Début de partie [5/5]

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  Sur la place, le silence était de mise tandis que le Gardien leur assenait un nouveau discours afin de leur expliquer l'épreuve à venir. Il leur fallait récupérer dix sphères dans un univers maîtrisé. Cela ne semblait pas compliqué. Un portail fut ouvert vers le lieu de l'examen et les premiers candidats commencèrent à traverser.

  Tout ce que Talin savait de ces univers parallèles, c'était qu'avec une bonne imagination et une bonne équipe de mages, il était possible de recréer absolument tout ce que l'on voulait. Pour en avoir traversé plusieurs centaines au cours de sa formation, il pouvait être certain de ne pas y être tranquille. On ne mourrait pas dans ce genre d'endroit, mais les répercussions sur l'esprit pouvaient être violentes, jusqu'à rendre les gens complètement abrutis, le cerveau liquéfié. Le Gardien savait-il vraiment ce qu'il faisait subir aux candidats ? Après tout ce que Hevlaska lui avait raconté, Xaan choisit la réponse affirmative.

  Quand ce fut son tour de passer le portail, il prit une inspiration qu'il bloqua puis il avança vers le passage. Le malaise à l'arrivée fut minime et il put commencer l'épreuve. D'abord, il fut dans le noir complet, puis les lieux se révélèrent. Talin soupira, blasé. Ils n'avaient pas trouvé plus banale qu'une salle aux dimensions infinies ? Enfin, infini, c'était vite dit ! Il suffisait de construire une structure en cercle et de créer un circuit continu. Le reste n'étant que des effets d'optique. Rien de bien compliqué. C’était somme toute un exercice banal pour lui. Ce fut vite réglé.

  Ce ne fut pas le cas de tout le monde.

  Arya suivit le mouvement des candidats. Dès qu'elle aperçut la lumière du portail, une peur étrange lui saisit les tripes. Qu'est-ce qu'il y avait de l’autre côté ? Les autres le passaient tellement facilement, cela ne pouvait pas être si terrible. Elle finit par prendre son courage à deux mains et avança à son tour.

  Une fois de l'autre côté, Arya eut un haut-le-cœur et se plia en deux. À deux doigts de vomir son repas, elle prit le temps de se remettre avant d'observer ce qu'il se passait autour d'elle. D'abord, elle était seule. Ensuite, elle comprit du premier coup d’œil pourquoi ils appelaient cet endroit la Salle aux Dix Mille Casiers, et dans le même temps, où se situait la difficulté de l’épreuve. Quelle que soit la direction où elle fixait son regard, il n’y avait que des rangées et des rangées de casiers, jusqu’à l’infini. Comment retrouver dix sphères magiques en trente minutes dans cet endroit immense ? Il y avait tant de possibilités ! Arya fit quelques pas au hasard et sentit la présence de quelque chose. Elle s’approcha d’un casier et l'ouvrit. Il était vide. Elle chercha un peu plus sur sa gauche en se concentrant sur l'énergie qu'elle percevait, puis ouvrit un deuxième casier. Et d’une.

 « Il vous reste vingt minutes. » annonça une voix déformée par l’écho.

  Génial ! Il y avait même un décompte. Cela ne s'ajoutait pas du tout à sa tension ! Arya réfléchit intensément. Et si les sphères étaient reliées entre elles ? Peut-être que si elle avait capté l’énergie de la sphère, les autres pouvaient en quelque sorte répondre à un appel. En théorie. Cela ne coûtait rien d’essayer. Arya enveloppa le globe de sa propre magie et la réaction fut immédiate : des rayons jaillirent de la sphère dans plusieurs directions. La jeune fille se sentit alors tiraillée de plusieurs côtés. Il lui suffisait maintenant de remonter les allées et ouvrir les casiers où elle discernait sa propre essence.

 « Dix minutes. »

  Arya avait retrouvé neuf des dix sphères. La chance était de son côté : la plupart des globes se situaient proche de la première. En cours de route, elle était même tombée sur un sac, facilitant ainsi le transport des orbes. Ce n‘était d‘ailleurs pas le seul objet qu‘elle avait découvert mais les autres ne lui avaient été d'aucune utilité.

  Tandis que la voix égrenait les cinq dernières minutes, Arya se mit à courir pour atteindre l’objectif. Elle parvint devant la bonne division et s’y précipita. Elle venait tout juste d’attraper la dernière sphère lorsqu’elle fut brutalement ramenée à la réalité.

  Les mains vides, au milieu des autres candidats aussi désorientés qu'elle, Arya tourna la tête vers les tribunes d’où ruisselaient des applaudissements pour les féliciter. C'était un succès ! Se mettant à rire doucement, Arya se tourna vers les gradins et leva les bras en signe de victoire, avant de se rendre compte qu'il n'y avait aucun visage familier là-haut. Est-ce que les garçons étaient rentrés à l'appartement sans l'attendre ?

  Le discours clôturant l’épreuve lui parut très long. Elle finit par trépigner d'impatience. Puis inquiète, elle se rongea les ongles. Quand les candidats furent libérés, c'est presque en courant qu'Arya retourna à l'appartement. Sur le chemin, elle croisa tellement de personnes qu’elle parvint à se calmer. Peut-être que les garçons avaient préféré l’attendre à l’appartement, en jouant aux cartes et buvant des bières. Ce serait tout à fait leur genre.

  Fière de n'avoir rien cassé, rien démoli, rien brûlé, elle ouvrit vivement la porte en annonçant sa réussite avant de se rendre compte qu'elle parlait à une salle vide. Devant la pièce déserte, Arya eut un choc. Il n'y avait absolument rien qui indiquait que ses compagnons étaient sortis pour une simple promenade. Il n'y avait ni boisson sur les tables ni vêtement qui traînait dans un coin. Où étaient-ils tous passés ? Ses yeux lui piquaient à cause des larmes qui refusaient de couler. Que s'était-il passé pendant son absence ? Avait-elle été abandonnée à son sort ? Elle n'avait pas pu se tromper de chambre.

  De longues minutes passèrent sans qu'elle ne réagisse. Elle sentait la chaleur quitter son corps, jusqu'à trembler de froid. Ce fut le retour de Lauriane, un plateau de nourriture dans les mains, qui la sortit de sa torpeur.

 « La'ori ? Vous êtes déjà de retour ?»

  Arya eut la sensation de se tourner au ralenti, le visage figé. Si Lauriane était là, où étaient les autres ? La jeune femme posa rapidement le plateau pour revenir auprès de sa princesse en la voyant si peu loquace, puis doucement la mena vers un fauteuil. Arya se laissa faire, mais redoutait ses paroles. Lauriane lui expliqua tout. Une lettre était arrivée. Le roi était au plus mal. Blessé lors d'une chasse à l'ours où l'animal s'était montré plus fort que le chasseur. Les hommes étaient partis dans l'heure, ne sachant pas combien de temps La’ori mettrait pour terminer son épreuve. Ju avait laissé une lettre pour elle.

  C'était pire qu'un abandon. C'était une trahison. Après des années à faire des efforts pour s’intégrer, voilà qu'elle reprenait pleinement sa place d'étrangère. Elle était mise à l'écart. Une tempête d'émotions négatives la ravagea de l'intérieur. Arya se leva du fauteuil où elle s'était tenue silencieuse et sortit furieusement. Lauriane la suivit de peur que la princesse ne perde le contrôle et s'en prenne à la première personne venue. À dix pas derrière elle, Lauriane sentait l'air beaucoup plus chaud que la normale. Aussitôt les images des feux d'artifice lui vinrent et elle commença vraiment à s'inquiéter.

   La course poursuite prit fin quand Arya s'arrêta sur le terrain d’entraînement, derrière la zone des sélections. Inconsciemment, elle savait qu'elle ne détruirait rien ici. Arya planta ses talons dans le sol, tendit son bras vers un espace dégagé puis laissa sa magie couler hors de ses veines. Sa manche se déchira sous la puissance du rayon de feu. Un cri primaire lui déchira la gorge. Le chaos qui se déchaînait dans son cœur et son esprit fut concentré dans cette explosion contrôlée.

   Les sorts de contention de la zone s'activèrent en bourdonnant au-delà d'un certain seuil d'énergie, puis un message résonna sur le terrain pour demander aux mages de se contrôler et cesser leurs activités. Trop impressionnée par la puissance libérée, Lauriane battit en retraite. Tous les autres bénéficiaires du terrain fuirent les lieux, à l’exception d’un jeune homme à la stature impressionnante. Il brava l'enfer pour se rapprocher de la princesse quand il comprit qu'elle ne maîtrisait plus sa magie. Dépassant les deux mètres de haut, la montagne de muscle l’aborda avec douceur, comme s’il s’adressait à une jeune enfant.

  « Bonjour ! Qu'est-ce qui ne va pas ? Tu veux en parler ?»

   Pour seule réponse, Arya agressa le courageux jeune homme d’un jet de feu. Il détourna le rayon vers le ciel d'un revers de la main puis l'encouragea à se défouler tout en gardant son sourire amical. La situation avait l’air de l’amuser. Les rares personnes qui se trouvaient encore au bord du terrain le quittèrent avec empressement, de peur de subir des dommages collatéraux. Lauriane, malgré sa loyauté, recula jusqu'à sortir de l'enclos sécurisé où la chaleur devenait irrespirable.

   À l'intérieur, Arya tira jusqu'à l’épuisement de son énergie. Une fois apaisée, elle laissa ses bras retomber le long de son corps, le souffle haché. L'air était brûlant et déformait les lignes du terrain. Le jeune homme souffla en baissant sa garde, comme s'il venait de faire un simple tour de piste, bien qu’il soit couvert de sueur.

 « Hé bien ! On peut dire que tu en as dans le ventre ! C'est fini ? Tu te sens mieux ? »

   Pour toute réponse, Arya s'affaissa en perdant connaissance, complètement vidée. Réactif, le jeune homme la rattrapa avant que sa tête ne heurte le sol. L'instant d'après, Lauriane était auprès d'eux s'excusant pour le comportement d'Arya.

 «Ce n'est rien, elle semblait en avoir besoin.»

   La dame eut l'impression d'être une petite fille face à lui. Grand, brun, le regard amical, un sourire charmant, large d'épaules, avec un torse si puissant, des abdominaux luisant, des cuisses bien dessinées. Lauriane se reprit en constatant que ses pensées s'égaraient. Ils s'excusèrent mutuellement puis décidèrent de ramener la demoiselle dans ses quartiers afin qu'elle puisse se reposer tranquillement.

 « Ne vous dérangez pas, s'écria expressément Lauriane, je vais la porter.

 — C’est avec plaisir, rétorqua-t-il en soulevant la belle évanouie. Il vous suffit de m'indiquer le chemin. Qu'en dites-vous ? »

  N'ayant pas le cœur de refuser l'aide proposée, Lauriane acquiesça et se mit en route. Il était si sympathique et compréhensif qu'il parvint à rendre le sourire à la dame anxieuse. Ensemble, ils mirent Arya au lit puis continuèrent de discuter dans la salle à manger. Ils partagèrent le plateau que Lauriane avait apporté : il aurait été dommage de le gaspiller. Tout comme il aurait été dommage de se séparer si rapidement de la charmante compagnie du jeune homme.

   Lorsqu'Arya se réveilla, elle quitta la chambre de sombre humeur, espérant secrètement avoir rêvé le départ de la délégation. Malheureusement ce n'était pas le cas et elle fut accueillie par une dame préoccupée par sa santé mentale et un inconnu souriant. Ce dernier se leva dès qu'il la vit et s'inclina respectueusement. Sa grande taille devait souvent l'incommoder, pourtant il semblait tout à fait à l'aise. Indifférente aux émotions qui passaient sur le visage de Lauriane, la princesse fit des excuses courtoises à celui qui lui avait tenu tête sans peur. Le sourire du jeune homme s'élargit et il s'écria :

 « Je suis heureux d'avoir pu aider. »

  Arya demeura silencieuse même si quelque chose chez ce garçon la rassurait. Sans arrière-pensée, elle finit par lui sourire et se présenta à lui.

  « Je m'appelle Arya Al'raï.

 — Princesse de Darcie, Pupille de la maison royale Maceri de Kolp-Réanne, du royaume de Limcorie, ajouta Lauriane, se sentant obligée de placer le titre de la jeune fille dans la conversation.

 — Enchanté, répondit-il joyeusement en faisant une petite révérence. Je suis Zoann Vulcain, premier fils du Maître Vulcain du Bas-Plateau de Bagril. »

  Arya accueillit le complément de sa dame avec indifférence et inclina la tête pour saluer le premier fils du clan Vulcain. Elle comprenait mieux d'où lui venait sa taille plus élevée que la normale. Les guerriers du plateau volcanique étaient connus pour avoir du sang de géants.

 « Je ne vais pas m'imposer plus longtemps, déclara-t-il humblement. Merci, Lauriane pour ce thé savoureux et ce délicieux repas. Princesse, ce fut un plaisir.»

  Avec simplicité, Zoann s'inclina et prit congé. Tout de suite après son départ, Arya retomba dans sa mélancolie. Le vide que laissait Zoann était monstrueux. Comment avait-il fait pour réchauffer les lieux de sa simple présence ? Un instant, elle eut envie de le rappeler, mais Arya demeura muette, figée au milieu du salon délaissé, les bras croisés sur le ventre.

   Quand elle prit conscience du regard attentif de sa compagne posé sur elle, Arya tourna les talons et retourna s'enfermer dans la chambre. L'envie de réussir les sélections était partie en fumée et dans l'obscurité, elle resta prostrée dans un coin de la pièce, comme un animal abandonné. Qu’est-ce qu’elle était venue faire ici ?

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