Tout feu tout flamme [1/6]

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Duché de Kolp-Réanne, Limcorie,

De nos jours.


Il fait si froid. Elle grelotte et se recroqueville au milieu de la pièce en espérant garder un peu de sa chaleur. Sa fine robe de toile lui colle à la peau. Tout est humide et froid. Sa respiration fait de la vapeur. L'eau qui suinte des murs est glacée et mauvaise. Sa dernière tentative d'hydratation s'est soldée par des vomissements. Pourtant elle aurait bien aimé calmer les gerçures de ses lèvres. Rien qu'un tout petit peu.

Elle redresse vivement la tête. Il ne faut pas qu’elle s’endorme. Son corps semble peser de plus en plus lourd mais elle continue de lutter contre le sommeil. Il fait si froid. Elle frissonne et se recroqueville un peu plus. Elle ne doit pas s'endormir parce qu'ils vont revenir. Ils vont revenir et l'emmener. Ils vont l’emmener et lui faire toutes ces choses qui font mal.

Son ventre lui fait mal. Il est creux et se tord, la fait souffrir. Quand a-t-elle mangé pour la dernière fois ? Elle serre ses bras contre son corps maigre. Elle ne doit penser ni à la faim ni aux friandises dont elle a oublié le goût mais dont le souvenir la fait saliver. Elle passe sa langue sur ses lèvres puis mordille machinalement les petits bouts de peau qui s'en détache. Un goût de sang envahit sa bouche tandis que le claquement d'une porte la fait sursauter. Ils arrivent. Les monstres reviennent.

*

  Un craquement suspect l'éveilla. Arya ouvrit les yeux et balaya son environnement. Sa jument broutait à deux pas. Ses sabots broyaient les branches sèches qui tapissaient l’ombre du grand chêne. Le cœur battant la chamade et légèrement paranoïaque, la jeune fille vérifia que personne ne la guettait dans les fourrés. Dans un soupir, elle se rassura. Il n’y avait aucun être humain dans les environs. Le chuchotement du vent dans les arbres était apaisant. Arya l’écouta le temps que le calme revienne dans son cœur. Ses cauchemars la mettaient toujours en situation de combat. C'était harassant.

  En prenant conscience du goût de sang dans sa bouche, elle porta la main à ses lèvres. Elle s'était encore mordue dans son sommeil. Agacée, Arya s'essuya sur sa manche avant de se remettre sur ses pieds. S’assoupir contre un chêne noueux n'était pas la meilleure idée qu'elle avait eue. Elle s'étira pour détendre ses muscles endoloris et fit quelques pas. Elle détestait s’endormir en pleine journée. Surtout quand cela ne lui épargnait pas de refaire constamment les mêmes rêves dérangeants.

  Arya se fit violence et se focalisa sur autre chose. Esquiver ses idées noires commençait à devenir une seconde nature. Elle leva la tête vers le ciel et abrita ses yeux. La journée promettait encore de longues heures d'ensoleillement, mais peut-être qu'il était temps de rentrer. Elle avait échappé à la surveillance de ses chaperons depuis plusieurs heures. Si Maï avait été mise au courant de sa nouvelle escapade en solitaire, elle devait sûrement être morte d’inquiétude. Arya sourit en y pensant puis siffla sa jument qui se rapprocha tranquillement. Arya se remit en selle avec souplesse et reprit le chemin de la ville.

  À environ un kilomètre de la forteresse grise de Kolp-Réanne, Arya marqua un arrêt le temps de remettre son capuchon. Elle préférait se montrer discrète sur la route qui liait la capitale au reste du pays. Le trafic n’était pas très dense, mais autant éviter de perdre du temps en salutations. Elle détestait les obligations royales. Même si les Limcoriens étaient un peuple des plus sympathiques, qu’ils passaient pour des barbares et des arriérés aux yeux du reste du monde, Arya était tenue de faire honneur à son rang de pupille.

  Dans l’anonymat de la cité, personne ne fit attention à la cavalière encapuchonnée. La foule du marché lui permettait de passer inaperçue tant qu'elle ne bousculait aucun passant. Tout se passa à merveille,  jusqu’à ce qu’elle arrive à la guérite des portes de la deuxième enceinte et que le chef de la garnison lui barre la route avec autorité.

 « Hé bien ! Que fait notre chère La’ori en promenade, sans escorte ni chaperon ?»

  Arya sortit son sourire le plus espiègle pour répliquer au commandant tout en immobilisant sa monture. La réprimande était justifiée. On lui avait suffisamment répété qu'il ne fallait pas qu'elle sorte seule.

 «Je ne suis pas d'accord, commandant. Je suis avec Nara. Elle est d’ailleurs très vexée que vous ne reconnaissiez pas ses talents de chaperon. Vous l'avez si bien dressée à me suivre partout dès que je mets un pied hors du donjon. C’est une insulte que vous lui faites ! Pauvre Nara, ajouta-t-elle en flattant son encolure. On ne te juge pas à ta juste valeur.

 — C'est de votre faute, La’ori ! Même les chiens perdaient votre trace ! Il a bien fallu trouver une solution ! À ce propos, je ne sais pas comment Nara fait pour vous retrouver à chaque fois. L’auriez-vous ensorcelée ?

 — Pour cela, il faudrait que cela fasse partie de mes talents, ce qui n’est pas le cas donc… Auriez-vous la gentillesse, honorable commandant, de me céder le passage afin que j’aille rassurer notre Reine bien-aimée ?

 — Avec plaisir, La’ori, répondit-il en s’écartant, si vous le demandez avec tant de grâce. Robein ! Sully ! Raccompagnez La’ori jusqu’au donjon. Et ne la perdez pas de vue cette fois. »

  Les deux soldats descendirent du chemin de ronde et se présentèrent au garde-à-vous en face de leur commandant. Arya soupira en se retenant de lever les yeux au ciel pour cette escorte de dernière minute.

 « Je me souviendrais de ce coup bas, messire.

 — À votre aise, La’ori ! Vous n’imaginez pas le souci que cela nous cause quand vous disparaissez. Rentrez bien et saluez Maï’al de ma part.

 — Ce sera fait. Bonne journée, commandant. »

  Les deux missionnés encadrèrent la monture de la princesse et Sully le Balafré saisit la bride de la jument pour la mener à son rythme et empêcher la jeune fille de prendre la fuite comme la dernière fois. Après cela, Arya soupira et se tint sagement à sa selle pour le reste du voyage. Ils passèrent les deux dernières enceintes sous les rires de leurs camarades, avant de parvenir au cœur de la ville.

  En les voyant, le donjon circulaire ouvrit ses portes. Arya remarqua qu'on l'attendait de pied ferme. Visiblement, quelqu’un avait prévenu ses compagnons de jeu qu’elle avait refait surface. Ju et Jaen, les fils de Kol Maceri, l'actuel roi de Limcorie semblaient plutôt contents de la revoir, et pas trop rancuniers.

 « Déjà rentrée ? plaisanta Ju, l'aîné, les poings sur les hanches tandis qu’elle mettait le pied à terre. On pensait que tu avais pris des vacances ! Je suis déçu de ne pas avoir reçu de courrier.

 — Ne l’écoute pas, La’ori. Tu as passé une bonne après-midi ? demanda Jaen, de quatre ans le cadet, en bousculant son frère.

 — Excellente, badina-t-elle en ignorant la pique du grand blond tout en défaisant les liens de son capuchon pour libérer sa crinière sanguine. Et vous ?

 — Parfaite, lui répondit Jaen. Le maître d'armes ne nous a pas lâché une seconde.

 — Rose t’attend depuis plus d’une heure, reprit Ju en évinçant son frère du chemin, alors presse-toi ! Ou bientôt, ce sera Mère qui t’y mènera.

 — Cesse de me retenir dans ce cas, et retourne batailler avec ton épée de bois ! Je n'ai que faire de ton avis !

 — Mais qu’est-ce ? simula Ju en se touchant la poitrine. Viendrais-tu de me briser le cœur ?

 — Pour cela il faudrait que tu en aies un et que tu t’en serves ! »

  La conclusion fut faite sur une courbette irrévérencieuse. Arya arborait le sourire en coin qu'elle réservait à ses moments de bouffonnerie. Sans attendre la répartie de Ju, la demoiselle abandonna les deux princes et courut jusqu'à ses appartements, distribuant des sourires sur les visages des domestiques habitués à son impétuosité.

 « Tu t’es encore fait refouler, souligna Jaen en pouffant.

 — Ta perspicacité m’étonnera toujours, mon frère. »

  Ju fixa la silhouette d’Arya jusqu’à ce qu’elle disparaisse, lui laissant un sourire idiot aux lèvres. Même si la pupille de son père ne s'en rendait pas compte, sa tenue de cavalière la rendait incroyablement désirable. Son corset de cuir cintrait sa taille fine, soulignant sa petite poitrine. Il trouvait juste dommage qu’elle cache sa gorge délicate sous une si grande chemise. Dans un soupir, il se réconforta en suivant la courbe de ses hanches, moins osseuse depuis quelques mois.

  Jaen brisa ses rêveries en le bousculant à son tour. Il se moqua de lui et les deux frères partirent en courant, l’un poursuivant l’autre jusqu’au terrain sableux où ils reprirent leurs bâtons d’entraînement.

Ж

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