Les ouvre-boîtes du Dniestr (1/3)

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La guerre faisait rage en Bucovine du nord. La douzième armée soviétique, encerclée par les forces rutharnes et roumaines, refluait en direction de Chotiň pour gagner le Dniestr et se dégager. Une partie de l’escadrille avait pris l’air pour soutenir la bataille. La section de Piotr restait en alerte. La journée s’annonçait belle et chaude, comme les précédentes. Assis sur des chaises longues, les bras de chemise relevés, les aviateurs tentaient de profiter du Soleil matinal et de grappiller un peu de sommeil supplémentaire. Le réveil avant l'aube était dur. Ce rythme effréné ne pouvait plus être maintenu. Certains en souffraient déjà, les appareils demandaient davantage de travail aux mécaniciens.

Le repos des guerriers fut malheureusement de courte durée car un petit biplace de liaison Lublin R-XIII amena un officier d’état-major et, surtout, un ordre de mission. Une contre-attaque ennemie avec des blindés se préparait entre Tchernovitz et le fleuve. Les défenses encore mal organisées seraient bien en peine de les arrêter. Les Breda devaient jouer les pompiers pour éteindre cet incendie. Rassemblés dans la tente servant de poste de commandement, les trois pilotes écoutaient les informations donnés par leur visiteur :

— Les collines et les positions roumaines ne laissent que deux couloirs de pénétrations. Soit en longeant au plus près notre frontière, soit en en suivant la route nationale qui emprunte la vallée du Prut avant de remonter vers Chotiň, expliquait-il en suivant les trajets avec son doigt.

— Le voie du nord passe dans une vallée dont un des versants est entre nos mains, objecta le vice-lieutenant Ponenko. Et c'est un endroit très compartimenté avec de nombreuses haies à traverser.Il seraient sans facile de les y arrêter avec des barrages.

— Oui, mais ils seraient de faible importance, tempéra l'estafette. Et la seule route pour les ravitailler et les renforcer est battue par endroit par l'artillerie ennemie, notamment entre Balamutivkě et la sortie de Blíščobj.

— Les Popoff n'en savent peut-être rien... Les vallées bordant l'autre voie me paraissent impropres aux passages des blindés : le terrain humide ne doit pas leur être favorable.

Le jeune officier interrogea du regard son interlocuteur qui, pour toute réponse, hocha la tête. Le pilote reprit après un petit temps de réflexion :

— Dans ce cas, nous remonterons la route nationale en la gardant à main gauche. Cela nous permettra également de nous adapter en cas d'attaque par l'autre voie... Du fait de son tracé sur les hauteurs, nous n'avons d'autres choix que d'attaquer en piqué, si nous voulons profiter d'un minimum de surprise. En fonction de la réaction d'Ivan, nous reviendront le mitrailler. Dans le deux cas, nous nous éclipseront par les vallées de la Dinautsi puis de la Rínhač, pour rejoindre nos lignes.

— Mon escadrille surveille ces blindés comme le lait sur le feu. Je peux demander que vous soyez avertis de leur progression. Nos échanges se font sur la longueur d'onde Nině.

— Parfait, acquiesça le chef de section avant de s'adresser à ses deux ailiers. Vous avez entendus, sergents ? Vous indiquerez donc à vos radio-mitrailleurs de régler leur récepteurs en ce sens. J'insiste : écoute uniquement. Je serai le seul à pouvoir émettre.

Après que l'agent de liaison eût pris congé, le jeune officier poursuivit le briefing en utilisant la carte. Alors que les informations du vol s'égrainaient, Piotr observait son camarade Petrovskí. Ce dernier palissait et tentait de dissimuler le tremblement de ses mains derrière son dos. Un yoyo s'affolait dans sa gorge. Il lui devint difficile de tenir en place. Cette pathétique parade n'échappa pas à son chef de patrouille qui l'interrogea du regard. Ce fut le déclencheur. Le pilote partit au triple galop vers les latrines. Stupéfait, le vice-lieutenant s'adressa à son dernier subordonné :

— Džunkovskí, je vous prie d'informer ce couard que s'il nous foire encore dans les pattes, je l'envoie au tourniquet !

Piotr déglutit. Il entendait déjà fuser les épithètes du premier adjudant Fronovskí. La litanie hargneuse de « la Vieille » faisait figure d'affront à côté de l'exceptionnelle familiarité avec laquelle son officier venait de s'exprimer. L’œil mauvais de Ponenko était pourtant sans appel. Une froide furie flamboyait au fond de sa pupille. Son visage fermé paraissait peiner à contenir sa fureur. D'un coup de menton, il lui signifia de disposer.

Lorsque le jeune ailier reparut, les moteurs tournaient déjà et les équipages s'installaient. Piotr poussa son premier mécanicien et sauta sur l’aile de son avion. Il la dévala, puis sauta à terre. Il se précipita vers son camarade et l'envoya contre le fuselage de son appareil. Pencher par l’ouverture de la tourelle, son mitrailleur assistait à la scène. Son visage exprimait un mélange de satisfaction, de condescendance et de pitié.

— T'étais où ? rugit l'aîné. Le lieute attend !

— Je... je suis là, bredouilla le peureux.

— Et t'as intérêt à le rester car il n’hésitera pas à te plomber la carcasse.

Petrovskí blêmit. Il secoua la tête, le regard apeuré et empli de larme. Un coup d'oeil à l'officier qui les surveillait lui confirma la réalité de la menace. Alors, avec l’aide de son premier mécanicien, il passa le harnais de son parachute, puis pris le chemin du poste de pilotage. Piotr était resté. Le spectacle de son ami presque désemparé l'avait interpelé. Il cherchait un mot, une formule, quelque chose qui pût l'encourager. Avant que son cadet ne se dirgeât vers son poste de pilotage, il le rattrapa par l'épaule et lui hurla pour couvrir la pétarade ambiante :

— C'est ta dernière chance, la gâche pas !

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