Trouver son chemin [2/5]

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   Le malaise à l’arrivée fut moindre cette fois-ci pour Arya. De hautes haies au feuillage épais formaient un couloir large comme quatre hommes. Derrière eux, la voie était close. Au bout de ce couloir végétal se trouvait une statue d’ange aux bras tendus qui semblait les accueillir.

   Yugh renifla l'air puis avança vers la statue, contraignant Arya à le suivre dans la seule direction possible. Au pied de la sculpture, il y avait une inscription. Le loup la lut et commenta.

  « Suivez la voie des anges. Quelle connerie ! Le vieux n'a pas trouvé plus cliché ? »

   Yugh tourna la tête à droite puis à gauche pour observer le carrefour. L'humaine l'imita bêtement. Il s'en désintéressa aussitôt en comprenant qu'ils se trouvaient dans un labyrinthe. Rien ne leur permettait de savoir quelle direction prendre. Tout se ressemblait. La femelle ouvrit la bouche mais aucun son ne passa ses lèvres : il lui notifia sèchement de le suivre. Le ton ne souffrait aucune discussion bien qu'avec leurs poignets attachés ensemble, elle aurait été bien en mal de ne pas lui emboîter le pas. Yugh se mit à courir l’instant suivant. L'humaine n’eut pas d’autre choix que de s'adapter et accéléra. Il fit confiance à son instinct et n’hésita pas à un seul croisement.

  Grâce à lui, ils sortirent du labyrinthe en moins de temps qu'il ne faut pour le dire. Et puis, ils arrivèrent aux pieds d'une montagne gigantesque. Yugh se mit à fixer les hauteurs. Il chercha un passage avant de comprendre qu'il était clairement impossible de contourner la montagne. Et puis, un ange planté un peu plus loin leur montrait les hautes marches de pierre qui menaient au sommet.

  Cheveux-Rouge soupira et libéra sa magie pour les emmener au sommet, sans se concerter avec lui. Les bras étendus en croix, elle créa un tourbillon de poussière où vinrent se mêler feuilles et brindilles arrachées aux haies qu'ils avaient dépassées. Les vents violents les emportèrent et les menèrent très vite où elle le désirait. Tandis qu'elle était droite et tendue comme un arc, Yugh volait, simplement retenu par leur lien. La peur le tenait au silence tandis qu'il se raccrochait désespérément à son poignet. L'altitude lui retourna l'estomac. Il pria pour que le lien ne casse pas au pire moment.

  Ils se posèrent sur une plate-forme creusée dans la glace, face à un ange courbé qui leur indiquait le bord d'une falaise. Cheveux-Rouge s'en approcha et força Yugh à la suivre alors qu’il n’avait qu’une envie : soulager son estomac qui faisait des saltos. Sa fierté l’en empêcha. Il n’allait certainement pas se montrer faible devant l’humaine. Il traîna des pieds puis finit par s'intéresser à leur but commun quand son malaise se fut apaisé.

  L’esprit plus calme, le loup put se rendre compte que le sol se trouvait plusieurs centaines de mètres plus bas. À sa droite, il remarqua bien un mince escalier le long de la paroi rocheuse mais la glace le rendait dangereusement glissant, donc impraticable.

  Sans avertissement la femelle recula, prit son élan puis sauta en le tirant derrière elle. De peur, Yugh se couvrit de fourrure noire et atterrit sur ses quatre pattes sous sa forme animale en relâchant un puissant souffle d'air qui amortit leur chute. Elle s'accrocha à lui en cours de vol et s'assit en faisant de lui sa monture. Leur lien fut brisé par la transformation. Entre colère et satisfaction d’être libéré, Yugh se secoua pour virer l’humaine de son dos. Elle se laissa glisser jusqu'au sol avec agilité et s'éloigna le pas vif. Le loup, deux fois plus grand qu'elle, gronda dans son dos mais elle n’y prêta aucune attention. Yugh explosa face au silence de Cheveux-Rouge :

 « Espèce de sale larve humaine ! Ne refais jamais ça ! »

  La femelle resta muette, concentrée sur sa trajectoire, le regard fixé droit devant elle. Yugh reprit sa forme de deux pattes et l'attrapa par le bras. Il la fit brusquement pivoter pour lui cracher en face :

 « Oh ! Je te cause ! T'es aussi débile que tous les gens de ta race en plus d'être sourde ?

 — Je ne t'ai pas prévenu, constata-t-elle en le fixant de ses pupilles vitreuses.

 — Il paraît ! cria-t-il en resserrant sa prise.

 — Tu ne craignais rien, lui répondit-elle la voix douce comme celle d'une mère en caressant sa joue. J'étais là. »

  Il frissonna sous sa main et se contorsionna pour esquiver le contact. Calmement, elle posa la main sur la sienne afin de l'inciter à lâcher prise, mais ses paroles n'avaient pas désamorcé le conflit. Yugh planta ses griffes dans le bras de l'humaine qui ne réagit pas à cette démonstration de force.

 « Qui a dit que j’avais eu peur ? s’énerva-t-il un peu plus, sa fierté bafouée.

 — Qui a parlé de peur ? rétorqua-t-elle la voix plus grave en se défaisant de lui avec rudesse, gardant la trace des griffes sur son bras. Je suis navré de t’avoir mis mal à l’aise. Je tâcherais de te prévenir la prochaine fois ! »

  Yugh marmonna qu’il n’y aurait pas de prochaine fois. Il se détourna de l'humaine tandis qu’elle s'élançait vers le prochain obstacle, peu réceptive à ses états d'âme. Il grogna de rage mais la suivit.

  Ils passèrent d'un paysage glacial au cratère d'un volcan en activité. Le loup sentit le changement température et remarqua dans le même temps qu'il n'avait pas souffert du froid. Yugh repéra rapidement l'ange qui leur indiquait l'autre côté du cratère. Comme pour la montagne, il n'y avait pas de chemin permettant de contourner la difficulté ; il leur fallait trouver le moyen de traverser sans mourir brûlé. La femelle s’approcha du bord. Yugh la laissa faire en restant derrière elle, le plus loin possible, ce qui était beaucoup plus facile maintenant qu’ils étaient libres de leurs mouvements.

  À vrai dire, l’arkien ne faisait plus tellement le malin. Il s’était pétrifié à la vue de la lave et des flammes. D'habitude, il évitait tout ce qui était plus chaud que la température naturelle d'un individu. Les bulles de gaz remontant des profondeurs du magma le firent sursauter et se crisper un peu plus à chaque fois qu'elles éclataient à la surface. Tendu, Yugh avait les poings serrés et tentait de se maîtriser pour ne pas montrer sa faiblesse à l‘humaine. Il avait une peur panique du feu.

  Alors que face à la température élevée, Al'raï réfléchissait calmement à la meilleure solution pour ressortir du volcan sans se griller trop de plumes, ou de poils, question de point de vue. Dans le prolongement du doigt de l'ange indicateur, il y avait un îlot tout juste assez large pour deux personnes. Il était bien entendu prévu pour descendre et remonter. Malgré la difficulté apparente, le Gardien laissait toujours une petite opportunité.

Sacré Saman ! On veut toujours tester la témérité des nouvelles recrues hein !

 Après un silence incroyablement long, Cheveux-Rouge annonça la sentence :

 « On doit descendre.

 — Pardon ? s’étrangla l'arkien.

 — Nous devons descendre dans le cratère pour nous servir de l’îlot et nous propulser de l’autre côté, au niveau des arbres. À moins que tu ne sois capable de faire le grand saut à partir d'ici ?

 — Hors de question que je traverse cette chose, cria-t-il en se crispant un peu plus.

 — Il faut avancer, martela-t-elle en affichant un visage déterminé. Soit tu avances, soit tu restes. Soit tu me suis, soit je te traîne par la peau du cou, comme un vulgaire chiot. »

   Voilà le loup bien ennuyé. Il ne voulait ni descendre ni lui confier sa vie. Il gronda, poussé dans ses retranchements. L'humaine le fixait en silence de ses yeux vides. Finalement Yugh secoua énergiquement la tête en signe de refus, sa fierté piétinée. Il resterait campé sur sa position. Sa partenaire comprit que c'était sa dernière réponse. Elle le saisit fermement par le col de sa tunique. L'arkien tenta de se libérer mais Cheveux-Rouge maintint vigoureusement sa prise et sauta dans le cratère en l’entraînant avec elle, comme elle l'avait dit.

  L'humaine ne posa qu’un pied sur l’îlot, le temps de bondir en s'aidant d'un courant d'air pour atteindre la terre ferme et l'ombre fraîche des arbres. Une fois de l’autre côté, elle le traîna encore sur quelques mètres avant de le lâcher. Yugh se débattit et l'invectiva avec force. La fille l’ignora et avança, redevenant sourde à la férocité de son langage.

  Par la présence d'un terrain relativement dégagé, ils ne perdirent pas de temps et s’élancèrent au pas de course. Cependant, Yugh ne cessa pas de jurer. Il trouva assez de souffle pour courir et l’insulter en même temps. Il aspirait à la faire réagir d'une façon ou d'une autre. Le calme de la jeune femme forçait le respect. Malgré tous ses efforts, sa partenaire l'ignorait toujours et filait droit. Le loup finit par se taire, lassé par sa propre voix.

  L’étape suivante se déroula dans une jungle épaisse. L'ange pointait vers les nombreuses lianes emmêlées. L'arkien profita de son agilité et de ses griffes pour ouvrir un couloir. Ils ne s'adressèrent la parole à aucun moment.

  Fait étrange au milieu de tous ces arbres exotiques et de tous ces parfums, Arya eut une migraine et quelques vertiges. Elle fit en sorte de ne rien montrer à son irascible compagnon et avança, suivant Yugh Wolfgang du mieux qu’elle le pouvait à cause de la douleur qui l’assommait par moment et l'obligeait à marcher au plus près des troncs au cas où elle se trouvât obligée de se raccrocher à quelque chose de solide.

  Le plus perturbant pour la princesse fut de comprendre comment ils étaient arrivés jusqu'ici. Elle se souvenait du labyrinthe puis plus rien jusqu'à la jungle. C’était déjà la deuxième fois depuis qu’elle était arrivée à Saltar et cela inquiéta la jeune fille.

   Heureusement, son mal-être disparut quand la composition de la forêt évolua. Peu à peu, les arbres à lianes cédèrent leur place aux pins puis aux chênes, aux hêtres et aux châtaigniers. L'humidité de l'air chuta et Arya eut l’impression d’être en pleine partie de chasse avec Ju ; sauf que l'arkien n’avait rien en commun avec le prince à la crinière blonde. Le loup était de plus en plus grincheux et n’arrêtait pas de marmonner entre ses dents. Arya levait les yeux au ciel quand son instinct lui cria soudain de s’arrêter.

 « Stop ! hurla-t-elle alors.

 — Raah ! Mais ça te prends souvent de crier comme ça pour rien ? lui reprocha-t-il en s’arrêtant une dizaine de mètres devant elle, sur les nerfs et peu enclin à subir les caprices d'une humaine.

 — Tu devrais recul… »

  Elle fut interrompue par des cris perçants. Des centaines d'oiseaux apparurent dans les frondaisons et plongèrent vers le loup. Ils attaquèrent à coups de becs et de serres, criant et piaillant, faisant battre Yugh en retraite jusqu’à ce qu’il ait dépassé une limite invisible. Dès qu’il l’eut franchie, tous les rapaces se turent et retournèrent se poser dans le feuillage, les branches devenant noires.

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