Au nom du ciel [8/9]

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  Fonaï semblait bien grave. Il ne plaisantait pas. Cela finit par inquiéter Astralia qui suivit ses instructions à la lettre. Ils esquivèrent les groupes de religieux se rendant à la prière. L’heure matinale n’empêchait pas les membres de l’Ordre d’être actifs. La jeune fille avait l’impression d’être une fugitive. Son compagnon lui spécifia que c’était le cas. Elle s’insurgea avant de se taire, rendue muette par le marque-page de Fonaï. Ils étaient à deux pas de la porte de sortie, fermée à clé. Ils se cachaient derrière le coin d’un bâtiment. Astralia se sentait stupide. Elle n’avait jamais enfreint les règles, ni cherché à tester les limites.

 « Il va falloir faire diversion le temps d’ouvrir la porte. Tu peux faire ça ?

 — Hein ? Mais non… Et puis quel genre de diversion ? »

  Astralia se sentait maladroite. Elle n’avait jamais eu l’âme d’une frondeuse. Fonaï soupira puis lui donna quelques idées avant de trouver le plan parfait.

 « Queue de serpentin ! Pourquoi je n’y ai pas pensé plus tôt ! Passe par-dessus le mur.

 — Je suis incapable de faire cela.

 — Mais si ! Allez ! Tu utilises l’eau de ce bac pour te soulever et passer le mur. Et on sera dehors. Prends cela comme une nouvelle leçon. C’est l’occasion de tester tes nouvelles capacités.»

  Le bac en question était un récupérateur d’eau de pluie. Astralia avisa la hauteur du mur puis le liquide translucide. Elle refusa. Fonaï la pressa. Elle céda. Il lui donna les instructions précises. Elle s’exécuta sans réfléchir. L’eau se manipulait plutôt aisément. Cela la ravit.

 « Bien ! Maintenant, tu te propulses de l’autre côté. Ne t’inquiète pas, si tu te rates, tu ne te feras pas mal.

 — Je ne suis pas sûre de…

 — Arrête de réfléchir et fais-le ! »

  Astralia obéit aussitôt. Elle fut soulevée de terre par un jet d’eau et balancée de l’autre côté. De surprise elle poussa un cri bref. Elle atterrit dans une carriole de foin sans dommage. Fonaï la rejoignit en volant et se moqua d’elle tout en la félicitant pour son essai concluant. Elle se passa de commentaire et descendit du véhicule.

 « Et maintenant ?

 — Droit devant, belle Sainte. Je t’emmène voir ton ancêtre.»

  Leur escapade n’attira l’attention de personne. Les environs étaient déserts. Comme si la voie avait été dégagée pour lui permettre de s’enfuir. À travers une prairie ponctuée d’étangs, peuplés de flamants roses et d’échassiers aux couleurs chatoyantes, Fonaï guida Astralia sans se répandre en palabres. La situation était urgente malgré les apparences. Il n’avait pas envie d’être damné pour l’éternité si la Sainte mourait avant d’avoir accompli sa mission. Etinon ne le lui pardonnerait pas, et bons dieux, qu'il était rancunier !

  Deux heures plus tard, ils arrivèrent à un lac bordé d’un figuier trois fois millénaire. Dans l’eau, des carpes côtoyaient un couple de loutres qui naviguait entre les nénuphars. Astralia était essoufflée mais trouva tout de même l’énergie pour commenter ce qu’elle avait sous les yeux.

 « C’est magnifique !

 — Et tu n’as encore rien vu. Monte donc dans l’arbre. Tu comprendras pourquoi je t’ai amenée ici.»

  Astralia s’exécuta difficilement, peu habituée à l’exercice et grandement fatiguée par la longue marche. Elle s’emmêla les pieds dans les jupes de sa robe, s’écorcha les genoux contre l’écorce. Mais une fois parvenue au sommet de la plus haute branche, elle jeta un œil en contrebas. On discernait dans la vase une masse enroulée sur elle-même. À ses côtés, Fonaï lui laissa le temps de comprendre. Elle s’écria, enjouée :

 « C’est Naga ?

 — C’est du moins ce qu’il en reste. Une grosse coquille vide au fond d’un lac perdu entre mille autres. Il est mort après avoir accompli l’œuvre de sa vie. Aussi simplement que la vie qu’il mena après sa bataille contre le Déchu.

 — Comment se fait-il qu’il n’ait pas de sépulture ?

 — Il n’en voulait pas.

 — Pourquoi ?

 — Il avait déjà utilisé ses mues pour bâtir une cité dédiée à la connaissance et à la prière.

 — Naguilé ?

 — Tout à fait.»

  Fonaï hocha la tête et continua son exposé d’un ton docte.

 « Cela lui suffisait. Il ne voulait pas qu’on honore son tombeau. Il préférait que les croyants se rendent dans les sanctuaires, pont entre les vivants et les dieux. Donc il s’est enfoui sous la vase et a jeté un sort pour ne pas être découvert.

 — Pourquoi puis-je le voir dans ce cas ?

 — Parce que tu es sa Descendante et que tu es assise sur le seul arbre dont les fruits peuvent te nourrir. Maintenant, mange. »

  Astralia leva la tête et cueillit un fruit. Il avait la forme d’une figue traditionnelle, mais la ressemblance s’arrêtait là. L’écorce translucide permettait de voir la pulpe bleutée. Sous l’insistance de Fonaï, Astralia croqua le fruit et suça le jus aussi frais que nourrissant. Passée la surprise de la saveur riche et sucrée, elle dévora la figue et en récolta autant que nécessaire pour étancher sa soif. La jeune fille découvrait qu’elle était affamée. Quand elle en fit la réflexion, Fonaï lui rétorqua bienveillant.

 « Évidemment ! Tu n’as rien avalé de consistant depuis le nectar de cet apollon. Une fois que tu as goûté à ça, plus rien n’est assez nourrissant. À l’exception des figues d’Ion. C’est ce que mangent les arguennes et les télépathes pour se refaire une santé.

 — Est-ce que je peux en rapporter à Naguilé ?

 — Tu as plutôt intérêt si tu ne veux pas faire le voyage tous les jours. »

  Astralia sourit et dans le tissu de sa robe déposa tous les fruits qu’elle pouvait atteindre. Sa fatigue envolée, elle était aussi agile qu’un singe pour passer de branche en branche. Elle fit plusieurs voyages du sol au sommet des branches pour amasser ce qu’elle pouvait de figues. Une fois à terre avec une récolte conséquente, elle fabriqua un panier avec les roseaux qui bordaient le lac de Naga, assistée par Fonaï qui avait retrouvé son humour habituel. Elle tressa patiemment jusqu’à la fin du jour en grignotant un fruit ou deux. Elle avait oublié ses responsabilités. Loin de toute stimulation spirituelle, Astralia se reposa et retrouva le plaisir de disposer de sa propre vie. Avant de partir, elle releva la tête vers les frondaisons du figuier et s’étonna en interpellant Fonaï.

 « Les fruits ont déjà repoussé !

 — C’est normal, ils sont produits par le spirit et non par la sève du figuier.

 — Je peux en prendre encore alors ?

 — Autant que tu veux. »

  Toute joyeuse, Astralia remonta dans l’arbre et remplit son panier jusqu’à ce qu’il n’y ait plus une place. Fonaï prenait du plaisir à voir la Sainte aussi enjouée et détendue. Il fallait qu’elle en profite tant qu’elle le pouvait. C’était pourquoi il ne la pressa pas pour rentrer. D’autant plus qu’elle transportait un butin encombrant et qu’elle n’était pas dotée d’une force surhumaine. Astralia non plus ne se hâta pas pour rentrer. La nuit commençait à tomber mais cela ne l’inquiéta pas. Fonaï la guidait avec assurance et la prévenait des difficultés du terrain qu’elle foulait.

  Quand ils atteignirent enfin les portes de la cité, des torches brûlaient à l’extérieur et des religieux guettaient. Dès qu’ils aperçurent la jeune fille, ils donnèrent l’alerte. Une cloche sonna. Les recherches furent abandonnées. Fonaï disparut. Tandis qu’Astralia passait les portes, son père accourut et la prit dans ses bras. Elle en lâcha son panier et son butin se répandit par terre. L’étreinte étouffante coupa la respiration d’Astralia qui gigota un peu pour le faire lâcher prise. Jorangu prit un peu de distance mais garda les deux mains agrippées aux épaules de sa fille. Avant qu’elle n’ait pu dire un mot, il se répandit en remerciements et en reproches.

 « Oh ! Par tous les dieux ! Merci ! Tu es en vie ! Mais qu’est-ce qui t’as pris de disparaître comme ça ? Tu m’as fait une de ces peurs ! Nous t’avons cherchée partout, toute la journée ! Où étais-tu ? Et qu’est-ce que tu transportes ? Tu es folle d’avoir porté cela toute seule ! »

  Astralia fut contrainte de le baigner d’ondes apaisantes afin de pouvoir s’exprimer.

 « Père, ceci est la seule nourriture que je peux avaler dorénavant, sans mettre ma vie en danger. Je l’ai appris aujourd’hui, c’est pourquoi je n’ai pas pu vous prévenir de mon absence. Je vais on ne peut mieux à présent. »

  Elle redressa la tête et s’adressa à la foule qui les entourait.

 « Je suis navrée de vous avoir inquiétés. Je vous remercie tous pour l’aide que vous avez apportée aujourd’hui. Soyez bénis. Allez prendre du repos. Les dieux veillent sur vos âmes généreuses. »

  Des prières et des louanges répondirent à la Sainte avant que les gens ne se dispersent laissant Astralia et Jorangu en tête à tête. Elle avait peut-être un peu trop apaisé son père. Il souriait béatement en la regardant, les bras ballants. Elle lui prêta son bras et le guida jusqu’à sa chambre. Astralia le mit au lit et l’aida à s’endormir. Elle dit une prière puis retourna au pavillon. Son panier de figues y avait été déposé. On l’avait même arrangé dans un coin où elle pourrait se servir à toute heure. Astralia sourit et s’assit sur l’autel-lit.

  Fonaï apparut soudainement à côté d’elle et la félicita fièrement.

 « Sainte Astralia de Fluvie commence à faire parler d’elle. Un nouveau chapitre commence dans les Écritures. »

  Astralia l’attrapa doucement et le ferma pour le faire taire. Elle avait besoin de réfléchir et de prier. Fonaï le comprit et se rangea sagement sur l’étagère.

Ж

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