Tout feu tout flamme [5/6]

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  Il fallait qu'elle coure. Qu'elle sente le vent sur son visage. Qu'elle se sente libre. Qu'elle oublie les mauvaises pensées qui secouaient son esprit. Qu’elle chasse le froid. Elle courut sans savoir vers où. Elle quitta le donjon. Elle traversa les différents niveaux de la ville. Personne ne l’arrêta.

  Essoufflée, désorientée, Arya s'immobilisa soudainement sous les branches protectrices d'un chêne centenaire. La forêt était le seul endroit où elle se sentait en sécurité. Elle s'accroupit et posa son front sur ses genoux. Elle ignora combien de temps elle resta ainsi prostrée. Elle redressa simplement la tête au bout d'un moment. Elle n'avait plus peur. Elle n'était plus en colère. Un oiseau s'était posé non loin et chantait. Il s'envola soudainement quand une tête de cheval apparut derrière un buisson. Nara l'avait retrouvée encore une fois. Le calme recouvré, Arya se releva et vint câliner sa monture. Elle n'avait ni harnais ni selle.

 « Les palefreniers vont devenir fous. Comment fais-tu pour savoir quand ça ne va pas ? Et comment fais-tu pour me retrouver à chaque fois ? Le commandant doit avoir raison : je t'ai ensorcelée à mes dépens. »

  La jument souffla et frotta sa tête contre le ventre d'Arya. Elle se mit à rire doucement et passa de longues minutes à caresser Nara. Quand la jeune fille se sentit assez sereine pour rentrer, elle monta sur le dos de sa monture et se laissa la ramener à la maison.

  Le temps du transport, Arya rumina les paroles de Maï et repensa à tout un tas d'événements et de situations, l'esprit mieux disposé à affronter ses démons. De ce fait, une fois parvenue au dernier bastion de Kolp-Réanne, la princesse siffla doucement pour reprendre les rênes. Elle devait voir les dégâts qu'elle avait causés la veille. Nara changea de direction sous les nouvelles directives sans rechigner.

  La Grand-Place était pratiquement vide quand Arya s'y présenta. Les quelques badauds qui s’y promenaient la dévisagèrent aussi curieux qu'apeurés. Bien sûr, les événements avaient fait le tour de la ville haute. Arya ne s’étonna pas de leur réaction, même si cela la blessait quelque part. Elle s’efforça de les ignorer après avoir mis pied à terre. Nara sur les talons, l'apprentie détective chercha les traces de son forfait.

  Les lieux de la catastrophe ne furent pas difficiles à découvrir. Les dalles distordues gardaient les empreintes de ses pieds dans un étrange couloir conique. Le diamètre la renseignait sur l'ampleur des flammes. Une spirale un peu plus renfoncée à l’extrémité la plus large lui indiqua son emplacement au moment où le tourbillon incendiaire avait été à son apogée. Comment des pierres aux propriétés magiques avaient-elles pu réagir ainsi à son pouvoir ? L’énigme demeurait entière pour la jeune fille. Seule mage dans un pays de han'ors, les sans-magies, ses connaissances étaient médiocres dans le domaine, tout juste théoriques.

  Lentement, Arya se fit à l'idée de devoir partir. Elle comprenait la décision du couple royal de l’envoyer à Saltar. Bien que cela participa à son éducation, Kol engageait son nom et son royaume après d'une cité-état d'envergure internationale afin de l'inclure dans leur Université. C'était loin d'être une simple solution pour l'éloigner d'eux. Il négociait pour son avenir.

  Arya soupira puis secoua la tête en repensant à son comportement. Elle remonta en selle et rentra au donjon. Il lui fallait présenter ses excuses et en savoir plus sur ce qui l'attendait à Saltar. Combien de temps partirait-elle ? Avec qui ? Une question en entraînant une autre, Arya se mura dans le silence.

  Les gardes devant les portes du bureau du roi l'introduisirent sans cérémonie ni interrogatoire. Kol posa les documents qu’il consultait à son entrée et invita la jeune fille à s'installer en face de lui. Maï l'avait informée de la fuite de leur protégée. Il se montra extrêmement doux et délicat dans ses explications. Tendue, Arya écouta sans l'interrompre. Toutefois, le roi remarqua son trouble et se leva pour contourner la grande table qui les séparait. Il prit sa main et l'incita à se lever pour le suivre et faire face à la carte du monde peinte sur le mur derrière elle. Kol lui sourit et nuança les propos de son épouse :

 « Tout bien réfléchi, Saltar n’est pas l’unique possibilité. Tiens ! Au nord-est par exemple. Peut-être que les elfysses accepteraient de t’aider si tu te présentais à leur frontière. On dit que leur magie primitive est puissante.

 — Les elfysses n’aiment pas les humains, mages ou han'ors. Et j’ai tendance à brûler des choses, au cas où tu l’aurais oublié. Je ne suis pas certaine que leur forêt survive à ma présence.

 — C’est vrai. Du coup, c’est une mauvaise idée. Et les Fluviens ? Ils ont tout ce qu'il faut chez eux.»

  Arya secoua négativement la tête. La Fluvie était un abominable marécage humide. En dehors de la cité émergée de Gaïa, le pays était un labyrinthe de fleuves et de lacs habités par des tribus autonomes voguant au rythme des marées. Sans compter que c'était probablement le peuple le plus pieux du monde. Kol savait ce qu'Arya pensait de la religion.

 « Mmm... Les prières ne t’aideront pas beaucoup, j'imagine.

 — Je ne pense pas.

 — Je sais que les arguennes et les royaumes de Xyl pourraient te venir en aide. Mais ils sont beaucoup plus loin que Saltar. Cela rallongerait ton voyage de plusieurs semaines. Et puis... J’ai déjà envoyé un oiseau afin de savoir s’ils pouvaient te recevoir sur l'île. Attendons de voir ce que cela donne.»

  Arya passa outre la surprise de cette annonce quand elle remarqua les traits tirés et l’air soucieux de son tuteur. Elle relâcha sa position fermée et chercha son regard.

 « Kol ? Tu as passé la nuit à penser à ce qui serait le mieux pour moi ?

 — Une bonne partie oui. À chaque fois que je voulais fermer les yeux, je te revoyais flamber et le sommeil me fuyait. Bons dieux, La’ori ! Tu étais une torche humaine ! Vrouf ! D’un coup ! Tu hurlais vers le ciel contre quelque chose que personne d'autre ne voyait. »

  Arya pâlit à la description beaucoup plus détaillée que celle de Maï. Kol s’aperçut trop tard qu'il touchait un point sensible et se rembrunit. Il s'excusa aussitôt. Arya baissa les yeux et serra ses bras contre son ventre. Le froid revenait. Ses mains tremblaient. Kol la serra un instant dans ses bras avant d’embrasser son front. Il était seulement désolé de lui avoir rappelé ce souvenir. Il chercha alors une raison qui pourrait la pousser à se déplacer et exprima la première idée qui vint.

 « Sais-tu que Saltar possède la plus grande bibliothèque au monde ?

 — C’est sensé m’aider ?

 — Oui.

 — Essaie autre chose. »

  Kol se mit à rire mais l’enthousiasme retomba rapidement. La fatigue le rattrapait. Il soupira et s’éloigna de la princesse pour retrouver son fauteuil. Il n’avait plus l’âge de faire des nuits blanches. Arya le suivit et s’assit sur l'un de ses genoux comme une jeune enfant. Elle commença à jouer avec le gros médaillon doré, symbole de son rang royal, gravé de symboles anciens qui reposait sur son torse. Ils restèrent un moment ainsi, profitant chacun de la présence de l'autre. Chacun dans ses pensées jusqu’à ce qu’elle brise le silence :

 « J’irai à Saltar si vous me l’ordonnez. »

  La déclaration de la demoiselle fut suivie d’un nouveau silence. Kol lui sourit ensuite de toutes ses dents.

 « C’est vrai ?

 — Je le jure.

 — Ça, c’est une grande nouvelle ! »

  Il claqua sa jambe libre. Arya tripotait toujours le bijou d'un air boudeur. Il l’interrompit en lui relevant le menton pour capter son regard.

 « La’ori, si j’étais mage, je m’occuperais personnellement de toi. Malheureusement, ce n’est pas le cas. Aucun limcorien de sang pur ne pourra jamais t’aider dans ce domaine. Mais soit sûre que si nous le pouvions, nous te garderions auprès de nous. »

  Arya acquiesça. Elle comprenait. La séparation serait douloureuse, mais nécessaire. Et puis, rien ne l’empêchait de revenir, pas vrai ?

 « Donc, on n’attend plus que le retour de l’oiseau ?

 — C’est ça.

 — Et en attendant, je fais quoi ?

 — Ce que tu as l’habitude de faire, La’ori. Enferme-toi dans la bibliothèque, ou pars en promenade avec Ju et Jaen, va chasser, galoper, danser avec les autres jouvencelles…

 — Je ne danse pas avec les jouvencelles. »

  Kol se remit à rire, avec plus de joie cette fois-ci, et un certain soulagement. Arya sourit, puis posa sa tête contre son épaule. Il était un roc, un bon seigneur et un bon père. La jeune fille brida ses pensées avant qu’elles n’atteignent son père biologique puis elle se leva d’un bond. Arya quitta la pièce dans une envolée de jupes, suivant une fois de plus ses pensées sans prendre la peine de les exprimer.

  Le roi ferma les yeux un instant. Il se pinça l’arrête du nez puis fixa la grande carte sans quitter son fauteuil. Kol ne pouvait pas la renvoyer chez elle : il n’y avait que des fantômes pour l’accueillir. Les terres de la famille Al'raï avaient été dévastées onze ans auparavant. Le royaume n'était plus que ruines, les habitants avaient fuis pour ne jamais revenir dans la jungle qui avait repris ses droits sur les anciennes cités. Un groupe de résistants tentaient bien de préserver ce qu’il restait de Gaïa, l’ancienne capitale, la gardant sous la bannière du Phénix ; mais à quoi bon ? Le désert de Zorta grignotait la jungle d’année en année. La végétation se laissait mourir. Combien de temps faudrait-il pour que la Darcie soit complètement oubliée ?

  Par devoir de protection envers un membre de l'illustre famille royale Al'raï, Kol tenait ces informations secrètes depuis quatre ans. Depuis que le bijou de noblesse d’Arya avait été identifié, il l'avait prise sous son aile. Kol et Maï la maintenaient éloignée du reste de l'aristocratie argilienne. Ils la considéraient comme leur fille, l’élevait comme telle. Ils ne voulaient pas la rendre plus malheureuse en lui apprenant que son lieu de naissance n’existait plus, qu’il n’y avait rien à retrouver, et qu’il n’y avait probablement plus personne pour lui raconter sa propre histoire. Arya était une brave fille, mais elle avait beaucoup souffert. Son esprit troublé l’empêchait de trouver la paix. Ce qu'elle avait subi avant d’arriver au Limcorie leur était inconnu, mais ils avaient pu en observer les conséquences. Si Kol apprenait un jour l’identité du coupable, il le tuerait. Parole de Maceri. Mais comment réagirait-elle en apprenant la vérité ? Est-ce qu’elle lui en voudrait de ne pas lui avoir retiré ses plus maigres espoirs ? Il n’avait agi que dans son intérêt et continuerait à se comporter de la sorte. La fatigue le terrassa sur cette pensée et il s’endormit sur son fauteuil.

Ж

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