Le songe d'une nuit d'été (1/3)

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Souvenirs du printemps 1939... Piotr et le capitaine Iliǒvenko patrouillaient à quatre mille mètres d'altitude. Une pénible expérience. Le poste de pilotage ouvert livrait son corps au froid piquant. Un torrent tourbillonnant s’engouffre entre le pare-brise et l’appui-tête, enveloppe la tête puis roule jusqu'aux cuisses qu'il dévale pour s'écraser contre le plancher et imbiber les pieds rivés aux pédales du palonnier. Les vêtements chauffants, lorsqu'ils daignent fonctionner sans fantaisie, ne sont pas de trop, mais la face reste exposée. Certes, le masque inhalateur protègeait une partie du visage, mais il laissait les joues à la merci des morsures du vent glacé. Chaque mouvement de la tête pour scruter le ciel était l'occasion de s'exposer aux frigorifiantes gifles des bourrasques. Le courant d'air ne se contente pas de geler les hommes, il hurle et vocifère, s’ajoutant au grondement sonore du moteur et aux claquements de l’hélice. Les volets du serre-tête en cuir et ses écouteurs plaquées contre les oreilles préservaient avec peine de la surdité. Si voler est un rêve depuis Icare, si haut, on comprenait mal qu'il s'y fût brûlé les ailes.

Après un bon quart d’heure de vol à se tordre le cou, Piotr avait aperçu, plus bas, un point noir qui décrivait un curieux manège. Ce moucheron pondait la destruction. Des éclairs fugaces apparaissaient au sol. Parfois, un champignon de flammes ou un simple panache de fumée noire les suivaient. Aucun doute possible : il s’agissait d’un appareil réglant des tirs de l’artillerie ennemie. Le jeune sous-officier tenta de transmettre l’information par radio à son capitaine. Il n’obtint aucune réponse. Il réessaya, sans plus de succès. Encore un caprice de la technologie. Les laryngophones, petits accessoires facétieux, avaient deux défauts : irriter le cou et tomber en panne après le décollage. Une traction sur la manette des gaz et l'IAR P.11f[1] avait dépassé celui du chef de patrouille. Jouant du manche, Piotr battit des ailes pour attirer son attention. Revenu à la hauteur de son officier, il lui communiqua par gestes son observation. Iliǒvenko tourna la tête dans la direction indiquée. Son regard sombre était presque perceptible, derrière les grosses lunettes de vol. Évidence grossière ! lui aussi avait vu le mouchard semer la mort. D’un mouvement sec, il lui ordonna de reprendre sa place.

Le chef de patrouille ne laissa pas le temps à Piotr de s’exécuter. Il accéléra et vira pour se positionner le Soleil dans le dos. Malgré la surprise, son ailier réussit à le suivre comme une ombre. Cachés par le disque aveuglant, les deux Rutharnes se dirigèrent vers leur proie en perdant de l’altitude. Les yeux scrutaient les alentours à la recherches d'une escorte ou d'une patrouille de protection... en vain. Quelques cumulus parsemaient le ciel. Jouant avec eux, les deux chasseurs continuèrent leur approche. L'intrus ne les avait pas repérés. Malgré son camouflage vert, gris et marron adapté à la montagne, sa silhouette se précisait, trahissant un biplan d’observation Weiss Manfréd 21. Un appareil presque sorti de la Grande Guerre, avec ses deux paires d'ailes et des pattes pendantes. Au moins les petits P.11 à peine plus évolués avaient-ils leur chance ! Comble de la facilité, il se déplaçait parallèlement à leur ligne de vol, insouciant et concentré sur sa meurtrière tâche.

Iliǒvenko revint à la hauteur de Piotr pour lui indiquer qu’il allait attaquer. Il lui ordonna de rester en altitude afin de le couvrir. Le jeune homme maugréait : après le coup facile raté la veille, voilà qu’un nouveau pigeon lui échappait bêtement… c’était pourtant lui qui l’avait repéré ! Les officiers s'arrogeaient bien des privilèges... Qu'il eût été plus perspicace et le jeune sous-officier se serait jeté sur sa victime comme un limier affamé. La fougue du jeune écuyer contre la science du guerrier assagi par les années de métier.

De mauvaise grâce, le sergent suivit donc d’un œil son chef d'escadrille qui piquait. De l'autre, il surveillait sans conviction le ciel et les quelques cumulus qui y bourgeonnaient. Une gerbe de balles traçantes fusa du chasseur et frappa le fuselage de l’appareil ennemi. Il n’y eut aucune réplique. L’agresseur remonta ensuite en flèche, puis se mit en virage. Une gracieuse mais mortelle chorégraphie, exécutée d'une main de maître, un assassinat d'une froideur glaçante. Sans attendre, Piotr décida d’attaquer à son tour. Il vira sur l’aile et, tel un rapace, plongea vers le biplan qui filait en léger piqué, sans tenter la moindre manœuvre évasive. Le jeune homme était tout excité. Cette fois, il ne louperait pas cette cible facile. Il alluma l’ampoule de son collimateur et ôta la sécurité de ses mitrailleuses. Sa main droite agrippa plus fermement la poignée du manche à balai. Le Weiss Manfréd entra dans le réticule lumineux de son viseur. Piotr attendit qu’il y grossît encore un peu. Dans sa poitrine, le tambour préparait à l'assaut. Ses muscles se bandèrent et sa respiration se coupa pour ajuster le tir. Il ne devait pas louper son coup. Le point du réticule était bien positionné. Feu !

[1] L'armée rutharne utilisait une version améliorée et fabriqué sous licence par la firme roumaine Industria Aeronautică Română de ce chasseur polonais, initialement conçu et produit par la firme PZL (Państwowe Zakłady Lotnicze). Le P.11f se reconnaît surtout par son capotage de moteur différent.

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