Faisons connaissance [1/3]

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  Réveillée en sursaut au beau milieu de la nuit, Arya refusa de s’abandonner de nouveau à un sommeil cauchemardesque. Malgré la fatigue, son esprit vagabonda sans intervention de sa part. Les garçons avaient dû atteindre la Limcorie à cette heure. Ils talonnaient peut-être leurs montures pour arriver au plus vite à Kolp-Réanne. Il leur faudrait bien encore quatre ou cinq jours avant d'y parvenir, s'ils s'y rendaient avec autant de hâte qu'ils l'avaient abandonnée.

   Arya soupira en serrant les mâchoires. Malgré son inquiétude pour Kol, la rancœur la faisait grincer des dents. Comment avaient-ils pu la laisser en arrière ? Est-ce que cela les aurait tués de l'attendre rien qu'une heure ? Elle se tourna brusquement dans le lit et s’emmêla les jambes dans ses draps malmenés par ses nombreux changements de position. Elle s’en défit rageusement.

  Kol était comme un père pour elle. Elle aurait dû renoncer à ces maudites sélections et courir à son chevet comme ses frères l'avaient fait. Les épreuves… Est-ce qu’elle avait encore eu des absences ? Comment pourrait-elle le savoir puisqu’elle ne s’en souvenait pas ? Dans un soupir, Arya se recroquevilla. Sa mémoire était un gruyère. Avec d’énormes trous et peu de fromage. La vision amusante s’estompa très rapidement pour laisser la place au mal-être.

  Ses frères... Ce fut une erreur de les considérer comme tels. Ils ne le pensaient pas un instant. Elle n'était que l'étrangère, l'orpheline, la pièce rapportée. Arya revit les appartements désertés et son cœur se serra. Elle posa la tête sur ses genoux et souhaita n'avoir jamais été trouvée dans la forêt quatre ans plus tôt.

  L’esprit chagrin, la princesse resta enfermée jusqu'à l’épreuve suivante, sans se changer, ni manger. Se rendant compte qu’elle était en retard sur l’horaire prévue, Arya sortit du bâtiment au pas de course et manqua de percuter Yugh Wolfgang. Elle esquiva son partenaire d'une pirouette gracieuse. Et, sans un mot, Arya continua son chemin, sans s’excuser, sans s'attarder, ni remarquer que le loup garda son regard fixé sur elle.

  Yugh n’émit qu’un seul grondement en croisant Cheveux-Rouge. Il avait été touché par sa grâce. Cela ne l’empêcha pas de prendre son temps. Il n’était pas pressé d'entendre le Gardien expliquer longuement le déroulé de cette épreuve. L'arkien savait ce que Luménor leur réservait. Il avait observé chaque concours pendant trois ans. Les discours étaient toujours les mêmes, les règles ne changeaient pas, sauf à quelques détails près, pour pimenter le jeu.

  En ce jour, les équipes allaient être dispersées dans dix mondes parallèles différents. Concrètement, il fallait se sortir d'une difficulté, se battre pour atteindre la porte de sortie et la passer avant tout le monde, puisque seules deux équipes par section pouvaient être vainqueurs. Soupirant fortement, le loup finit par arriver là où il devait être. Le Gardien ne leur annonça la modification annuelle qu’à la fin de son discours :

  « Les accidents mortels et décès volontaires seront punis par un renvoi immédiat dans la région d’où vous êtes originaires, pour les deux équipiers. Je tenais à le préciser. Avec ceci : Bonne chance !»

  Immédiatement après les paroles du Gardien, les aspirants disparurent de la place, aspirés par des portails qui s'étaient ouverts sous leurs pieds. Les jeux commençaient !

*

  Ne pouvant lutter contre cette magie qui les emportait, Arya ferma les yeux pour se persuader qu’il n’y avait rien à craindre, tandis que Yugh tentait de contrôler sa transformation face à ce danger soudain. Le trajet ne dura que quelques secondes, mais à l’arrivée, l’un comme l’autre, ils tombèrent, expulser par la force qui les avait menés jusqu‘ici. Tous deux atterrirent sans dommages grâce à leurs réflexes, mais aucun ne prit le temps de tergiverser : il fallait au plus vite décrocher sa place pour l'épreuve suivante.

  Il faisait chaud dans ce nouvel environnement, très chaud. Il n’y avait rien d’étonnant puisqu’ils étaient dans une chambre magmatique. Arya observa ce qui l’entourait avant toute chose, puis sourit. Inconsciemment, elle appliquait ce que Kol lui avait appris, et cela lui fit du bien.

 « Qu'est-ce qui te fait sourire l'humaine ? S'écria nerveusement Yugh. Tu trouves quoi d'amusant dans ce putain de…

 — Et si tu commençais par te calmer, hein ? »

  Arya ne se laisserait pas marcher sur les pieds. Ils avaient atterri sur un îlot au centre d’un lac ardent. Ils auraient facilement pu mourir en quelques secondes s‘il n‘y avait pas eu de protection. Des éclaboussures de roche en fusion venaient s’écraser périodiquement au-dessus de leurs têtes. Arya ne trouvait rien d'amusant à cela. Combien de temps cette barrière était-elle censée tenir ? Elle préféra ne pas le savoir et se concentra sur ses ressentis. Elle avait du mal à respirer. Si la lave ne les tuait pas, le manque d'air sain le pourrait certainement. La tête lui tourna soudainement et Arya se retint à la paroi.

  L'arkien était vraiment en colère contre le vieux boucanier des cavernes qui servait de Gardien. Il leur avait encore collé un volcan dans leur épreuve. Le loup avait du mal à faire taire la peur qui lui labourait le ventre. Il ne pouvait pas et ne voulait surtout pas montrer ce qu’il ressentait à l'humaine qui l’accompagnait et qui, pour l‘instant, se désespérait dans un coin. Est-ce qu'elle comptait sur lui pour sortir de là ? Parce que franchement, pour l'instant, c'était mal parti ! Yugh ne put que rester immobile en serrant les poings à s’en briser les os. Il n’avait pas remarqué le mauvais air qui s'ajoutait à son malaise ; il était mort de peur à cause du feu liquide au-dehors. Le loup se focalisa alors sur la seule chose vivante qui l’accompagnait.

  L'humaine se redressa soudainement l’air déterminé. Elle fixa la main qui demeurait à plat sur la paroi. Son empreinte devint lumineuse. Cheveux-Rouge retira sa main puis répéta ce geste à quatre autres endroits de la barrière, formant un pentacle au centre duquel elle s‘immobilisa. Brièvement, Yugh pensa qu’elle était trop proche de lui. Cependant, aucun sarcasme, aucun mot, aucun son ne sortit de sa bouche. Il aurait bien voulu, mais entre sa peur et ce que faisait l'humaine, il préféra observer en silence.

  Elle déclara sans le regarder :

 « Ne fais pas de magie avant qu’on soit sorti de là.»

  L’arkien en aurait été bien incapable. Tout en restant figé dans son coin, il fixa l’humaine. Très concentrée, elle gardait la tête levée vers la sortie naturelle, les bras tendus et les paumes ouvertes vers le ciel. Elle prit une grande inspiration puis Yugh sentit le morceau de roche bouger. Il couina en tombant à genoux. Pourvu qu’elle ne rate pas son coup ! Pour ne pas paniquer, il concentra toute son attention sur Cheveux-Rouge. Elle dégageait un parfum différent des autres fois. Est-ce que son odorat était trompé par une quelconque substance ? Ou est-ce que l'humaine était réellement différente ?

  La montée ne prit pas plus de cinq minutes. Les cinq minutes les plus longues de sa vie. Une fois hors du volcan, Cheveux-Rouge posa l’îlot en douceur. La barrière de protection disparut instantanément et Yugh se sentit tout de suite mieux. L'air sain le vivifia. Il respira un bon coup, sauta du caillou plat et profita de cet instant pour jeter un coup d’œil sur l’horizon. Il n’y avait que des arbres aux feuilles bleues et orange autour de la désertique terre noire et cendreuse des flancs du volcan. Le loup se souvint alors qu’ils étaient dans un univers maîtrisé et que rien n’y était normal.

  Yugh jugea opportun de s’accorder avec Cheveux-Rouge pour la suite. Il se retourna et ne la vit nulle part. Une minute de distraction et il la perdait de vue. Pas possible ces humains ! Il chercha ses empreintes mais n’en trouva pas. Il repéra son odeur et la suivit. Mais trop concentré sur la recherche de sa partenaire, il en oublia la nature du terrain qui l’entourait. Un caillou glissa sous son pied et Yugh trébucha. Il roula et tomba sur le côté. Par un réflexe inespéré, il parvint à se remettre sur ses pieds et dévala le versant en ligne droite. Sa glissade au milieu de la cendre fit naître un nuage de poussière derrière lui. Le genre de signal qu’on adore lancer quand on tient à la discrétion!

  Grondant et s’époussetant au pied du volcan, Yugh finit par remarquer que Cheveux-Rouge l’attendait immobile à l’orée de la forêt. Son regard était toujours aussi peu expressif. C’était presque effrayant quand on y réfléchissait. Cela n’empêcha pas l’arkien de la rejoindre pour la critiquer avec emportement.

  « Espèce de sale larve humaine pourrie gâtée ! T'as absolument rien dans la cervelle ! Refais-moi ce coup-là et je te jure que...

 — La ferme, ordonna-t-elle durement, la voix grave.

 — Quoi ?

 — Silence ! »

  La seconde suivante, elle se jetait sur lui pour le plaquer au sol et lui éviter de se faire toucher par un rayon paralysant. Les personnes qu’elle avait repérées en sondant la forêt venaient de les attaquer. Yugh ne lui laissa pas le temps de s’expliquer et commença à lui crier dessus. Elle planta le loup sur place. Il en fut tellement abasourdi qu’il ferma son clapet. Quand il se releva, l’humaine avait disparu au milieu des arbres.

   Lorsque Yugh pénétra la forêt par le même chemin, il lui fallut user de ses meilleures ruses de chasseurs pour trouver les traces de l'humaine. Comment avait-elle fait pour rendre son odeur si ténue qu’il peinait à la détecter ? Quand il parvint à remonter jusqu’à elle, il débarqua en plein combat. Si son premier geste fut d’avancer pour se battre à ses côtés -et la protéger-, il resta sur l’idée qu’elle l’avait bien cherché et qu’elle n’avait qu’à se débrouiller toute seule ou le supplier d‘intervenir. Wolfgang s’appuya donc nonchalamment contre un arbre et observa.

   Leurs ennemis, au nombre de quatre, étaient rassemblées dans un espace dégagé. Ils portaient tous l'uniforme de la Milice de Saltar. Yugh renifla dédaigneusement. Qu'est-ce qu'ils venaient faire là ? Ce n'était pas leur place. Les miliciens n'auraient pas dû être présent au cours de l'épreuve.

   Sans considération pour l'origine des combattants, Cheveux-Rouge fut efficace. Elle se baissa et fit passer son premier adversaire par-dessus son épaule. Il s'assomma en retombant quelques mètres derrière, au milieu de buissons épineux. Le second adopta la même démarche mais eut l’idée d'utiliser sa magie. Le loup se demanda alors si l’humaine avait remarqué que le mâle avait des flammes bleues au niveau de ses mains, parce qu’elle bloqua et dévia chaque coup pour finalement attraper les poings de l'homme avec une force dont il ne l’aurait jamais soupçonnée. Les flammes disparurent instantanément et l’homme tomba évanoui aux pieds de l’humaine. Qu'est-ce qu'elle venait de lui faire ? Intrigué, le loup observa plus attentivement.

   Voyant leurs comparses à terre, le troisième milicien se figea le temps de définir une nouvelle stratégie tandis que le dernier prenait tout simplement la fuite. Yugh jeta un œil à sa partenaire, histoire de voir si elle allait laisser courir le type ou l'intercepter.

   Le regard de sa partenaire le dérangea. Ce n’était pas normal d’être aussi froide, même pour une humaine. Yugh fronça les sourcils, perturbé. Son regard vitreux lui évoquait un animal en furie. Et en même temps, sa maîtrise et sa précision n'étaient pas la preuve d'un esprit aveuglé par la colère.

  Cheveux-Rouge rejoignit l'homme hésitant en quelques foulées et, le saisissant par le bras, l'envoya contre un arbre avec violence. Le milicien se releva douloureusement. Elle marcha vers lui puis l'attrapa à la gorge et le bloqua contre le tronc d’une seule main. Le soldat acculé tenta de lui échapper, mais il gaspilla son énergie, elle ignora ses coups comme si elle était faite de pierre.

   Soudain, le silence tomba sur la clairière. L’homme s’était tus et l’humaine avait disparu. Encore. Un instant, le loup crut que Cheveux-Rouge avait tué le gars, mais il constata qu’il respirait. L'arkien devait reconnaître qu’elle était rapide, assez pour qu’il la perde de vue en quelques secondes. Où était-elle passée ? Un bruissement de feuilles dans son dos le fit se retourner vivement. L’humaine traînait la quatrième personne, inconsciente, par le pied pour la ramener près des autres. Puis, d’une voix grave, elle annonça :

 « Le portail est à deux kilomètres d‘ici. On aura droit à un comité d'accueil.»

   Sans attendre de réponse de sa part, Cheveux-Rouge s’élança. En reniflant de nouveau, Yugh remarqua que l’odeur de l’humaine avait encore changé. Il ne s’y attarda pas et se mit à courir après elle. Le loup la rattrapa aisément, puis la dépassa. Il fut contraint de ralentir pour l'attendre. Le loup se retint de lui faire savoir qu'elle était plus lente qu'un unijambiste asthmatique. Ce fut pour lui un gros effort, mais il devait avouer qu'elle ne se plaignait pas non plus de la distance qui les séparait pendant la course. Alors quand le portail fut en vue, gardé par une quinzaine de miliciens, il se battit à ses côtés jusqu'à traverser ensemble.

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