Tête de nœud et chef d'orchestre [1/3]

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  Perdu dans ses pensées, Luménor s’enfonça dans le dédale souterrain jusqu’à déboucher dans l’ancienne trésorerie, face au miroir de Galriel. Quand il découvrit où l’avaient mené ses pas, il fit volte-face et manqua de bousculer Santhià qui le suivait de près. Un bref instant, il eut envie de passer sa frustration sur elle. Mais la pauvre enfant n’y était pour rien. C’était cette sale gamine ! Arya Al’raï. Incapable de s’éveiller même quand on faisait tout pour l’aider ! Ni les épreuves virtuelles ni le tournoi n’avaient eu raison d’elle. Quel était le problème ?

   Santhià osa le questionner :

  « N’êtes-vous pas heureux de l’éveil de l’Ombre ? »

  Luménor gronda en la fixant de son regard le plus meurtrier. Se moquait-elle de lui ? Il leva la main pour la frapper. Santhià recula devant le courroux du maître. Paralysée par la fumée noire qu’il dégageait, elle ne fut pas en mesure de se prosterner pour demander son pardon, tétanisée. Puis la tension redescendit quand Luménor prit conscience de ce qu’elle avait dit. Elle fut soudainement libérée de son emprise et tomba à genoux.

  « Comment ça l’Ombre s’est éveillée ?

  — Oui, maître, répondit Santhià avec précaution. L’Ombre est apparue. Elle n’a été visible qu’un instant mais…

  — Qui ? la coupa-t-il sèchement.

  — Xaan Talin.

  — Lui ?

  — Oui, maître. Je suppose que le Phénix ne s’est pas éveillé à cause de lui. La présence de l’Ombre a dû faire le reculer…

  — Cesse de supposer. Je veux des faits.

  — Le Phénix a laissé son empreinte. Il est entré en contact avec l’Ombre et s’en est allé à son éveil. Je ne comprends pas comment…

  — Santhià, la rappela-t-il doucement à l’ordre.

  — Oui ! Pardon. Des faits. Je résume : Talin est le descendant de l’Ombre, quelque chose a empêché le Phénix de s’éveiller et la Sainte a quitté le panthéon de Naguilé.

  — Quoi ? »

   Santhià avait tenté sa chance. Elle se fit toute petite après sa déclaration, Luménor était hors de lui. Galriel les interrompit en laissant éclater un rire victorieux. Cela détourna la colère du maître vers le miroir. Il retourna sur ses pas et se planta impérieusement devant le bloc de cristal. Le visage souriant de Galriel apparut pour narguer Luménor.

  « Qu’est-ce qui te fait rire ? explosa ce dernier.

  — Toi. Tu es tellement…

  — Parle ! cria le Gardien.

  — Pathétique ! termina Galriel avec un sourire narquois. Regarde-toi ! Tu veux forcer les événements et tu fais tout de travers. On dirait un enfant qui veut courir avant de savoir marcher.

  — Qu’est-ce que cela signifie ?

  — Cela signifie que tu es un imbécile. Doublé d’une crapule véreuse. Triplé d’un vieillard pernicieux. Tu es incapable de maîtriser le Phénix ! Rend-toi à l’évidence.

  — Le Phénix sera à moi !

  — Tout le monde sait que le Phénix n’appartient qu’à lui-même. Enfin, tu verras bien. En fait, tu sais quoi ? Fais ce que tu veux. C’est incroyablement distrayant. »

  Sur ces entrefaites, Galriel disparut et Luménor resta un instant silencieux, plongé dans ses pensées. Santhià resta à la porte. Prête à fuir, comme à rappliquer. Luménor sortit tranquillement de la salle. Après un coup d’œil vers le bloc éteint, la lamie referma le battant et suivit le maître qui avançait lentement.

   Les mains croisées dans le dos, il méditait les avertissements de Galriel. Comment savoir ce qu’il fallait prendre au sérieux et ce qu’il fallait dénigrer ? La voyance était si particulière, les visions si changeantes et Galriel si enclin à se montrer énigmatique. Comment s’y fier ? Luménor n’avait jamais accordé sa confiance aux oracles, à partir du moment où les prédictions n'allaient pas son sens. Pourtant, il avait besoin des visions de ces derniers pour ajuster ses plans, maintenant plus que jamais.

   Luménor soupira. Le calme était revenu dans son esprit, mais il avait consumé son corps d’emprunt en s’énervant de la sorte. Il sentait que le vieillissement de cette enveloppe s’était accéléré. La modération n’était pas son point fort.

  « Mobilise la Milice. Je veux des équipes placées dans chaque bâtiment, dans chaque village. Je veux que chacun se tienne prêt à donner l’alerte dès que la Sainte aura posé le pied sur mon île. Je m’occuperais personnellement du Phénix plus tard. Je crois qu’il n’y a qu’ainsi que j’obtiendrais des résultats. En attendant, prépare une salle pour Talin. Je veux voir de quoi il est capable en situations réelles. Pour le reste… Nous verrons demain. »

  Santhià acquiesça à tout, puis s’esquiva pour déléguer et exécuter les ordres. Luménor passa le reste de la nuit à réfléchir, affalé sur son trône entre les pattes de sa vieille ennemie. Le rire de Galriel résonna à l’étage inférieur pendant de longues minutes. Il rappelait ainsi à Luménor à quel point il était dans une impasse malgré les apparences.



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