Faisons connaissance [2/3]

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   Confettis, trompettes et applaudissements se déclenchèrent à leur arrivée. Ils atterrirent dans une salle arrangée avec des divans, des fauteuils et des tables basses, le tout dans des coloris ocre et rouge sur fond de parquet sombre. Sur les tables reposaient des carafes d‘eau et de vin, et des petits gâteaux. Un lot de consolation ? C'était agréable. Mais étaient-ils sortis de l'univers maîtrisé ? Un coup d’œil à l'une des trois fenêtres prouva à Yugh qu'ils étaient dans la tour de Saltar. Un sourire éclaira le visage du loup. Il avait réussi ! Il était sélectionné pour la dernière épreuve.

   Ils étaient seuls dans la salle pour le moment. Devaient-ils s'attendre à ce que d'autres miliciens les rejoignent ou les combattants faisaient-ils partie intégrante de l'épreuve ? La présence de la Milice n'était pas réjouissante. Yugh l'avait toujours évitée de son mieux. Devaient-ils s'attendre à ce que d'autres candidats les rejoignent ?

   Pendant que Yugh explorait le salon, l'humaine s’approcha d’une fenêtre. Elle regarda vers l'extérieur puis s’assit sur le fauteuil le plus proche pour ne plus bouger. Cette soudaine et totale immobilité était effrayante. Yugh n’avait pas fait attention pendant leur course pour rejoindre le portail, mais maintenant qu’ils étaient au calme, il remarqua que la tunique de Cheveux-Rouges était déchirée et son corset était brûlé là où l'homme aux flammes bleues avait frappé. Elle avait sûrement une ou deux côtes cassées vu les creux sur la protection de cuir.

   L’arkien ouvrit la bouche pour poser une question et la referma aussitôt quand une porte s'ouvrit derrière lui. Un homme entra. La barbe et les cheveux poivre et sel coupés court, de petits yeux noisette à l'expression indéchiffrable, il portait la même soutane bleue que les juges d’examens. Il était pourtant plus que cela. Yugh reconnut Iasi Raphaël, le maître de sorcellerie.

   Maître Raphaël détailla les deux concurrents un court instant avant de s’exclamer joyeusement :

  « Toutes mes félicitations ! Vous allez bientôt pouvoir disposer de votre temps comme bon vous semble. La seconde équipe sera là dans quelques minutes. Ce que vous avez fait était incroyable ! Encore bravo ! »

   Le maître s’avança ensuite vers Arya Al'raï. Il nota les traces de combat, se pencha vers elle et rappela d’un ton bienveillant :

 « Une équipe médicale peut venir si vous le souhaitez.

 — Non merci.

 — Faites voir vos mains, demanda-t-il suspicieux.

 — Je vous assure que … »

  Raphaël les prit de force et les regarda attentivement. Il ouvrit des yeux surpris en découvrant les multiples brûlures violacées qui les décoraient. Il les tourna dans tous les sens et remarqua des blessures semblables sur ses avant-bras. Arya découvrit les blessures en même temps que lui.

 « Ce sont des brûlures magiques ! Vous devez voir un médecin. C’est arrivé dans le volcan ?

 — Je ne sais plus, bafouilla Arya, le regard de nouveau clair.

 — Elle a attrapé les poings d’un humain qui faisait de la magie, raconta Wolfgang, le bassin appuyé contre le mur entre deux fenêtres.

 — Vous avez fait quoi ?

 — Elle a éteint la magie du type comme on éteint une bougie en étouffant la flamme.»

  Arya regarda Yugh sans comprendre. Est-ce qu'il se moquait d'elle ? Elle ne pouvait pas avoir fait cela. Pourtant, la nouvelle ragaillardit le maître qui trembla d’excitation. Il serra les mains de la princesse et s’écria gaiement :

 « Vous avez un grand avenir devant vous. Notre école sera ravie de vous accueillir.

 — Vous me faites mal. Lâchez mes mains.

 — Oh ! Oui, bien sûr. Excusez-moi. »

   Il joignit le geste à la parole en se relevant. Le maître répéta qu’une équipe de soigneurs pouvaient venir, puis il salua Yugh d’un petit hochement de tête et s’éclipsa comme il était venu. L'arkien gronda après le départ du maître. Il se rapprocha un peu d’Arya et jeta un coup d’œil, de loin, sur ses brûlures.

  « Tu devrais peut-être suivre les conseils de Maître Raphaël.

  — Depuis quand tu t’inquiètes pour ma santé, hein ? répliqua sèchement la jeune fille qui cumulait les pertes de conscience.

  — Hé toi ! Fais gaffe ! réagit vivement Yugh vexé d’être rejeté avec tant d’agressivité pour une fois qu’il se montrait gentil. Comment tu m’as parlé tout à l’heure ? Pourquoi tu t’es jetée sur moi ? Tu voulais te débarrasser de moi, c’est ça ?

 — J’y étais obligée ! répliqua-t-elle en se levant pour lui faire face, et exprimer tout ce qui lui venait sans réfléchir. Si je ne t’avais pas plaqué au sol, tu te serais pris l’un de leurs sorts ! Mais apparemment, je ne dois pas m’attendre à des remerciements de la part d'un loup au comportement puéril et complètement déplacé !

  — Tu es complètement tarée ! s'écria-t-il encore plus furieux qu‘elle lui réponde sur ce ton.

  — Ta colère a totalement brouillé tes sens ! Tu n’avais même pas senti leur présence, cria-t-elle pour couvrir la voix de Yugh qui avait commencé à répondre. Et ne dis pas le contraire ! »

  La fille se tut en se tenant les côtes. Yugh ragea en silence. Il était vrai qu’il n’avait pas senti la présence des miliciens. Il avait été surpris quand il les avait vus dans la clairière. Mais il était hors de question qu’il l’avoue devant elle.

Arya, le voyant muet, n’ajouta rien. Son état de santé la préoccupait beaucoup plus. Elle était sérieusement blessée et ignorait comment cela s’était produit. Sa mémoire était étrangement floue, mais la douleur était bien réelle. La princesse se rassit, se concentra sur sa circulation sanguine et activa le seul sort de soin qu'elle connaissait. Appartenant à la catégorie des mialis, elle n'usait ni de la parole ni du geste pour faire de la magie. Malgré son manque d’expérience, Arya savait au moins cela, bien qu’elle ne se rappelle plus qui le lui avait appris ni dans quelles circonstances.

  Yugh grinça des dents, bien malgré lui, à chaque os qui craquait en se remettant en place. Il observa un instant la fumée qui s’échappa des zones brûlées avant de se rendre compte qu’il n’y avait plus rien, plus aucune blessure : elle était guérie. Sa mauvaise foi laissée de côté, il reconnut que Cheveux-Rouge avait du potentiel, rien que pour avoir l'avantage de ne dépendre de personne pour soigner ses plaies.

  Arya finissait de se soigner lorsque la seconde équipe arriva, congratulée de la même manière qu‘eux avec trompettes et confettis. Il s’agissait de deux garçons. Le premier avait l’air d’un enfant. Il avait les cheveux noirs mal coiffés, de grands yeux bleus pétillants de malice et les vêtements tachés à cause de la course en forêt. L’autre qui lui tournait le dos, était blond, plus âgé, vraisemblablement plus calme et portait un riche ensemble de soie bleue qui ne semblait pas avoir souffert du voyage. Le noble et l'enfant. C'est ainsi que la princesse se les représenta avant de s'en détourner pour épousseter ses propres vêtements qui gardaient des traces de cendre.

  À peine arrivé, le garçon aux cheveux noirs s’écria fier de son exploit :

  « Yi-ha ! On a réussi ! Je t’avais bien dit qu’on y arriverait !

  — Comme tu le dis. Nous avons eu de la chance de ne croiser personne. »

   Les arrivants remarquèrent le duo et repoussèrent leur discussion. Le grand blond eut l'agréable surprise de retrouver la princesse rebelle. Il vint s'incliner devant elle avec respect et admiration.

 « Je suis heureux d'avoir le plaisir de vous retrouver, Votre Grâce. »

  Arya releva la tête et reconnut tardivement le Dauphin de Larfonie. Elle se contenta d'incliner la tête pour le saluer. Elle n'était pas d'humeur pour les mondanités. Et puis, la jeune fille n'eut pas vraiment le temps de faire quoi que ce soit parce qu'une sorte de tornade montée sur ressorts balaya le prince bien élevé pour prendre sa place.

 « T'es une princesse ? Je n’en ai jamais rencontré avant ! T'es belle ! Tu t'appelles comment ? Moi c'est Ruy ! J'ai douze ans. Et toi tu as quel âge ? Tu viens d’où ?»

   Le Dauphin attrapa le gamin, le souleva à bras le corps et le bâillonna d'une main pour le faire taire pendant que ses jambes battaient dans le vide. Tobias lui signala avec autorité que ce n'était pas des manières de se tenir devant une dame. Le prince regarda enfin Arya avec lassitude.

  « Veuillez l’excuser, il n'a aucune éducation.»

   Elle haussa les épaules en justifiant les actions de l'enfant comme naturelles pour son âge. La curiosité n'avait pas à être un défaut si elle était bien conduite. Le gentilhomme ne désapprouva pas et orienta la conversation sur le déroulé de l'épreuve.

   Après quelques mots échangés avec le prince, Arya croisa le regard du garçon. Il avait les yeux brillants, semblait à deux doigts de pleurer. Elle s'en trouva bouleversée et retira la main du Dauphin qui le bâillonnait toujours.

  « Hé ! Ça ne va pas, petit ? »

  Ruy se dégagea de la prise de son partenaire et sauta au cou d'Arya en la remerciant d'être si gentille. Sur le coup, elle ne comprit pas, mais lui frotta doucement le dos en retrouvant son sourire. Tobias sourit également, amusé et attendri par la spontanéité du garçon.

   De son côté, Yugh Wolfgang observa la scène en gardant ses distances. Ces humains et leurs bons sentiments ! Pouah !

   Maître Raphaël revint un instant plus tard et félicita les vainqueurs. Il leur signala à tous qu'ils devaient quitter la tour et qu’ils avaient le champ libre jusqu'à midi. Le dernier examen débuterait au zénith.

 « Pourquoi nous faire entrer dans la tour si c'est pour nous virer juste après ? marmonna le loup en se dirigeant vers la porte.

 — Prends cela pour un grand honneur si tu échoues tout à l'heure. Tu pourras te vanter d'avoir vu l'intérieur des murs. »

  La remarque du maître déplut particulièrement à l’arkien qui n'avait pas l'intention de se laisser abattre si près du but. Il passa rageusement devant Raphaël qui leur indiquait la sortie et suivit l'unique chemin pour quitter la tour sans attendre les humains qui se mirent en mouvement après lui. En silence, ils traversèrent un long couloir sans portes ni fenêtres où il faisait clair comme en plein jour. Ils atteignirent le parvis de la tour assez rapidement.

  Une fois dehors, Yugh ne s’attarda pas et traça sa route. Quand le trio se retourna vers le bâtiment qu’ils venaient de quitter, nul passage ne subsistait.

 « Quelle tour étrange, chuchota l'ignorante.

  — Cela fait partie de ses caractéristiques, commenta le Dauphin. Nul ne peut y entrer s'il n'y a pas été invité.

  — C'est pareil pour sortir ? demanda Ruy en toute innocence.

  — Qui voudrait te garder ? grogna Wolfgang en s'éloignant sans les attendre une fois de plus. Adieu. »

   Il avait lancé ses salutations à l'intention de sa coéquipière. Arya s'étonna qu'il prenne la peine de le faire et lui répondit poliment même si elle doutait qu'il l'ait entendue. Le Dauphin suivit l'arkien des yeux, maigre tentative pour cerner le personnage, avant de concentrer son attention sur la princesse. Il lui tendit le bras avec élégance, un charmant sourire aux lèvres.

 « Accepteriez-vous de déjeuner en notre compagnie, Votre Grâce ?

 — Oh ! Dis oui ! s’écria Ruy en tapant des mains. On va bien s'amuser !

  — Seulement si vous m'appelez Arya. J'ai un prénom, autant l'utiliser. »

   L'affaire fut entendue. Ils furent invités dans les quartiers du Dauphin qui leur fit profiter de son chef-cuisinier et des délicieux plats de son pays. Ce fut un repas plein de bonne humeur qui réchauffa le cœur d’Arya. Elle s'amusa, l'esprit divertit de ses soucis et put se préparer à la suite sans s'inquiéter outre mesure.

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