D'excellents soldats

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Les ordres claquent dans la clairière. Les talons résonnent à l'unisson. Obéir est une seconde nature chez eux. Le ballet se poursuit, fluide et sans fausse note. En une succession de gestes maîtrisés, les fusils cliquettent dans les mains et se atterrissent en parfaite synchronie sur les épaules. Une vague revient s'abattre contre les cuisses, à peine étouffée par l'étoffe des pantalons aux plis impeccables. Même les oiseaux se sont tus, respectueux de ce spectacle.

Les quatre mousquetaires se dressent devant le front des troupes. Trois sont au garde-à-vous, le torse bombé de fierté, le regard porté au loin, vers ce ciel qui est leur terrain de jeu. Le poignard de leur jeune officier, droit et digne, lance des éclats, comme hier encore, les mitrailleuses de son avion crachaient la mort. Oui, ses hommes sont aujourd'hui à l'honneur, mais on comprend à leur attitude qu'ils n'ont pas été plus extraordinaires qu'à leur habitude. L’exploit leur est une seconde nature, le courage, une évidence.

Face à eux, un carré d'officiers. On reconnaît le commodore Rastinenko, commandant en chef de l’aviation et, un peu en retrait, l'Aigle de Cisa, le major Iliǒvenko. Jadis, ils ont portés haut les ailes de la Rutharnie. Quelle honneur pour ses combattants que d'être d'adouber par deux héros de guerre ! N'est-ce pas là un magnifique passage de témoin ? Le commodore s'avance, suivi de son ordonnance.

Les hommes de la quatrième escadrille de bombardement ont poursuivi leur chorégraphie. Leurs Mauser s'alignent maintenant devant eux, les baïonnettes étincelant au soleil radieux. Avec une lenteur toute calculée, le poignard de l'officier s'élève avant de décrire une courbe parfaite. Bras tendu, pointe vers le sol, il s'arrête. Comme dans la troupe, pas une une seule fois son regard n'a dévié de son supérieur. Précision, rigueur et sûreté du geste. Une assurance sereine, signe d'une parfaite maîtrise que vient récompenser la Croix de la valeur militaire. Le vice-lieutenant Ponenko a permis le premier d'arrêter une dangereuse contre-attaque ennemie. Sans la précaution de son jugement, nul doute que nos combattants eussent dû affronter une puissante force mécanisée. Malgré sa récente arrivée, il a entraîné ses hommes contre la marée blindée et a permis de la désorganiser, offrant un répit à nos défenseurs et permettant à son chef d'escadrille de lancer un plan de bataille en complète coopération avec nos forces au sol. L'échange de saluts signe la reconnaissance du vieux chef envers son dauphin.

Vient le tour du premier sergent Džunkovskí, un ancien chasseur. Cela se sent dans son regard. Pas de haine dans ces yeux sombres, mais on les sent à l’affût, prêts à repérer le gibier. La dextérité héritée de son entraînement et son expérience du conflit précédent lui ont permis de dégager, par une manœuvre audacieuse, son chef de section. Face à un ennemi supérieur en armes et en nombre, il n'a pas hésité un instant à faire face pour le mettre en fuite. Il m'a raconté ce combat, comment, alors que son jeune ailier succombait avec panache sous les coups de la horde bolchevique assoiffée de vengeance, il fit rouler son appareil pour dégager celui de son officier. Une âpre lutte dans laquelle aucun des six aviateurs n'a démérité. Lui s'est un peu plus distingué par ses qualités, son adresse et son habilité. Mais nulle émotion ne transparaît de son visage à la peau tannée par la vie au grand air lorsque le commodore épingle la prestigieuse médaille de la Valeur militaire sur sa poitrine pourtant déjà bien chargée, témoignage d'un héroïque passé : médailles des blessés, du combattant et des combats de Tísa. Ses yeux me disent qu'il continuera à en découdre, parce que c'est sa nature mais aussi notre culture.

Arrive le tour des mitrailleurs, leurs Kačmareck comme les appellent avec affection les pilotes. Personnages indispensables à la réussite de la mission, ils leur permettent de se consacrer à leur travail, assurant leur protection contre les fourbes attaques d'Ivan. Leur capitaine me confiait à ce propos que les équipes sont maintenant si soudées qu'en dépit de la différence de grades, les hommes mangent ensemble et ne se quittent guère entre les vols. Que l'on ne se méprenne ! Il s'agit de pure camaraderie, virile et dénuée de tout artifice. Dans l'avion, il n'est plus besoin discours ; d'instinct, les deux se comprennent. Une véritable communion ! Les voici donc maintenant honorés, ces jeunes soldats, du Mérite militaire. Une distinction certes moins prestigieuse que leur camarades mais dont ils se satisfont avec bonheur. L’exubérance de leurs vingt ans peine à être contenue. Ils ne sont pas encore entrés dans l'âge adulte qu'on les montre en exemple. J'imagine sans peine le vertige qui les saisit à mesure que s'infiltre la conscience de l'insigne honneur qui leur est rendu.

Et parlant d'honneur, il en est un dernier à mentionner : la prise de commandement de l'escadrille par le major Iliǒvenko. On se souvient que cet aviateur virtuose avait abattu trois appareils hongrois en une seule mission. Si la Petite Guerre s'était poursuivie, je n'ose esquisser l'hécatombe qui aurait frappé les rangs de notre voisin. J'ai la certitude à présent qu'elle s'abattra dans ceux des Bolchéviques. Nous l'avons bien vu par le passé, et le commandant de notre corps expéditionnaire en URSS me l'a encore rappelé, que les batailles se gagnent encore au sol et non dans les airs. Ainsi, rayer de la carte l'aviation soviétique, pour utile que cela soit, n'apportera pas la victoire. En revanche, décimer les hordes de moujiks, oui. Soyons assurés que ces anciens compagnons de lutte le suivront dans cette voie.


Avec de tels hommes, on ne peut douter de l'avenir, ni rechigner à la tâche. Tout effort paie, ils en apportent chaque jour la preuve. À nous maintenant de nous montrer dignes de leurs exploits. Ils nous exhortent à les soutenir, exhaussons-les.

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