des causes perdues.

— Où aura lieu la première ? demanda Raphaël

— Ils sont toujours à la recherche d’une scène parisienne qui accepte de prendre le risque.

— Ce serait bien de sortir de Paris… Quelqu’un à une idée ? Je vois qu’une main se lève sur l’écran de la visio, Jean, tu as la parole.

— Je peux approcher le Théâtre du Peuple, à Bussang, dans les Vosges, ce n’est pas loin de chez moi et j’ai un contact dans l’équipe. Un théâtre créé en 1895 par Maurice Pottecher, un utopiste humaniste, toujours debout, pour faire vivre sa devise : « Par l’art, pour l’humanité ». Avec un peu de chance, ils peuvent trouver une petite place dans la programmation de cet été.

— Vendu ! intervint Raphaël. Tu nous tiens au courant au prochain point hebdo. Dossier suivant, Sophie.

— Nous tenons notre première initiative dans la catégorie Film, poursuivit celle-ci. Un certain Guillaume invite les Français à envoyer leurs vidéos et récits personnels pour les intégrer dans un documentaire interactif. Cela crée un collage de perspectives à travers le pays. Il est jeune, mais a obtenu un prix au festival du court-métrage.

— Excellent, intervient Samir. Attention au consentement des intéressés toutefois.

— Tu as raison, je n’y avais pas pensé.

Agnès intervint : — Je prends le point.

— Nous sommes approchés par un sculpteur sur métal, Paulin Limougeaud, qui se propose de réaliser une carte de France géante, image de la carte en plastique des fournitures scolaires, avec représentation des fleuves et du découpage des départements. Mais il y a plusieurs problèmes. Le premier est celui de l’achat du métal, il n’a pas les reins assez solides pour cela. Le deuxième, est celui de la localisation : où installer une telle sculpture ? L’endroit doit être légitime, le propriétaire du terrain doit bien sûr donner son accord. Et il faut penser à la préservation de l’œuvre dans la durée.

— Nous pouvons peut-être mobiliser notre fond spécial pour un tel projet, dit Samir, j’en touche deux mots à Marc ce soir.

Une main se leva à nouveau sur l’écran. — Josiane, de Saint-Amand-Montrond. Tout le monde ne le sait pas, mais Saint-Amand est au centre géographique de la France. Une place qui lui est bien sûr disputée par toutes les communes avoisinantes ! Quelle meilleure preuve de la légitimité de la revendication que d’accueillir, sur son sol, la carte de France ?

— Excellent ! Foncez Josiane !

— Après la sculpture, la taille de pierre. Les Compagnons du Devoir viennent d’envoyer leur lettre d’intention. Ils envisagent d’organiser une initiation à la taille de pierre dans chaque ville qui accueille une Maison des Compagnons. Les blocs dégrossis à cette occasion par les participants passeront ensuite dans les mains des compagnons pour la finition, avant de trouver place dans l’un des monuments historiques en cours de rénovation dans la région.

— Merci Sophie, tout cela est fort bien, se réjouit Raphaël. Abordons maintenant les sujets épineux du moment. Où en est-on de l’équilibre entre métropoles, villes, banlieues et zones rurales ? Quelle image les médias ont-ils donné de « Faire Nation » cette semaine ?

— On est toujours en retard dans les banlieues. Les promesses ne manquent pas, notamment dans les catégories Musique et Ecriture. Mais il y a toujours trop peu de projets en cours et aucun n’est terminé.

Samir se tourna vers Agnès : — Note s’il te plait de relancer les contacts à travers les agents de Gims, Shay, GCM et nos autres appuis. Ils doivent pouvoir donner un coup de main à leurs cadets.

— Concernant la couverture médiatique, nous sommes rentrés dans une nouvelle phase. Ces dernières semaines, le positif était fortement mis en avant. Quelques citations : « contributions éclairantes sur la vision des Français de la situation et de l’avenir du pays », « impact positif de ces initiatives sur le climat social », « sentiment renouvelé de cohésion nationale », « engagement civique ». Mais depuis quelques jours, nous subissons la contre-attaque des différents partis politiques, toutes couleurs confondues. Cela va de « aimable chimère » à « manipulation socio-culturelle des esprits » en passant par « boboïsme nationaliste ». Bref, nous faisons désormais front à l’opposition de l’ordre établi de la 5ème République. Même si leurs arguments sont pauvres et ne convainquent pas au-delà du cercle des militants, les médias font leurs choux gras des petites phrases des uns et des autres et risquent de semer le doute dans les esprits. Il nous faut réagir et…

— Sophie, pardon de te couper. Claire était consternée. Je viens de recevoir une notification. Une vidéo de Marc commence à tourner en boucle sur Facebook et Instagram. Je vous la partage à l’écran.

La vidéo semblait avoir été prise de manière clandestine. Marc s’exprimait : "Vous l’aurez compris, ce mouvement n'est qu'une façade. Mon objectif ? Le pouvoir, rien d'autre, pour faire triompher nos vrais idées. Les idéaux de « Faire Nation » sont de parfaits leurres pour les naïfs. Et je sais comment les utiliser à notre avantage. Voici comment nous allons prendre le pouvoir". La vidéo s’arrêtait là. Mais le compteur de vues s’affolait.

Luc Moreau venait de rejoindre l’équipe, s’invitant à la réunion de crise. — Je suis désolé, j’aurais dû publier l’article il y a un mois, maintenant le mal est fait.

— Pas de regret, Luc, tu manquais encore de preuves, répondit Marc, cherchant à le réconforter.

— Oui, mais j’avais eu le nez creux avec l’affaire de la Slovaquie. Nul doute à présent que Lagueux pilote des hackers pour faire les basses besognes de Delcroix et Leroux. Ils ont refait le coup du deepfake de Monika Tódová.

Sophie tombait des nues : — Mais de quoi parles-tu ?

— Fin septembre 2023, la voix de la journaliste slovaque a été synthétisée dans un fichier audio réalisé grâce à une IA. Le faux enregistrement donnait l’illusion d’une conversation dans laquelle la journaliste et le dirigeant du parti progressiste slovaque organisaient une fraude électorale. Rien ne permettait au public de distinguer clairement qu’il s’agissait d’une fausse information produite à des fins de déstabilisation politique.

— Et c’est maintenant que tu nous le dis !

— Sophie, il faut des preuves avant de dénoncer publiquement. Marc craignait le tempérament de feu de la plus jeune du groupe. — Luc a assez pris de risques comme cela, il est temps pour lui de se faire discret.

Remontée comme une pendule, Sophie le coupa : — Nous ne pouvons pas laisser ce deepfake ruiner tout ce que nous avons construit depuis des mois !

— Non, bien sûr, répondit Marc. Mais nous allons essayer de sortir de cette crise par le haut. Et Luc devrait pouvoir nous y aider, sans s’exposer exagérément.

— A quoi penses-tu ? dit Samir.

— Deux choses. Un, on ne coupe pas au démenti, même si tout le monde sait qu’il n’aura jamais la viralité du deepfake. C’est juste un exercice obligé. Deux, Luc, as-tu toujours tes entrées au Grand Journal ?

— Oui, mais cela dépend pour quoi. Qu’as-tu en tête ?

— Un manifeste, pardi ! Nous tournons le démenti tout de suite et nous le mettons en ligne demain matin à 8h. Dans la journée, nous écrivons le manifeste et demain soir, nous recueillons les signatures des sympathisants. Avec un peu d’énergie, le manifeste est publié vendredi ou samedi. On va voir qui est le plus rapide !

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