Début de partie [3/5]

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  Arya s'était sentie observée et n'avait pas supporté cette pression supplémentaire. Le malaise de ses derniers jours ne la quittait plus, malgré de bons moments qui lui permettaient de ne pas trop y penser. Le Dauphin tourna la tête dans la même direction et ne sut pas ce qu'elle regardait car le mystérieux voyeur s'était fondu dans la masse de visages tendus vers le Gardien. Arya soupira, se demandant un instant si elle n'avait pas rêvé. Tobias lui demanda doucement si quelque chose la dérangeait et elle le rassura comme elle le faisait toujours, refoulant ses soucis pour ne pas inquiéter outre mesure les personnes qui avaient le malheur de la côtoyer.

   Le Gardien continuait de débiter son discours avec emphase :

 « Pas de magie pour cette première épreuve. Nous allons évaluer vos connaissances théoriques. Pour cela, vous serez séparés les uns des autres et vous répondrez à un questionnaire. Ce questionnaire terminé, vous aurez réussi la première épreuve. La seule condition pour échouer : l'utilisation de n'importe quelle forme de magie. Des juges seront chargés de vous surveiller et de désactiver votre case en cas de tricherie.»

  Les têtes se levèrent. Les arbitres s'étaient perchés au sommet des colonnes à l'appel du Gardien. Les candidats furent rapidement alignés sur un quadrillage imaginaire puis les juges exécutèrent de grands moulinets de bras. Des tubes sortirent de terre et isolèrent chaque participant.

  Arya se sentit aussitôt trop à l'étroit et sa respiration s'accéléra. Tous ces cauchemars lui revinrent en mémoire. Le froid. La solitude. La peur. La tête lui tourna, son estomac se serra. Elle ferma les yeux et tomba à genoux en souhaitant de toutes ses forces être ailleurs que coincée dans cette boite.

  Claustrophobe ? À peine.

  Après un léger vertige, elle ouvrit un œil. Les murs affichaient une jungle tropicale. Elle attrapa le paquet de feuilles qui planait en silence, attendant d'être saisi. Une plume et un encrier apparurent sur le sol et elle s'assit en tailleur pour répondre.

  Les juges désactivèrent les premières cellules. Les malheureux furent raccompagnés à la sortie et on leur souhaita bon retour chez eux. L'un des surveillants était particulièrement intransigeant. Il désactivait les cases dès qu'un critère ne correspondait pas à la vision du Gardien. Arya finit par attirer son regard inflexible. Il la fixa un moment puis leva le bras pour la déconnecter, mais la juge la plus proche l'en empêcha.

  « Observez, mon ami, cette jeune fille est simplement dans un état d’extrême concentration. C’est stupéfiant de rencontrer un esprit aussi vif et cultivé.»

  On garderait un œil sur elle. Dès les premières épreuves, il était possible de repérer quelques perles. Luménor en apprécia quelques unes et particulièrement le garçon à la chevelure blanche qui lui rappelait étrangement quelqu'un.

  La vague de disqualifications passa puis les cellules commencèrent à briller les unes après les autres, au rythme où les candidats achevaient la lecture du questionnaire. Lorsque la dernière se fut illuminée, une trompette sonna et les cellules retournèrent dans le sol. Les juges s'inclinèrent vers le Gardien puis sautèrent au bas de leur colonne. Les rescapés de la première épreuve se dévisagèrent un petit moment puis Luménor et tous les spectateurs applaudirent. Le Gardien libéra les candidats et leur donna rendez-vous le lendemain matin, même lieu, pour se mesurer à la deuxième épreuve.

  Tandis que la place et la tribune se vidaient, Tobias salua élégamment Arya d’une petite révérence et se fondit dans la foule. Elle lui répondit d’un signe de tête et rejoignit ses frères.

 «Tu t'es pas foulée, ça va ? la harangua Ju avec toute sa délicatesse. »

  Arya lui donna un coup de poing dans l'épaule puis attrapa les deux frères par le bras pour les entraîner vers leur appartement. Son estomac criait famine, comparé aux leurs déjà bien remplis. Elle ne leur en voulait pas de s’être rassasiés pendant qu’elle…

  Arya s’immobilisa en prenant soudainement conscience qu’elle ne se souvenait pas de ce qu’elle venait de faire. Les garçons la regardèrent avec étonnement et Ju lui demanda joyeusement :

 « Il y a un problème ? »

  Elle aurait bien aimé le savoir. Elle se souvenait d’avoir eu peur, d’avoir fermé les yeux, souhaité être ailleurs, puis plus rien. Mais comment leur expliquer cette nouvelle absence ? Arya prit sur elle pour ne pas les inquiéter et répondit avec entrain.

 « Aucun ! Je réfléchissais à ce que j’allais manger. Vous m’accompagnerez bien ?

 — Évidemment ! »

  L’affaire se conclut par l’appel du ventre. Une fois les deux princes lancés sur le sujet de leur deuxième déjeuner, Arya se plongea dans l’analyse des derniers événements, sans parvenir à se remémorer quoi que ce soit et cela l’agaça. Pour se calmer, elle proposa un après-midi d’échauffement sur le terrain accessible aux candidats, juste à côté de la place d’examen. Un peu d'exercice ne lui ferait pas de mal.

*

  Hevlaska avait donné rendez-vous à son protégé entre les murs de leur chambre pour discuter paisiblement de ses premières impressions. Quand ils s'y retrouvèrent, le jeune homme avait apporté de quoi se rassasier et mangea avec appétit. La discussion fut tranquille pour une fois, et Talin se détendit au point d’être légèrement déstabilisé quand la vieillarde s'arrêta sur un point en particulier.

 « Tu as déjà rencontré Luménor auparavant, pas vrai ?

 — Le Gardien ? Non, jamais. Pourquoi ?

 — Il te connaît pourtant. Tu es sûr de toi ?

 — Oui, m'dame. Impossible d'oublier une face aussi ridée que la sienne. Je ne savais pas que c'était possible de faire pire que vous. »

  La canne fendit l'air. Talin s'était téléporté plus loin et ricanait. Elle l’avait loupé. Hevlaska sourit malgré son échec. Il avait de bons réflexes ce petit, même si cela lui retirait le plaisir de le rosser.

  Passé ce petit jeu, elle lui expliqua sérieusement la raison de son questionnement et demanda au jeune homme de fouiller sa mémoire à la recherche d’indices qui l’aiderait à comprendre. Docile, il se plia à l’exercice.

 « Non, vraiment, je ne vois pas. La routine était stricte, on pouvait difficilement en sortir sans être puni. Il valait mieux rester dans les rangs et ne pas se faire remarquer.

 — Personne n'est venu visiter les lieux où tu recevais ton éducation ?

 — Plusieurs fois, mais il n'y avait pas de vieillard.»

  Talin attrapa son dernier morceau de viande séchée tandis que la voyante s'asseyait par terre en traçant des lignes à la craie sur le sol.

 « Qu'est-ce que vous faites ? demanda-t-il en mastiquant.

 — Va donc prendre l'air quelques heures.

 — Vous me mettez dehors comme ça ? Sans explication ?

 — Oui. Maintenant : hors de ma vue ! »

  Comme un enfant, Talin exprima son mécontentement en claquant la porte de la chambre. Une fois dans le couloir, il se rendit à l’évidence : il n’avait aucune idée de ce qu’il pouvait faire de son temps libre. Ainsi, tout fut bon à prendre. Il visita les jardins, se détendit au soleil, puis il s'approcha des terrains d'entraînement où il jaugea ses concurrents. D'ailleurs, il eut le plaisir d'observer la fille aux cheveux rouges dans son élément. Une vraie combattante. Enfin, il fit un repérage des lieux.

  Talin fit le tour de l’Université aussi silencieux qu'une ombre. Les bâtiments-dortoirs reflétaient le public auquel ils étaient destinés. Il trouva les baraquements pour domestiques tristes à mourir, d’une sobriété à faire passer un prêtre pour un roi. À propos de prêtres, les temples étaient beaucoup trop luxueux. Cela manquait d’authenticité à son goût. Néanmoins, Talin apprécia la paix des lieux déserts. Il y resta un moment assis face au Dieu-Taureau sans prier. Un mestre dirait sûrement qu’il avait perdu la foi. Talin pensait plutôt être sélectif dans ses croyances. En définitive, les seuls endroits où il lui fut impossible d'entrer furent la tour et les enclos pour animaux. Ils étaient protégés par des sorts que l'assassin n’avait pas envie de défaire. Même pour s'amuser.

  Malgré cela, le jeune homme s'ennuya profondément une fois qu'il eut achevé le tour de l’Université. Il aurait adoré méditer loin du monde, mais avec la foule de candidats, les élèves revenant à l’école pour la nouvelle année, les délégations de tous les pays venus se montrer… Saltar était pire qu’une fourmilière. Talin se posa finalement derrière la tour dans un coin de forêt normalement réservée à la faune.

  En tailleur sur un tapis d'herbe et de mousse, il remonta la manche de sa chemise et observa les Ombres qu'il n'avait pas utilisées contre la tribu des Spiritueux. Est-ce qu'il en serait au même point s'il les avait envoyées avant d'entrer dans le camp ? Jamais il ne poserait la question à la vieille carne. Talin fit glisser son doigt sur les cinq silhouettes qui faisaient le tour de son avant-bras, près du coude. Il n'y avait aucun relief, elles étaient incrustées dans sa peau comme un tatouage. Est-ce qu'il serait en mesure de les détacher de lui ? C'était la première fois qu'il les gardait aussi longtemps inactives.

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