Tout feu tout flamme [6/6]

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  Dixième jour après l’envoi de l’oiseau. Le soleil était bas sur l’horizon. Dans les jardins, la fraîcheur enveloppait les promeneurs, accentuée par l’ombre des murs. Jaen et Arya s’étaient enfin décidés à rentrer, lorsqu’un cri de rage résonna dans le donjon et au-delà. Ils échangèrent un regard surpris et quelque peu inquiet. Kol Maceri n’était pas le genre d’homme à se mettre facilement en colère. Qu’est-ce qui avait bien pu le faire sortir de ses gonds ? Les deux jeunes se dépêchèrent d’aller voir.

  La porte du bureau était ouverte ; les gardes étaient entrés au vacarme de leur seigneur. Le page qui avait porté le message du pigeonnier tremblait comme une feuille et se faisait tout petit dans un coin. Maï venait d’arriver, avec Ju. Jaen et Arya se faufilèrent jusqu’au premier rang pour voir Kol passer ses nerfs sur le mobilier de son bureau.

 «Pour qui se prennent ces mécréants? Ce n’est qu’une bande de charlatans pédants ! Crétins des îles ! Fils de maroufles ! Huîtres de mauvaise eau ! Charognards ! Roah ! »

  Tel un ours enragé, il rejeta au loin les liasses de documents, les encres, les plumes, les poids d'un simple revers de bras, avant de renverser la table de travail en hurlant. Les malheureux spectateurs reculèrent par précaution. Hors de lui, Kol saisit son fauteuil et l’envoya se briser contre le mur du fond en rugissant. Le concert de mots doux continua jusqu’à ce que sa femme vienne se planter juste sous son nez en criant plus fort encore pour couvrir la voix de son mari.

 «Es-tu possédé à la fin ? Vas-tu nous dire ce qu’il se passe ? Ou dois-je te faire abattre comme un animal ?

 — Ce qu’il se passe ? s’écria-t-il sèchement en s’immobilisant face à son épouse. Ce qu’il se passe… Ces foutus mages ! Ce sont eux les fous… Et ça se croit supérieur ! »

  Le roi se mit à souffler comme un taureau, le visage rouge. Sa dame ordonna au page d’apporter un siège de peur que son mari ne fasse un malaise. Elle se répéta avec autorité pour sortir le garçon de sa torpeur. Une fois que Kol fut assis, Maï baissa le ton et lui demanda calmement de s’expliquer. Le seigneur aperçut enfin l’auditoire et pointa Arya du doigt en regardant sa femme, sans perdre de son mécontentement, même s’il avait renoncé à détruire le château de fond en comble.

 «Ils veulent qu’elle passe leur sélection d’entrée à l’Université. Ils veulent qu’elle se serve de sa magie ! Je refuse de laisser ma pupille mettre sa vie en danger pour leur satisfaction ! Elle n’est pas un jouet ! Et encore moins un divertissement dont ils peuvent abuser librement ! »

  Le silence accueillit ses paroles. Les gardes, le page et les Maceri au complet fixèrent leurs regards sur la princesse. Mal à l’aise, Arya prit une profonde respiration puis s’avança bravement pour mettre un genou à terre.

 « Si je dois leur prouver ma valeur, je le ferai, mon Seigneur. J’irai là-bas et je passerai leurs examens. Si leur décision se retourne contre eux, nul ne pourra vous en tenir rigueur.»

  Les mots écorchèrent la gorge d'Arya. Mettre en danger la vie d'autrui ne figurait pas dans ses objectifs de vie. Kol fut impressionné par sa détermination, même si sa témérité ne lui disait rien qui vaille. Il la remercia d’accepter les conditions imposées et l’attira à lui en retrouvant ses manières chaleureuses et paternelles.

  Dans l’assistance, Ju se sentit transpercé. Il avait passé ces dernières semaines à peaufiner son discours pour la fête de l’automne. À quoi cela lui servirait-il si la bénéficiaire s’en allait ? Si La’ori s’engageait à endurer les épreuves de l’Université, il ne pouvait décemment pas la laisser seule.

 «Je viens avec toi ! Je resterai à tes côtés aussi longtemps que je le pourrais.»

  Le cadet ne voulait pas rester en arrière et se proposa également. Kol approuva leur décision. La reine fâchée de la réaction de Saltar ajouta son grain de sel.

 « Puisque les Maîtres de Saltar veulent du spectacle, il serait dommage de gâcher leur plaisir. Je veux qu’une délégation complète parte avec vous.»

  Arya se trouva perdue entre appréhension et reconnaissance pour toute l'énergie qu'ils déployaient à cause d’elle. Remarquant son trouble, Maï argumenta.

 « Tu n’es pas une fille du peuple, La’ori. Je sais que tu n’es pas habituée aux fastes des royaumes de Xyl, mais pour cette fois, je t’en prie, joue le jeu. Une jeune fille de ton rang ne doit pas se présenter comme une voleuse à un événement de cette importance.

 — Je ferai selon vos désirs.»

  La docilité d’Arya cachait une envie nouvelle de se venger de ceux qui se jouaient de sa famille d'accueil. L’état dans lequel s’était mis Kol l’avait touchée plus que tous les présents qu'elle avait reçus. Elle comptait bien leur montrer sa gratitude. Le couple royal se concerta d’un regard puis Kol interpella un garde et le chargea de réunir son conseil. Enfin, il se tourna vers les jeunes gens.

 « Je vais m’occuper de l'organisation de votre voyage. Allez préparer vos affaires. Vous devez être à Saltar avant dix jours. Vous partirez demain et mènerez bon train.»

  Kol les libéra et après une courbette les trois figures princières quittèrent le bureau, suivies de tous les autres témoins. Le couple se retrouva en tête-à-tête, Maï se rapprocha de son époux et l’enlaça. Il était étrange de sentir cette tristesse les envahir.

 « Je n’aurais jamais cru qu’elle nous quitterait de cette façon.

 — Moi non plus, ma douce. Moi non plus. »

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