Bottin mondain [2/5]

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  Derrière les hautes portes, la délégation se concentra à l’intérieur d'une grande cour pavée. Les limcoriens mirent pied à terre sans attendre les consignes de Bolt. Ju proposa son aide à Arya pour démonter mais elle sauta de selle avant même qu’il se soit approché. Il détestait la voir dans cet état, complètement hermétique, refusant tout contact. C'était le terrain idéal pour une perte de contrôle et c'était ce que tous redoutaient.

   À l’opposé de la grande porte, un homme en tunique bleue les attendait sous une arche. Derrière lui, une autre cour, boisée en son centre, plus petite mais aussi propre et accueillante que la précédente permettait d'accéder au reste de l'Université.

  « Une belle journée à vous, mes seigneurs, les salua-t-il. Je suis Nolan, votre guide. »

  Ju aurait bien voulu faire une nouvelle remarque mais Arya n'était toujours pas disposée à dialoguer. Alors la délégation entière resta silencieuse. Nolan leur demanda de laisser leurs bagages sur place et de le suivre à pied, quelqu'un se chargerait de leurs effets personnels. Disciplinés, les guerriers s'organisèrent autour des personnalités royales. Le guide sentit l’atmosphère tendue du groupe et fit preuve de douceur et de bienveillance tout au long de sa visite commentée. Cela n’y changea rien. Bolt, contaminé par le mutisme du groupe, s’esquiva discrètement en chemin.

   Après un tour rapide des principales architectures de l'Université, la délégation fut introduite dans le bâtiment réservé à la noblesse. Un chemin joliment bordé de fleurs blanches menait jusqu’aux deux tritons gigantesques qui ornaient le porche monumental. Les limcoriens furent grandement impressionnés car ils étaient habitués à plus de simplicité. En revanche, rien ne perturba Arya qui garda les mâchoires et les poings serrés jusqu'à ce qu’ils entrent dans les appartements qui leur avaient été réservés au premier étage.

   Nolan ouvrit les portes et les limcoriens se dispersèrent à l'intérieur. L'endroit était très spacieux. Ils n'eurent pas à se plaindre. Chacun avait sa chambre individuelle, à l’exception des écuyers qui devaient se partager une chambre. Il y avait de quoi jouer, lire, se distraire, manger, se laver et bien plus encore dans les différentes pièces de l'appartement. Les nouveaux arrivants firent le tour du mobilier et des différentes pièces mises à leur disposition. Comme des enfants découvrant le monde, ils posèrent de nombreuses questions sur les utilisations magiques ou non des accessoires. Nolan leur répondit humblement. Arya fut la seule à ne pas participer. Elle prit congé de leur guide dès leur arrivée, s’appropria une chambre et s'y enferma.

   Une fois seule, Arya s'allongea sur le lit et se recroquevilla en chien de fusil. Les questions se répétaient à l'infini sans trouver de réponse. Pourquoi avait-elle été prise d’un tel malaise ? Pourquoi se sentait-elle épiée ? Pourquoi est-ce qu’elle allait tout le temps mal ? Une migraine ne tarda pas à s'installer. Elle ferma les yeux et s'obligea à ne penser à rien. Ainsi, elle sombra quelques minutes dans un sommeil léger. Arya se réveilla en sursaut quand Ju pénétra dans la chambre après avoir toqué, pour s'assurer qu'elle allait bien.

 « La'ori ?

 — Dit à Lauriane de préparer le bain et une tenue pour ce soir.»

   Arya irait au dîner mondain. Elle n'y allait pas pour y faire sa présentation. Elle s'y rendait pour voir dans quel nid à serpent elle débarquait. Ju acquiesça à son ordre et sortit sans insister. Il fit passer le message et Lauriane revint simplement en fin de journée toquer à la porte de la princesse. Seulement alors Arya s'arracha à sa prostration et sortit de la chambre.

   Ses compagnons s’occupaient en faisant mine de ne pas la regarder. Jouer aux cartes paraissait alors une affaire extrêmement sérieuse. Ceux qui discutaient entre eux en buvant une bière ne se rendaient pas compte qu’ils menaient un dialogue de sourds, trop occupés à surveiller le passage de leur princesse. Arya s’en voulut rapidement de les inquiéter autant, mais le maître de musique l’avait décontenancée et elle peinait à se remettre d’aplomb.

   Malheureusement, elle ne fut pas de meilleure disposition quand elle découvrit ce qui l'attendait dans la salle de bain. Un coup d’œil lui permit de comprendre que personne n'avait été mis au courant de son rituel. Pourquoi Lauriane ne leur avait rien dit ? Trois servantes l’attendaient pour s’occuper d’elle. Des inconnues. Arya secoua la tête en luttant contre son envie de fuir à toute jambe se réfugier dans sa chambre. Prenant sur elle et affichant un calme qu’elle était loin de ressentir, Arya se planta impérieusement à l’entrée de la pièce. Elle demanda ensuite aux trois servantes de sortir. L'une d'elles exprima son incompréhension :

 «Nous sommes uniquement là pour prendre soin de vous, madame.

 — Je suis tout à fait capable de prendre soin de moi. Je vous appellerai quand j'aurai besoin de vous.»

   Arya fit sortir les demoiselles qui se pressèrent dans des pépiements curieux. Pourquoi les faisait-on sortir ? Ce n'était jamais arrivé avant. Qu'est-ce qu'elles avaient fait de mal ? Arya demeura sourde aux questionnements. Elle poussait la porte pour la refermer quand Laurianne la retint pour se faufiler dans la salle de bain. La sortie des servantes l'avait alertée.

 «Quelque chose ne va pas La’ori ?

  — J’ai besoin d’être seule. Sors.

  — Dans votre état ? Cela m’étonnerait.»

   La voix douce de sa suivante faillit faire pleurer Arya. Il lui fallut prendre une bonne inspiration afin de lui avouer qu'elle en avait vraiment besoin. Lauriane resta plantée là, elle n’avait pas l’intention de sortir. Ce qu’elle pouvait être agaçante parfois ! Arya lui fit complètement face et s'écria sans colère :

  « Qu’est-ce que tu n'as pas compris dans ce que je viens de te dire ?

 — Oh ! C'était très clair. Vous pouvez refuser la présence des servantes mais vous ne rejetterez pas la mienne. J'admets avoir commis une erreur en confiant votre toilette aux domestiques, mais je vous connais suffisamment pour savoir que vous avez besoin d’attention et de douceur. Je suis prête à m’occuper de vous aussi longtemps qu’il le faudra. Vous êtes bouleversée et ce nouvel environnement n’est pas pour vous apaiser. »

  Lauriane avait complètement raison mais Arya ne l’avouerait pas et préféra rendre les armes :

 «Peux-tu trouver quelque chose pour rendre l'eau moins transparente ? »

  Lauriane se montra astucieuse. Elle fit un tour rapide de la pièce pour trouver ce qui conviendrait. L'instant suivant, la dame tournait le dos à la princesse pendant qu’elle retirait ses vêtements et se plongeait délicatement dans l'eau encore chaude du bassin incrusté dans le sol. Une fois installée, Arya lui donna l'autorisation de vaquer à ses devoirs. Le linge sale fut ramassé, les draps de bain furent préparés puis Lauriane s'approcha avec le nécessaire de nettoyage.

  «Me permettez-vous ?

 — Non ! s’écria vivement Arya en prenant ses distances.

 — Me faites-vous donc si peu confiance ?

 — Ce n'est pas ça... Je… »

  Sentant son visage rougir, la princesse s'immergea complètement dans le bain. Lauriane soupira en trouvant sa réaction puérile. Que faudrait-il pour convaincre La'ori de la laisser faire sans crainte ? Une idée lui vint et elle tapota l'épaule de l'apprentie sirène qui remonta à la surface.

  «Qui préférez-vous appeler pour votre toilette ? Le prince Ju ou Jaen ? »

   Arya éclaboussa Lauriane en lui interdisant de faire entrer un homme dans cette pièce. La dame se mit à rire puis attrapa un tissu de bain pour frotter doucement la peau de la princesse qui se laissa faire en ronchonnant. Avec délicatesse, Lauriane brossa la chevelure princière et se montra pleine de tendresse. Arya se détendit un peu et profita finalement du bain après une semaine de navigation.

   Plus détendue une fois habillée de sa robe à la lévite en velours bleu nuit et satin pastel, Arya laissa Lauriane choisir la coiffure, le maquillage et la touche de parfum. Elle caressa délicatement les broderies florales de la large ceinture de tissu puis hocha la tête devant le miroir.

  « C’est correct. »

   Quand la princesse sortit de la salle de bain, les hommes se tournèrent vers elle et se turent. Ju siffla d'admiration puis lança avec son humour habituel :

  «Tiens, te voilà une vraie dame ce soir ! »

   Spontanément, Arya lui promit une déculottée sur le terrain d’entraînement. La remarque fit sourire les compagnons et tout le monde respira. Il n’y aurait pas de catastrophes ce jour-là. Lauriane ajusta le col haut d’Arya pour cacher au mieux les cicatrices sur sa nuque puis s'adressa à la compagnie.

  « Allons ! Je veux un volontaire. Il faut un cavalier pour La'ori ce soir. »

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