De l'art de se faire remarquer [3/4]

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*

  Au centre de la salle où convergeaient les gardes, Tobias termina le tracé de son sort et l'activa aussitôt :

 « Traîtres à la couronne de Larfonie, tueurs dans l'esprit, par les airs les coupables sont pris. »

  Un cercle magique bleuté apparut sous le prince. Des liens surgirent du sol et parcoururent l'assemblée pour saisir et soulever tous les complices dans l'enceinte du palais. Certains avaient tenté de fuir mais le sort du prince les rattrapa. Il avait préalablement désactivé les bloqueurs de magie afin que son plan fonctionne.

  Les lumières furent rallumées. Lizebeth constata l'ampleur du complot. Une vingtaine de personnes flottaient dans les airs. Ses yeux reflétèrent toute sa colère. Gardant un calme apparent, le visage découvert, elle s'approcha et jaugea le Premier Ministre avant de le condamner à mort pour haute trahison. Il avait bafoué la plus haute fonction après la sienne. C'était une honte et un coup dur pour l’État.

   Le Premier Ministre ne chercha pas à rejeter la faute sur un autre. Il nourrissait une telle haine pour la reine qu'il l'insulta et la menaça de répercussions plus grandes encore. Visiblement, il digérait mal le fait que sa tentative ait échoué.

 « Vous tomberez ! Vous et toute votre famille ! Vous serez décimé ! Mort aux Shahama ! Mort à l'Usurpatrice ! »

  Les gardes le firent taire après l'avoir menotté. Il aurait droit à une exécution en place publique pour l'exemple. Personne n'était au-dessus des lois. Les autres complices furent arrêtés et enfermés. Ils seraient jugés selon leur degré d'implication dans le complot et destitués de leurs fonctions. Cette rébellion marquerait la déchéance de certaines familles de l'aristocratie et de la grande bourgeoisie.

   Le Dauphin annula son sortilège une fois tous les traîtres interceptés. Il rejoignit ensuite sa mère pour la confronter à ce qu'il venait de se produire et à la façon dont cela avait été résolu.

  « Regrettez-vous de m'avoir écouté ?

  — Non, mon fils. Dorénavant, je porterai une oreille plus attentive à vos paroles. »

  Le Dauphin baisa la main de sa mère puis chercha la reine de la nuit dans la foule. Il ne l'y vit pas et soupira de soulagement. Tony avait pu profiter de la cohue pour s'enfuir. Il était certainement déjà dans sa taverne préférée à siroter une bonne bière pour fêter sa victoire.

  Satisfait, le prince allait retourner divertir la cour, afin de l'aider à se remettre de ses émotions, quand sa mère le retint.

 « Tobias ! Une question, encore.

 — Oui, Mère ?

 — Qui as-tu convaincu de prendre ma place ?

 — Si je vous le disais, vous ne me croiriez pas. Sachez simplement que c'est un ami de longue date. Il vous est fidèle et le restera jusqu'à sa mort. »

  Elle se contenta de cette explication et relança la musique. Cependant, l'ambiance ne retrouva pas son élan festif. Tout le monde était choqué par ce qu'il venait de se produire. Un groupe avait tenté d'assassiner la reine en pleine réception. Lizebeth rassura les députés. Le Dauphin utilisa ses plus belles manières pour rassembler les invités et les flatter, les remercier, les féliciter. La fête fut tout de même abrégée et un colloque général fut organisé dans la semaine.

   Suite à ce complot, Lizebeth concéda à Tobias un peu plus de libertés et de pouvoir au sein du gouvernement. Il était toutefois restreint à des affaires mineures. Cela ne fit que l'encourager dans ses démarches. Avec l'aide de son précieux demi-frère, il usa de son influence et de ses pouvoirs pour asseoir un peu plus le règne de sa mère. Il renforça ses visites et ses actions caritatives, il prit part personnellement à différents rites et autres célébrations populaires. Jamais la famille Shahama ne fut tant aimée qu'à la période où le Dauphin Tobias-Argan donna de sa personne pour le bien-être du royaume.

   Pourtant, les actions du prince n'apaisèrent pas les anciennes rancœurs. Les attaques incessantes du roi d'Aptan, leur voisin au bord de la faillite, poussèrent la Reine à rassembler ses vassaux. Une nouvelle guerre se profilait. Tobias fut sommé de prendre la tête des armées.

  Dans l'esprit de la Reine-Mère, l'héritier était présent pour la façade, pour le moral des troupes. En aucun cas, sa sécurité ne devait être mise en péril. Le regroupement des armées ne devait être que dissuasif. Il fallait se montrer fort face au roi Bürnen et tout mettre en œuvre pour ne pas s'engager dans une guerre sans fin.

   Malheureusement, le souverain aptan ne semblait pas dans les mêmes dispositions. Il bénéficia d'un support financier et logistique imprévu et inconnu. Il renvoya les émissaires dans des cercueils. Il brûla les traités de paix et rejeta toute forme de négociation. Et comme si le message n'était pas assez clair, un assaut nocturne prit les larfoniens au dépourvu.

   Les sentinelles sonnèrent l'alarme dès que l'ennemi fut en vue. Néanmoins, les soldats manquèrent de temps pour se mettre en position. La débâcle n'était pas loin. Le Dauphin fut tiré du lit par le fracas des armes. Ses protecteurs cherchèrent à l'évacuer suivant les ordres de la reine. Il s'y opposa.

  Dans l'urgence de la situation, Tobias prit la tête des troupes et mena la contre-offensive. Quand les soldats aperçurent l'armure étincelante du prince chargeant l'ennemi, cela leur insuffla le courage nécessaire pour se rassembler et le suivre. Certains vous diront que Pégasus en personne protégeait l'héritier de la couronne et les mena à la victoire. Malgré de lourdes pertes, les larfoniens parvinrent à repousser les aptans et à faire prisonniers quelques-uns de leurs officiers. Le Dauphin en réchappa avec des égratignures bénignes et le respect des guerriers de son armée.

   Lorsque la reine reçut les nouvelles du front, elle vieillit de dix ans et ordonna le rapatriement immédiat du Dauphin ainsi que le rassemblement de tous les généraux. La guerre serait menée depuis la capitale. Les hauts gradés remplaceraient l'héritier sur le champ de bataille. Les villes frontalières passèrent sous loi martiale et érigèrent leurs défenses. Les mages-guerriers furent appelés à combattre et les conscrits de seize à quarante ans furent enrôlés. La frontière fut entièrement mise sous surveillance et plus aucun commerce ne fut autorisé entre les états.

  Retiré du front contre son gré, l'héritier fut enfermé dans ses quartiers et placé sous haute surveillance. Ses appartements furent magiquement isolés, toute forme de magie bannie. Tobias se perçut plus prisonnier que protégé. Il demanda de nombreuses entrevues avec sa mère, à chaque fois refusées.

 « Vous serez libéré à la fin de la guerre. Votre vie ne peut être mise en danger. Vous êtes l'avenir de ce royaume, Tobias. Vous envoyer en première ligne fut la plus grosse erreur de ma vie. »

   Voici la seule explication qu'il obtint de sa mère, et par simple billet encore. Entre colère et frustration, Tobias tourna en rond comme un étalon en cage. Il finit par se calmer en trouvant refuge dans les études, comme toujours, mais cela ne réglait pas les problèmes du pays. Ni Bürnen ni Lizebeth ne lâcherait un pouce de terrain. Cela faisait trop longtemps que les relations étaient tendues entre les deux royaumes. La situation finit par se scléroser au bout de plusieurs semaines. Aucun des camps ne parvenait à prendre le dessus sur l'autre et chacun campa et solidifia ses positions.

   Tobias ignorait l'origine du conflit entre la Larfonie et l'Aptan. La prospérité de l'un avait augmenté la colère et l'incompréhension de l'autre. Il y avait des décennies que le Traité des États du Sud ne servait plus à protéger les nations fondatrices. Autrefois, Aptan fournissait les matières premières extraites de ses sols, la Larfonie fournissait les chevaux, les transports et transformait les richesses minières en œuvres d'art, tandis que la Léovie était le garde-manger des trois états. Aujourd'hui, chacun cherchait à tirer la couverture à soi, et ce depuis la série d'épidémies et de famines qui avaient successivement touché les trois membres du traité. Bien que les relations entre la Léovie et la Larfonie soient plutôt courtoises, les échanges restaient limités. Chacun faisait sa vie dans son coin en s'efforçant d'être le plus autonome.

   D'un autre côté, sa mère redoutait qu'il soit tué au combat ou assassiné, ce qui lui retirerait tout droit au trône. Il était évident que Lizebeth ne lâcherait pas le pouvoir avant d'avoir conformé son dernier fils à sa vision du monde. Tobias avait conscience de ses attentes. Il savait également qu'il ne les atteindrait jamais comme elle le voudrait. Il était un amoureux des arts, pas un chef d'état. Une fois que l'on a fabriqué une plume, on ne peut plus façonner une épée. S'il avait pris la tête des combats, c'était avant tout pour sauver sa vie, celle des soldats du camp et ne pas passer pour un lâche. Le Dauphin avait du répondant, il savait convaincre les gens par le mot et le geste, pas par la force. Il n'avait aucune chance contre sa mère s'il l'attaquait de front. Peut-être que les traités internationaux l'aideraient à trouver un plan, car pour l'instant, sa mère s'obstinait à refuser tout entretien.

  « Votre Altesse ? Le dîner est servi. »

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