Panthéon de Naguilé, Fluvie,

De nos jours.

  Dans l’une des salles du Temple d’Etinon, Lysa Kenshin apprenait à lire à un petit groupe d’élèves de première année quand le grand-mestre Jorangu arriva de son pas pressé. Pour ne pas la déranger dans son travail, il attendit la fin du cours au fond de la classe. Il était juste incapable de contenir sa joie.

  Après avoir libéré les enfants qui s’en allèrent en courant, Lysa se leva du tapis, épousseta sa robe grise et rejoignit son père qui trépignait d’impatience. Elle n’eut pas le temps de le questionner. Il lui attrapa les mains et lui annonça un large sourire aux lèvres :

 « La date de ton sacrement a été fixée ! Tu entreras dans les Ordres dans une semaine ! J’ai déjà demandé à ce que ta tenue soit nettoyée et Tala a promis de t’aider pour la répétition puisque je n’ai pas le droit de le faire.»

  Lysa accepta la nouvelle avec son flegme habituel. Cela faisait des années qu’elle se préparait pour cet événement. Elle connaissait les rituels et les chants par cœur. Elle avait tissé et cousu ses robes dans cet objectif : devenir une prêtresse d’Etinon. Elle était heureuse que la date soit enfin fixée, même si elle n’était pas aussi expansive que son père.

  Habitué à la réserve de sa fille, Jorangu se réjouit ouvertement pour deux. Il lui offrit son bras et l’accompagna dans la cour en lui détaillant le déroulement de la cérémonie. Il ne lui apprenait rien. Lysa savait déjà qu’elle serait purifiée puis bénie avant d’être présentée au jugement divin. Après cela, les dieux désigneraient le temple dans lequel elle officierait et l’on terminerait par des chants sacrés. Elle changerait de nom et commencerait son office, dédiant ainsi sa vie à autrui. C’était la vie qui l’attendait et qu’elle désirait depuis toujours, en toute simplicité et en toute humilité.

  Le Panthéon de Naguilé était le lieu parfait pour mener une vie sereine, où prier et accomplir les tâches de son temple étaient les deux principales activités. Les novices étaient chargés des tâches de nettoyage et d’entretien, ce qu’elle avait fait pendant dix ans. Il était temps de s’élever au rang de prêtresse, de participer aux célébrations religieuses et pas seulement à leurs préparatifs.

  Un novice les interrompit en pleine conversation pour rappeler au Grand-mestre qu’il était attendu. Jorangu abandonna soudainement sa fille, rattrapé par ses devoirs. Lysa le regarda courir dans sa toge blanche, un léger sourire aux lèvres. Son père avait gardé une âme d’enfant extraverti malgré ses hautes responsabilités. C’était aussi amusant que surprenant pour ceux qui connaissaient leur lien de parenté.

  Revenant à ses propres obligations, son regard se posa sur le Naga peint à l’intérieur des murs du Panthéon. Il était le protecteur de la Fluvie et le fondateur de la ville sainte où elle avait grandi. Il protégeait leur vie simple et garantissait la paix entre ces murs. La lumière joua sur ses écailles-miroirs et Lysa s’en trouva éblouie. Elle ferma les yeux, récita une courte prière puis retourna à ses tâches quotidiennes.

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  Sept jours plus tard, Lysa se réveilla aux aurores. Elle jeûnait depuis la veille et poursuivit sa démarche de purification dans le bassin de la Déesse-Fleuve. Toute la préparation se déroula au rythme des échos d’un bol chantant. La novice fut lavée puis habillée des dix robes symbolisant chaque temple majeur. De petites clochettes dorées, qui contrastaient avec l’ébène de sa chevelure, furent accrochées aux mèches tressées de son chignon. Pour terminer, aucune poudre, aucun onguent ne fut déposé sur sa peau délicate afin qu’elle présente aux dieux son vrai visage.

  Pendant cette cérémonie préparatoire, Lysa se trouvait dans un étrange état d’excitation contenue. Elle était toujours si réservée qu’on la croyait indifférente aux préoccupations terrestres. Elle était pourtant dotée d’une incroyable sensibilité et du don si particulier de voyance. Les aînés entretenaient avec sagesse sa connaissance du monde spirituel. Néanmoins, l’acuité de son pouvoir l’obligeait à se montrer distante. Bien qu’elle ne puisse pas voir son propre destin, celui de ses contemporains ne lui échappait guère. Lysa fut contrainte de se fermer un peu plus à son environnement pour ne pas se laisser envahir par de nouvelles visions au contact des aidantes.

  L'habillage achevé, encadrée par deux prêtresses de Sofine, Lysa se dirigea vers la Porte-Monde à l’autre bout du Panthéon. Les clochettes de sa chevelure rythmèrent leur marche lente. De part et d’autre de la voie centrale, une foule de religieux et de curieux bordait le chemin. Les commérages ne tardèrent pas à parvenir aux oreilles de Lysa.

  D’ordinaire, plusieurs novices étaient sacralisés en même temps. Exception faite, Lysa était la seule à se rendre au cœur du sanctuaire ce jour-là. Les gens en parlaient. Lysa les entendit mais n’y prêta pas attention. Cela n’était pas de son ressort. Elle n’avait pas choisi le jour. Même si son père était à la tête de la cité, il n’était pas le seul juge du conseil sacré. Les grand-mestres avaient évalué qu’il était temps pour elle de prononcer ses vœux : point besoin d’épiloguer. Lysa avançait la tête haute vers son destin, fière d’avoir achevé son noviciat avec les honneurs.

   La Porte-Monde apparut soudainement au bout du chemin. Lysa fixa son objectif et devint fébrile. Le grand moment approchait. Le Pilier Céleste de Naguilé, l’un des dix passages vers la dimension divine, était situé de l’autre côté de la Porte-Monde. Les deux battants bleus parfaitement lisses étaient fermés par une serrure magique que seul le grand-mestre Jorangu était apte à débloquer. Ce dernier les attendait dans ses beaux habits blancs, escorté par les doyens de chaque temple majeur.