Une nouvelle crise internationale
1er janvier 2026
Alors que le pays connaissait ses premières averses de neige, une fraction de l’opinion restaient persuadée que Vautier était un complotiste. Mais les vidéos bidons étaient désormais tellement courantes que la plupart des gens n’y faisait plus attention. Le manifeste de juin, touchant le cœur et les esprits, avait eu un impact indéniable sur les relais d’opinion. Les thèmes abordés et les idées directrices mises en avant à cette occasion étaient désormais régulièrement repris dans les émissions télévisées, les interviews des politiques et les discussions ordinaires. Certes, les opinions étaient très partagées, souvent hostiles, mais les sujets étaient sur la table et c’était une première victoire pour le mouvement fondé par Marc et Claire.
Mais tandis qu’une partie croissante de la nation s'éveillait à cette nouvelle vision démocratique, le monde extérieur grondait une fois de plus : la nouvelle tomba comme un couperet, la Chine envahissait la Mongolie.
— Tu as pu avoir quelques infos ? demanda Delcroix à Lagueux, qui l’avait retrouvé à son pied-à-terre parisien. Sa voix trahissait une impatience qu'il peinait à dissimuler.
— Pas grand-chose malheureusement, répondit Lagueux, son visage reflétant l'incertitude de la situation. On dirait un scénario de blitzkrieg. Une tentative de prise de contrôle rapide des points stratégiques majeurs, à base de cyber-attaque massive, de missiles longue portée et de bombardements de l’aviation.
Delcroix, habituellement si sûr de lui, se massa la tempe, perplexe. — Où en est l’offensive ?
— Difficile à savoir pour le moment. Oulan-Bator est visée bien sûr. Mais peut-être aussi les deux villes faisant la connexion avec la Russie, à travers les infrastructures de transport. Sükhbaatar et Altanbulag.
— Il est trop tôt pour être certain de l’objectif de guerre, mais je parierai que c’est un test grandeur nature avant l’attaque de Taïwan. La voix de Delcroix masquait mal son appréhension devant l'escalade potentielle.
— C’est plausible, répondit Lagueux. Mais les motivations chinoises ne manquent pas. La Mongolie est riche en ressources minières, charbon, cuivre, or. Contrôler la Mongolie donnerait à la Chine un avantage stratégique important, dans la perspective d'étendre son influence en Asie centrale et en Sibérie. Et puis, la dictature chinoise a régulièrement besoin d’entretenir le sentiment nationaliste. Or une partie de la Mongolie faisait partie de l'empire chinois à certaines époques.
— Voici donc au moins trois bonnes raisons… Les Russes et les Américains ne peuvent pas laisser passer cela. Mais je les vois mal s’entendre sur une résolution commune. Encore moins avec l’UE qui aura du mal à se mettre d’accord avec elle-même. Comme d‘habitude. Quant à la France… nous ferons un beau discours à l’ONU ! Comme d’habitude.
— Exactement, ironisa Lagueux.
— Cependant, cela ne nous empêche pas d'agir. Nous allons pouvoir utiliser cette crise à notre avantage, mobiliser l'opinion publique autour de la nécessité d'une gouvernance forte et déterminée.
— Comment envisagez-vous de procéder ? interrogea Lagueux.
— Là aussi, comme d’habitude, sourit Delcroix. Nous allons accentuer notre discours sur la sécurité nationale. Rappeler aux citoyens que seule une main ferme peut garantir leur sécurité dans ces temps incertains. Les réformes idéalistes ne sont que poudre aux yeux quand la vraie tempête approche.
Delcroix s’interrompit un instant, pour mieux souligner ce qui allait suivre. — L'heure est à l'action, pas à la philosophie. Nous allons présenter le parti comme le seul capable de naviguer dans ces eaux tumultueuses. Les gens cherchent à s'accrocher à quelque chose de solide. Nous leur offrirons cette stabilité, dès cette année, à l’occasion des municipales, et l’an prochain, avec l’élection présidentielle.
Déjà Viviane Leroux anticipait la perturbation des marchés mondiaux, en particulier ceux liés aux matières premières. Les prix de l'énergie et des métaux allaient s'envoler une fois de plus, affectant les industries mondiales. Le positionnement de son groupe financier dans le secteur Aéronautique Spatial Défense Cyber allait lui être particulièrement profitable. Une question restait à trancher : fallait-il investir dans les filières approvisionnant les organisations humanitaires internationales ? Mais ce n’était pas très important.
Pour autant, si l’instabilité géopolitique avait du bon, elle ne devait pas se traduire en France par une crise de régime. Or les utopistes du mouvement pour la réforme démocratique gagnaient du terrain avec le succès de leur projet « Faire Nation », dopé par le manifeste publiée l’année passée. Le deepfake avait eu un effet limité, Lagueux était hasbeen. Il fallait passer à la vitesse supérieure.
Saisissant son smartphone, elle appela le patron de sa filiale en charge du secteur des médias. — Bonjour. Viviane Leroux. Il est temps d'accélérer les choses. La crise actuelle offre l'opportunité parfaite pour semer le doute sur les réformes démocratiques.
— Compris. Jusqu’où doit-on aller ?
— Utilisez tous nos canaux médiatiques pour amplifier les inquiétudes sur le pouvoir d’achat, l’emploi, l’insécurité. Faites circuler l'idée que la stabilité est primordiale et que les réformes ne sont que des distractions.
Marc développait ses arguments, son regard balayant les toits de Paris à travers la fenêtre pour venir se poser sur le visage de Claire.
— Cette nouvelle crise internationale ne doit pas paralyser le mouvement. Les citoyens ont besoin d'espoir, pas de peur ! Nous devons absolument continuer à occuper le terrain de l’action et de la communication.
Claire n'était pas totalement convaincue. — Marc, je suis d'accord sur le principe, mais nous devons être réalistes. Elle marqua une pause, cherchant ses mots. — L'impact économique et sécuritaire de cette situation est immense. A nouveau, la désorganisation du commerce mondial va alimenter une inflation galopante frappant chaque foyer. Pour ne parler que de cet aspect de la situation. Nous ne pouvons pas simplement ignorer ces défis.
Marc se tourna vers elle, son expression mélangeant frustration et compréhension. — Bien sûr, mais notre message doit rester centré sur la réforme et l'innovation. Les circonstances du moment ne doivent pas dicter notre politique.
Claire acquiesça lentement, son esprit travaillait à toute vitesse. — C'est justement là où un ajustement tactique s'impose. Nous devons adapter notre discours pour reconnaître les défis actuels, tout en soulignant comment nos réformes peuvent contribuer à la résilience et à la sécurité du pays.
— Alors, comment intégrons-nous cela ? questionna Marc. Comment faisons-nous pour que notre message résonne dans ce contexte sans sembler déconnecté ?
— En mettant l'accent sur la solidarité, l'autonomie stratégique européenne, et la nécessité d'une réponse collective à ces crises, telles qu’évoquées dans le manifeste. Notre réforme n'est pas juste une question de politique intérieure, mais un moyen de renforcer notre position sur la scène internationale à travers les contacts que nous avons commencés à établir.
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