Le calme avant la tempête [1/3]

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 «Monsieur, s'il vous plait !»

  L’homme en soutane bleue se retourna lentement vers la jeune femme et les deux garçons qui la suivaient. D’âge moyen, il avait les cheveux argentés et de grosses lunettes rondes qui lui faisaient des yeux énormes. Ruy se mit à rire en le voyant de face. Zoann lui plaqua une main devant la bouche afin d'éviter tout commentaire et laissa Mora prendre la parole pour eux.

 « Est-ce que vous savez si nous pouvons rendre visite aux blessés ? Hier, une amie a été emmenée à l’infirmerie et nous sommes inquiets pour elle.

 — Les visites ne sont pas autorisées tant que vous n'êtes pas habilités.

 — C’est-à-dire ?

 — Dès que vous aurez rempli toutes les formalités administratives, vous aurez accès à la tour.

 — Est-ce que vous pouvez nous y aider ?

 — Bien sûr. Suivez-moi. »

  Zoann retira sa main du visage de Ruy mais le garda à l'œil. Mora fut la première à suivre la soutane bleue. Le petit groupe fut guidé jusqu'au bâtiment de brique. La jeune femme se renseigna auprès de leur accompagnateur qui se révéla fort sympathique et plutôt bavard.

  Le bâtiment possédait trois niveaux de dortoirs sécurisés et adaptés aux besoins des différentes races ; le rez-de-chaussée et le dernier étage avaient d'autres attributions. Les trois gais lurons connaissaient déjà le réfectoire et les bains, mais aucun d'eux n'était monté au quatrième et dernier étage où se trouvaient les bureaux de l’Université.

 « Voilà, conclut leur guide, une fois dans le hall en haut des derniers escaliers. Sur votre droite, vous avez l'accueil. Demandez à Guinez les formulaires d'inscription. Elle vous indiquera dans quel bureau les déposer. »

  Mora et Zoann remercièrent leur guide afin de le libérer puis entreprirent de faire le nécessaire pour que toutes les formalités soient accomplies. Ils aidèrent Ruy avec son formulaire puis s'en allèrent prendre un goûter dans les jardins.

 « Voilà une bonne chose de faite, pas vrai ?

 — Quand est-ce qu'on pourra aller voir Arya ?

 — Bientôt, mon chou, bientôt. Finis ta pomme. »

  Très maternelle avec le benjamin, Mora échangea un regard avec Zoann. Quelque chose la dérangeait depuis un moment mais elle ne parvenait pas à mettre le doigt sur ce que c'était.

Ж

  L'inconscience n'était qu'une porte ouverte sur ses cauchemars. Arya se réveilla en sursaut ; une douleur sourde faisait pulser ses cicatrices. Elle se redressa sur son lit sans drap et chercha quelque chose de rassurant. La salle était grande et claire, mais lui était inconnue. Son cœur s’emballa. Prise de panique en ne sachant pas où elle était, sa respiration devint incontrôlable. Tous ses muscles se tendirent. Il fallait qu’elle sorte de là, qu’elle prenne l’air. Arya étouffait.

  Alors que la princesse s’agitait avec l’intention de se lever, un jeune homme en blouse bleue s'approcha. Sur la défensive, Arya tendit la main et sa magie s'activa. Une boule de feu fut générée au creux de sa paume, prête à fuser. L'infirmier recula par prudence tout en parlant lentement :

 « Tout va bien. Vous êtes à l’infirmerie. À Saltar. Le tournoi. Vous vous souvenez ? Vous avez été blessée lors du dernier affrontement. Mais c’est terminé maintenant, vous n’avez plus à vous battre. Du calme. »

  Des yeux, la princesse fit un tour rapide de la pièce. Les fenêtres filtraient une lumière claire. Les lits sur sa gauche étaient vides. En revanche, ceux d’en face étaient occupés. À sa droite, il y avait un homme en blouse blanche. Une trentaine d'années, peut-être moins, probablement plus. Les cheveux étrangement gris pour son âge. Il recousait un arkien sur le lit d’à côté. Yugh Wolfgang. Son partenaire. Grognon, condescendant.

  Enfin quelque chose à quoi se raccrocher. Mais la crise était déjà là. Bien installée. Le médecin releva la tête et croisa le regard affolé de la jeune fille au souffle hâché. Aussitôt, il fit signe à l'infirmier d'aller se trouver une autre occupation. Il se chargerait lui-même de la crise.

  Toute à l'observation de son environnement tel un animal emprisonné, Arya regarda dans toutes les directions avant de se fixer à nouveau sur l'être en mouvement le plus proche d'elle : l'homme en blouse blanche.

  Sans quitter son patient des yeux ni les aiguilles qu'il manipulait, le soignant commença à faire la conversation.

 « Votre compagnon m’a donné pas mal de fil à retordre. Mais il est solide. Il va s’en sortir. Les arkiens sont très résistants. Les dieux veillent sur eux plus que sur n’importe qui. »

  Il y avait du sang partout, sur le lit, sur des chiffons, des cotons. Et des tas d'instruments médicaux sur un petit chariot. La princesse n'en avait jamais vu autant. Même dans le cabinet de Mahal, le médecin de la famille Maceri. Arya se concentra sur ses observations et reprit peu à peu le contrôle de sa respiration, comme elle en avait l'habitude.

 « Bonjour, je suis Luc Nandru, médecin-chef par intérim, se présenta-t-il quand il sentit qu’elle était plus apte à l’écouter. Comment vous sentez-vous ? Mes assistants n'ont observé aucune blessure externe et je n'ai pas encore eu le temps de vous scanner. Le loup m’a occupé toute la nuit.

 — Me… scanner ? »

  Il tourna la tête vers Arya et un frisson lui parcourut le dos quand elle croisa son regard aux iris dorés sur sclère bleue, presque noire. Le médecin avait des yeux d'elfisse. C'était surprenant pour un être qui n'avait pas d'oreilles pointues et qui ne mesurait pas moins d'un mètre cinquante.

  L’arkien eut un soubresaut et le médecin se concentra sur son patient. Il attrapa une poche de sang sur le chariot à côté de lui ainsi qu’un long tube souple auquel il fixa une aiguille creuse. Arya l'observa tout au long de la procédure. Elle avait toujours été intéressée par la médecine et l’étude du corps. Si cela pouvait l’aider à comprendre ses propres dysfonctionnements…

  La princesse sursauta quand le médecin lui reposa ses questions. Elle se fit un bilan interne avant d'activer un sort d'autoguérison sans prendre la peine de lui répondre. Ce n'est qu'une fois terminé qu'elle se rendit compte que Luc Nandru la fixait. Leurs regards se croisèrent à nouveau et Arya frissonna. Elle n'aimait pas cette sensation de fouille. Qu’est-ce que cela signifiait ?

 « Intéressant. Tu te sens mieux ? »

  La jeune fille se contenta d'un hochement de tête silencieux alors qu'il se concentrait pour terminer les soins du loup. Il répandit une étrange pâte verte luminescente sur les plaies avant de faire les bandages. Ses gestes étaient précis, rapides et doux. Les plaies bandées, le médecin s'intéressa à la brûlure que Yugh avait au visage.

   La princesse ouvrit de grands yeux devant l'ampleur de la blessure. Était-ce de sa faute ? L'avait-elle brûlé sans s'en apercevoir ? Mais quand ? Quand avait-elle pu le brûler ? Arya prit conscience qu'elle ne se souvenait pas de ce qu’elle avait fait avant d’arriver à l’infirmerie. Elle déglutit puis serra les dents et les poings. Qu'est-ce qu'il s'était passé ? Avait-elle blessé quelqu'un d'autre ?

   Elle se mit à trembler, toute crispée, le regard vague. La crise revint plus forte. Le médecin quitta immédiatement Yugh et vint claquer des doigts devant ses yeux.

 « Holà ! Reste avec moi, ma belle ! Reviens ! Reviens ! Voilà, c'est ça. Regarde-moi. »

  Arya cligna des yeux et se mit à ventiler une nouvelle fois. Puis une odeur de roussi monta à ses narines. Elle baissa les yeux et vit que son drap avait changé de couleur sous la chaleur dégagée. Il y avait une belle auréole caramel dont le centre tendait vers le noir. Ce fut un miracle que ses vêtements n’aient pas pris feu. Les larmes lui montèrent aux yeux et elle s’agita paniquée.

 « Je suis désolée… Je suis vraiment désolée ! Je ne voulais pas ! Je suis désolée ! »

  Le médecin avança la main pour toucher son épaule, elle le repoussa brusquement. Il attrapa soudainement son bras et lui injecta un produit relaxant. Nandru se rapprocha et la maintint assise en la rassurant avec douceur.

  La douleur fugace de l’aiguille fut bientôt remplacée par un vertige puis elle perdit connaissance. Le médecin la plaça aussitôt en quarantaine. Là-bas au moins, elle ne causerait aucun dommage puisque la pièce était prévue pour tout type de débordements magiques. Il fallait sécuriser les lieux afin d’éviter tout incident. Il n'y avait pas assez d'effectifs pour bouger tous les patients en cas d'évacuation d'urgence.

  En revenant vers l'arkien, Nandru demanda à ce qu'une fiche médicale soit préparée pour la jeune fille. Une fois les ordres donnés, il s'arrêta au pied du lit de Wolfgang et soupira en souriant :

 «Revenons à nos moutons, mon petit loup. Je n’en ai pas encore terminé avec toi. »

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