La vie continue

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La nuit avait été interminable.

Marsh où es-tu ? Dans quels ennuis t'es-tu fourré ? Pourquoi me tiens-tu à l'écart ? Pour me protéger ?

Ou alors, as-tu trouvé d'autres bras pour t'enlacer, une autre bouche à embrasser ?

Je ne savais pas s'il était en danger, je ne savais pas où le chercher.

Ma peur était devenue viscérale, un boa constrictor dans le ventre qui s'enroulait de plus en plus fort.

Aucune larme dans mes yeux. Pourtant, à l'intérieur, ce n'était que torrents et geysers, un flux tumultueux qui avait perdu le sens de l'attraction terrestre. Je me noyais dans cette eau que nul ne voyait.

Le coyote s'en était aperçu et s'était collé contre moi. Bienvenue dans un monde de fantômes et d'ombres, Billy.

                    ***

Je fais taire la voix larmoyante qui tourne en boucle dans ma tête. Je suis ici pour le boulot. Il n’y a que cela d’important. Le reste, basta.

La signature à la librairie est prévue en fin d'après-midi, j'ai du temps à tuer. Je me prépare pour une grande balade avec Billy à Central Parc. Toujours autant de monde dans les rues. La frénésie a encore augmenté, je cherche les avenues les plus calmes, sans boutiques, donc sans grand intérêt pour les badauds et les futurs clients.

Il fait froid, un froid sec qui pique les yeux, qui modifie les couleurs du paysage pour les rendre encore plus nettes. Les rares passants qui nous croisent regardent Billy avec curiosité ou inquiétude, zut… J'ai oublié de déguiser ma sauvage bestiole. Je croise les doigts pour ne pas me retrouver face à une patrouille de flics et décide malgré tout de rejoindre le parc. Il faut que Billy se dépense et je connais des endroits discrets. Pour rentrer à l'hôtel, je trouverai une solution.

Enfin, nous arrivons, je cherche le sentier qui rejoint The Pool, bingo, il n'y a personne. Il n'y a que du blanc, du noir, du gris, mat. Plus rien ne scintille ici, tout est franc, dessiné, net. Le lac est immobile dans son enveloppe de glace, les saules pleurent, les branches décharnées rayent le ciel blanc. Les gratte-ciel se devinent à quelques pas, ce qui rend encore plus mystérieuse l'ambiance de l'endroit.

Billy s'est éloigné, attiré par les canards qui font des glissades sur le miroir. Je l'appelle. Il ne revient pas. Je siffle. Personne. Je ne peux m'empêcher de penser que tous ceux que j'aime se barrent en courant en ce moment. Hors de question de le perdre, lui aussi… Tout en courant, je continue à hurler son nom.

Je le trouve enfin, coincé dans un profond cours d'eau. Il a dû vouloir s'aventurer dessus et la glace s'est rompue. Une de ses pattes est bloquée, il gémit. J'essaye de le libérer mais c'est impossible. La panique me gagne, il faut que j'y arrive.

Enfin, il réussit à se désengager de ce piège acéré mais il est blessé. Une longue estafilade sanglante barre sa cuisse, il ne peut pas marcher. Billy pèse trop lourd, impossible pour moi de le porter.

Je l'emballe dans mon écharpe, l'attache à un tronc d'arbre, lui chuchote que je vais revenir, qu'il doit m'attendre, que ça va aller et je cours chercher de l'aide.

Le premier type que je croise me prend pour une cinglée. Il faut dire que ce doit être à ça que je ressemble : échevelée, trempée, hystérique, hurlant "My coyote is injured, help me, please".

Je regarde partout, il n'y a vraiment personne. Je vois une silhouette plus loin, je cours vers elle aussi vite que je le peux tout en essayant de réfléchir à quoi dire pour ne pas l'effrayer. Je bredouille un truc, je ne sais même plus si je parle français ou anglais.

  • Please, don't go ! Je suis désolée, ce que je vais vous dire va vous sembler foolish mais écoutez-moi, my coyote est blessé, il ne peut pas… walk et il est trop heavy pour que je le porte...Can you help me, please ?

L'homme me regarde interloqué et finit par comprendre ce que je balbutie tout en pleurant.

  • Ne vous inquiétez pas, j'ai compris et je vais vous aider. Où est votre animal ?

Tout en courant pour retrouver Billy, il m'explique qu'il parle français parce qu'il a vécu à Paris, il me dit aussi ce qu'il fait mais je ne l'écoute pas, je ne pense qu'à mon coyote.

Avec beaucoup de précautions, il regarde sa patte, détache la laisse et le prend dans ses bras. Billy se laisse faire. Il est courageux, mon sauveteur, d'oser s'approcher aussi près. Il me dit qu'il connaît un vétérinaire et qu'on va l'y emmener. On hèle un taxi, le chauffeur ne se rend même pas compte qu'il trimbale un chacal emballé dans une écharpe.

Le vétérinaire, prévenu de notre arrivée, me rassure. Il n'y a rien de grave, rien de cassé, il faut juste faire quelques points de suture. Billy boitera quelques jours mais il n'y aura pas de séquelles.

Je propose à l'inconnu de me raccompagner, il m'aidera, et je pourrai lui offrir un verre pour le remercier. Il a des obligations professionnelles et ne peut pas rester, il nous dépose à l'hôtel. Je l'invite alors pour la séance de dédicaces à la librairie et lui donne l'adresse.

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