Chapitre 2 : Alex. 

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Lorsqu'elle démarre la voiture, j'espère qu'elle ne perçoit pas ma gêne. Les clefs tintent de gauche à droite, le poste d'autoradio ne fonctionne pas bien et fait un brouhaha d'enfer, mais je suis rassuré par tous ces bruits qui masquent un peu mes émotions. J'ai peur que ça finisse, d'une façon ou d'une autre, par se voir. Elle finit par trouver une station qui capte et la voix des Beatles résonne dans l'habitacle. Pas une seule fois elle ne se tournera vers moi, je crois qu'elle a fait exprès de cacher une partie de son visage avec des mèches de cheveux.

Son sourire m'a marqué en premier lorsque je l'ai vu dans la boutique. Sa voix est douce, ses yeux sont timides et elle dégage une gentillesse incroyable. Je n'ai pas encore rencontré de fille comme elle. Depuis le début de mon voyage, je ne pense qu'à l'Alaska. Mais il m'a suffit d'un sourire pour me détourner de tout ce qui me tient le plus à coeur. Maintenant, je me retrouve comme un con à ne pas savoir comment parler aux êtres humains, après des mois à osciller entre solitude et rencontres éphémères.

Elle me prête sa chambre pour que je puisse me reposer et m'informe qu'elle s'en va en promenade tout l'après-midi, avec le chien. J'aimerais venir mais je suis exténué. Je file à la douche sans demander mon reste et lorsque je m'allonge dans son lit, mes yeux se ferment directement, happé par le confort d'un matelas, ce qui ne m'était pas arrivé depuis des semaines et des semaines. Lorsque je m'éveille, je constate que j'ai dormi pendant quatre heures.

En ouvrant la fenêtre, la chaleur m'enveloppe comme une couverture. Je remarque que la voiture n'est pas encore là. Je frotte mes yeux et je me mets à observer sa chambre, ça me fait bizarre. Je me sens comme un voleur qui n'a pas le droit d'être dans la pièce, pourtant c'est son père qui m'a proposé de venir.

Il n'y a pas grand-chose, dans cette chambre. Je ne sais pas si elle y passe beaucoup de temps. Un grand lit, la fenêtre à droite et une bibliothèque en bois à gauche, particulièrement imposante car remplie de bouquins différents. En face du lit, il y a son bureau, blanc laqué avec un tabouret noir recouvert d'un coussin rose en soie. Sur le bureau, des carnets remplis d'écriture au stylo noir, empilés les uns sur les autres avec soin. Les marques de la tasse de café et le casque du baladeur de CD indiquent probablement une grande passion pour l'écriture. Je suis tellement tenté de m'asseoir pour les lire que je dois me rappeler de toutes mes forces que ce serait très irrespectueux. Je ne connais pas cette fille, on m'offre l'hospitalité, où sont passées mes bonnes manières ? Je fais demi-tour et me dirige vers le couloir qui baigne de lumière, qui se reflète en ombres rondes sur les murs pâles. J'entends soudain le moteur d'une voiture tout proche.

En arrivant dans la petite cuisine, un journal est posé sur l'une des deux chaises. Les meubles sont en bois, ça sent le café et je l'aperçois, de dos à moi, en train de préparer du café. Elle ne m'a pas vu et j'en profite pour observer cette pièce que je trouve minuscule. Je constate à quel point son père et elles ne semblent pas s'encombrer du superflu, il n'y a que l'essentiel ici. Une machine à café, de quoi faire griller le pain, un petit frigo, une table avec les deux chaises et voilà. La fenêtre est ouverte, au-dessus du lavabo. Pas d'objets de décoration ni de fleurs. Juste les outils fonctionnels basiques d'une cuisine équipée. La vue est belle, on voit les montagnes au loin et les rayons du soleil font entrer toute la chaleur et la lumière. On s'y sent bien. Sur la table, un poste de radio diffuse du Dolly Parton.

Je fais demi-tour, retourne dans le couloir, j'ouvre la porte de la chambre que je claque, je me mets à taper des pieds plus fort pour me faire entendre et j'entre dans la cuisine, embarrassé par mon petit manège que je trouve ridicule. Je ne saisis pas mon trouble : j'ai déjà traversé tout un tas d'épreuves et d'obstacles sur ma route, et voilà que boire du café avec elle me semble insurmontable. Elle sursaute et se retourne, un sourire sur la bouche. Ses cheveux chatain-blond ondulent légèrement, ils tombent sur ses épaules.

  • Bien dormi ? J'ai fait du café, si tu veux.
  • Je veux !

Elle rit devant mon enthousiasme.

  • Tu t'appelles comment ? je lui demande alors qu'elle remplit ma tasse et me la tend avec délicatesse.
  • Manon.
  • Enchanté, Manon. Tu vis ici avec ton père ?
  • Oui, je l'aide la plupart du temps.
  • Tu ne fais pas d'études ?

Elle se râcle la gorge et rougit.

  • Disons que les études et moi, ce n'est pas une grande histoire !
  • Pourquoi ? Il n'y a pas de quoi être gênée.
  • Je n'ai pas trouvé ce que j'aimais. Ca me plaît, d'aider mon père dans sa boutique. Mais ce que j'aime, ce n'est pas vraiment évident d'en faire son métier.
  • Tu écris, c'est ça ?
  • C'est ça, oui. Et toi ? Tu es un voyageur ?
  • Oui, je m'en vais vers l'Alaska. Mais avant ça, je vais descendre au Mexique quelques temps.
  • Qu'est-ce qui te plaît dans ce voyage ?
  • La solitude et l'éloignement de cette société.
  • Ca ne te fait pas peur ?
  • De quoi ?
  • La solitude ne te fait pas peur ?
  • Non.

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