Au nom de la Rose [4/4]

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  Décemment apprêtée, Lily monta saluer son père. Tout en se perchant sur ses genoux, elle jeta discrètement un œil aux documents officiels qui se trouvaient sur son bureau. Alors qu'elle les lisait en diagonale, elle entretint un discours futile.

 « J'ai vu que tu avais fait changer toute ma garde-robe, je te remercie, papa. Tu me gâtes.

 — Plus aucune tenue n'était à ta taille d'après ta mère. Je n'ai fait qu'écouter ses conseils. Même si rien n'est trop beau pour ma petite fille chérie. »

  Il la serra dans ses bras et Lily lui rendit son étreinte. Elle envisagea de revenir plus tard approfondir la lecture de certains documents. Elle avait repéré des noms intrigants. Mais pour l'heure, elle s'occupa de son père. Il lui proposa différentes activités toutes féminines et superficielles. Elle acquiesça à tout avant de sortir du bureau pour le laisser travailler. Lily tomba alors nez à nez avec sa mère.

 « Oh ! Tu m'attendais ?

 — Oui, nous devons parler. »

  Mathilda prit sa fille par la main et la mena dans son salon privé, celui où elle recevait certaines amies en toute intimité. Lily comprit pourquoi elle n'était pas autorisée à y boire le thé quand elle était petite. Toute la décoration rappelait le clan de la Rose. Des étrangers n'y auraient vu qu'un amour pour Ogani et les fleurs, mais le message n'échappait pas à une initiée. Les conversations qui s'y tenaient devaient donc être du ressort des grandes sœurs. Une enfant n'ayant reçu aucune éducation n'avait pas sa place dans ce genre d'assemblée. Voilà pourquoi elle en était exclue à l’époque.

  Guidée par sa mère, Lily prit place sur un divan. Mathilda servit le thé puis tourna la poupée matriochka qui se trouvait sur la table basse jusqu'à ce qu'elle regarde la porte. La jeune femme avait reçu la même à la fin de son instruction. Ainsi positionnée, la poupée les préviendrait si quelqu'un approchait.

 « Que t'ont dit les Vieilles-Mères ? attaqua Mathilda sans introduction.

 — À quel sujet ? répondit aussitôt Lily sans se laisser décontenancer, avant de boire une gorgée de thé.

 — Je suis curieuse de savoir quelle section tu as intégrée. Tes lettres ne donnaient aucun indice.

 — Hevlaska m'avait expressément demandé de ne rien te dire. Ce n'était pas évident. J'avais envie de tout te raconter.

 — Es-tu toujours tenue au secret ?

 — Je ne pense pas, rétorqua Lily en secouant doucement la tête avant de sourire délicatement. J'ai validé les cinq sections. »

  Mathilda resta muette de stupéfaction. Elle comprenait pourquoi le clan avait gardé sa fille si longtemps. Personnellement, il lui avait fallu dix ans pour parfaire ses leçons pour la Rose Rouge et la Rose d'Or. Elle finit par sourire et caresser la joue de Lily avec tendresse.

 « Je suis fière de toi, ma fille. Je suis navrée que tu aies affronté cela seule.

 — Je n'ai pas toujours été seule, tu sais. »

  Lily raconta sa rencontre avec Suna et toutes leurs aventures. Ce fut un bonheur de partager ses histoires avec sa mère. Malheureusement, ce fut trop bref. Il fallait lâcher le passé et se concentrer sur l’avenir.

 « Sais-tu où se déroulera ta prochaine épreuve ? demanda Mathilda.

 — Pas encore, j'attends que Mère Hevlaska me contacte.

 — Lorsque ce sera fait, préviens-moi. Je t'aiderai à préparer tes affaires afin de répondre à ton rôle et à ton rang. Je m'occuperai également de convaincre ton père. Pendant ton absence, il a sélectionné une liste de prétendants qu'il comptait bien te présenter afin que tu fasses ton choix. Il espère te marier avant tes trente ans. Penses-tu que cela rentrera dans tes plans ?

 — Je l'ignore, maman. J'aimerais beaucoup répondre positivement au souhait de papa. J'ai toujours voulu faire votre bonheur, d'autant plus que je n'ai pas abandonné l'idée de me marier et de fonder une famille. Seulement, je crains que le choix de mon époux ne m'appartienne pas.

 — Je comprends. J'espère que tu auras autant de chance que moi. »

  Mathilda sourit puis termina sa tasse de thé. Lily l'imita puis prit congé. Avant de fureter son nez partout, il fallait qu'elle s'assure une bonne couverture. Elle s'en alla donc participer aux activités prévues par son bien aimé père. D'ateliers de couture en prestation de chant, Lily répondit à toutes ses obligations en tant que fille du maire.

  Dans la semaine qui suivit, pour continuer de plaire à son père, Lily rencontra quelques prétendants. Ugo Leyhan avait un goût sûr et chaque homme se démarquait dans un domaine qui lui assurerait une bonne vie. Néanmoins, Lily ne s'attacha à aucun d'eux. Elle ne perdait pas de vue une seule seconde que sa vie appartenait aux dieux. Son propre intérêt n'avait aucun poids, ce qu'elle désirait, aucune importance. Elle devait attendre ses ordres.

Ж

  Deux mois plus tard, Hevlaska se présenta à la porte de l'hôtel de ville. Mathilda accueillit la Vieille-Mère avec tous les égards qui lui étaient dus. Toutefois, le Maire n'eut pas vent de cette visite. Mathilda, Hevlaska et Lily se réunirent dans le petit salon dès son arrivée. La jeune fille aux petits soins pour l'ancienne garda le silence, respectueuse des règles de bienséances tandis que sa mère servait le thé. Mathilda fut la première à parler.

 « Je ne vais pas y aller par quatre chemins, Vieille-Mère. Êtes-vous ici pour guider Lily dans sa prochaine épreuve ?

 — Ta franchise a toujours été l'une de tes plus grandes forces, ma fille. Je vais te répondre, mais avant cela, j'aimerais te poser une question : est-ce que tu sauras accueillir comme il se doit un gendre d'une autre race ? »

  D'abord, Mathilda resta bouche bée. Les mariages interraciaux n'étaient pas très conseillés compte tenu des particularités des nuwës. Elle posa son regard sur Lily et reprit contenance en souriant avec tendresse. Le plus important, c'était le bonheur de sa fille. Si accepter ce mariage était son devoir, alors elle s'y résoudrait le cœur vaillant. Enfin, Mathilda affronta Hevlaska avec l'assurance d'une mère prête à tout pour son enfant.

 « Oui, Vieille-Mère, je saurais l'accueillir comme il se doit.

 — Parfait ! Lily partira pour l’Université de Saltar afin de passer les sélections cet automne. Cela ne devrait être qu'une formalité pour elle. Toutefois, ajouta la vieille femme en s'adressant à la première concernée, il faudra de la discrétion et de la mesure. Tu devras dissimuler tes réelles capacités et attendre que je te fasse signe pour révéler ton Don.

 — Entendu, Vieille-Mère, répondit la jeune fille.

 — Bien ! Maintenant que vous savez tout, pourrais-je avoir un petit biscuit avec ce délicieux thé à la bergamote ? »

  Quand Hevlaska quitta leur demeure à peine quelques heures après son arrivée, les femmes de la famille Leyhan commencèrent à préparer les tenues pour la future mission de Lily. Les sélections auraient lieu dans trois mois. La jeune femme tissa avec sa mère, un voile magique qu'elle porterait nuit et jour, tout en passant commande pour un collier de contention de niveau supérieur. Bien que Lily n'en ait pas l'usage, les lois internationales l'exigeaient. Il fallait faire bonne figure. Après tout, la jeune nuwë représenterait son pays et sa famille. En dehors de sa mission, elle serait obligée de tenir un certain rang.

  Afin d'amorcer le bon déroulement des événements, Mathilda informa son époux du prochain voyage de leur fille à l'étranger. D'abord soucieux, il se rangea rapidement du côté de sa femme quand cette dernière souleva l'éventualité de nombreuses rencontres commerciales. Après tout, Saltar était l'école des sangs bleus. Toutes les grandes familles de la noblesse y envoyaient leur progéniture.

  Avec cette idée en tête, le maire de Longvent tria ses hommes sur le volet afin de choisir celui qui deviendrait le partenaire d'examen de Lily. Il était de notoriété publique que les sélections se passaient en binôme. De nombreux nuwës avaient tenté d'entrer à Saltar, peu y avaient concrétisé leurs rêves, certains n'en étaient pas revenus. Monsieur Leyhan trouva sa perle rare dans la police de Longvent. Un ancien camarade de l'école militaire, loyal et qualifié. Avec lui, le Maire se sentit plus tranquille.

  Sortis de leur île, les nuwës faisaient face à beaucoup d'ignorance. Ils passaient dans de nombreuses histoires pour des monstres, au même rang que les farans ou les démons. Monsieur Leyhan espérait que sa fille y échapperait et qu'elle se lierait d'amitié avec de nombreuses personnes. Il avait du mal à imaginer sa fille lâchée dans un monde mixte et sans pitié pour les races du second âge.

  Au cours des repas familiaux précédents son départ, en père attentionné, il étudia sa fille et ses manières, ses réactions. Se sentant observée sans le montrer, Lily resta naturelle et enveloppa les membres de sa famille d'amour et de mots tendres. Elle prit soin de ses frères et de son oncle, fit preuve d'une finesse d'esprit appréciable, tout en restant discrète et à sa place de cadette. Elle mit à profit l'enseignement qu'elle avait reçu afin de prouver qu'elle était prête.

  À la fin de chaque mise à l'épreuve, Mathilda hocha la tête pour signifier à Lily qu'elle gagnait des points. Son père se tapotait le ventre d'un air satisfait et proposait une balade digestive avant que chacun reprenne ses activités. Il n'y avait plus de souci à se faire. Il n'y avait plus qu'à attendre le jour du départ.

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