Bienvenue chez vous [4/5]

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  Quelque chose changea soudainement chez Arya quand leurs regards se croisèrent à nouveau. Luc esquissa un sourire rassurant puis recompta les formes. Il n’en dénombra plus que trois. Qu’était-il advenu de la dernière ? Arya manqua un pas de danse, puis son attitude changea. Elle se redressa, bougea différemment. Était-elle possédée ? Sa curiosité scientifique éveillée, Luc observa de nouveau la princesse, cherchant un détail qui lui permettrait de comprendre ce qu’étaient ces spectres attachés à ses pas.

   Après de longues minutes sans résultats, il fut contraint de renoncer. Il ne voyait rien qui puisse l’aider. Il s’avança donc vers Arya pour être son prochain cavalier.

 « Luc Nandru ! le salua-t-elle avec un rire très aristocratique en se retrouvant face à lui pour le quadrille. Vous devez sûrement être plus à l’aise dans un laboratoire que sur un rythme cadencé !

 — Je ne me débrouille pas si mal pourtant, rétorqua-t-il en cherchant certaines substances qui pourraient expliquer le changement de comportement de la jeune fille.

 — Vraiment ? demanda-t-elle en levant des yeux rouges vers le médecin. Pourtant vous semblez vous croire sur votre domaine. »

  Tandis qu’il remarquait le changement de pigmentation de ses iris, l’un des spectres se substitua à celui déjà présent. Son expression changea et elle le somma de cesser ses expériences d’un ton menaçant. Il obéit dans l’ignorance des conséquences que pourrait avoir son entêtement, même si l’une d’elles apparut rapidement. Arya manqua de trébucher et le repoussa brusquement. Luc dénombra quatre formes à nouveau. Il fit automatiquement le rapprochement et voulut en savoir plus. Mais il lui faudrait patienter pour approfondir le sujet ; Arya s’éloignait de la danse en se tenant la tête. Luc la suivit.

 « Que se passe-t-il ? s’inquiéta-t-il.

 — Je vais bien, martela-t-elle faiblement en respirant profondément.

 — Je t’emmène à l’infirmerie. »

  Luc la prit par la taille et lui fit prendre la direction de la sortie. Elle le repoussa encore et continua d’avancer seule.

 « Non ! Je vais bien ! Je vais aller me coucher, ça ira mieux demain.

 — Cela t’arrive souvent ?

 — Quelque chose ne va pas ? »

  Zoann les avait rejoints en les voyant quitter la piste. Arya soupira, agacée. Ce n’était pas le moment d’avoir deux protecteurs sur le dos.

 « Puisque je vous dis que ça va ! »

  Ses mains s’enflammèrent. Elle prit peur et croisa les bras pour se calmer. Arya parvint à étouffer les flammes mais il était trop tard : elle avait dérapé. Elle s’éloigna vivement, aussitôt suivie par les deux garçons et quelques regards curieux. Ils quittèrent la salle de bal et Luc haussa le ton dans le hall désert.

 « Arya ! Je ne peux décemment pas te laisser dans cet état. Regarde-moi ! »

  Elle lui fit face vivement, les pupilles ardentes, des larmes au bord des yeux. Zoann s’interposa et glissa doucement au médecin.

 « Je ne pense pas que ce soit le meilleur endroit pour la provoquer. Je l’ai déjà vu dans cet état, si tu continues, il va y avoir des dégâts.

 — Peux-tu être plus précis ?

 — Laisse-moi faire. »

   Luc hocha la tête et Zoann s’avança vers Arya qui recula d’un pas, se mettant sur la défensive. Le bagrilien leva les mains en signe de paix et lui parla, la voix la plus douce possible.

 « Je ne vais rien te faire, princesse, je veux juste marcher avec toi. Tu permets que je te raccompagne ? On va où tu veux, je veux juste te raccompagner pour m'assurer que tout va bien. D'accord ? »

  Elle le fixa avec défiance puis son regard dévia vers le médecin qui recula pour lui faire comprendre qu’il ne les suivrait pas. Elle se mit alors en chemin, croisant les bras contre son ventre, la tête rentrée dans les épaules. Zoann marcha à son rythme avant de commencer à parler de tout et de rien. On n’entendait que lui dans le couloir. Luc soupira en les voyant partir. Il notifierait tout cela et ne manquerait pas de questionner Arya la prochaine fois qu’il la verrait. Dans l’immédiat, il fit demi-tour et retourna à la fête. Il n’avait pas passé la porte qu’un groupe lui tomba dessus, une brune aux yeux clairs en tête.

 « Qu’est-ce qu’il se passe ? demanda vivement Mora. On a vu Zoann partir avec Arya.

 — Elle a fait un malaise, répondit Luc en reconnaissant les personnes qui se trouvaient près de la princesse pendant le discours du Gardien. C’est peut-être une conséquence du tournoi, je ne sais pas. Il faudra que je l’examine.

 — Vous êtes médecin ?

 — Oui. Je me suis déjà occupé d’elle après la finale.

 — Trop cool ! commenta Ruy. T’as vu comment elle est trop forte Arya ? »

  Mora soupira. Ruy était complètement hors sujet. Mais elle n’eut pas le temps de le reprendre, Zoann était de retour avec une demoiselle têtue dans les bras.

 « Ah ! Doc, ça tombe bien ! J’avais peur de devoir te chercher. Elle s’est évanouie juste en bas des escaliers, j’ai préféré te la ramener. »

  Luc s’avança et prit la température d’Arya. Elle semblait normale mais ses autres constantes étaient perturbées. Il la dirigea aussitôt vers l’infirmerie. Une fois sur place, il aurait à disposition tout ce dont il avait besoin. Zoann garda Arya dans ses bras et la porta jusqu'à destination Mora proposa d’aller chercher d’autres vêtements, ce que Luc accepta en voyant l’état de la bague que Lola avait donnée à la princesse. Ruy soupira tristement et se faufila pour faire un bisou à Arya.

 « Repose-toi bien et reviens vite avec nous. »

  Les hommes et Mora s’en allèrent précipitamment, tandis que Lola gardait Ruy avec elle. Il semblait triste et la léovienne n'aimait pas voir les gens tristes.

 « Viens, on va essayer de trouver quelque chose à manger. J’ai faim, pas toi ? »

  Elle se força pour lui. L’incident lui avait un peu coupé l’appétit, mais il en fallait plus au garçonnet pour se laisser abattre. Suna apprit la nouvelle avec un désintérêt étrange. La soirée suivit son cours. La métisse chaperonna Lola et Ruy qui se trouvèrent des atomes crochus au point de se mettre en tête de faire des farces.

#

  À l’autre bout de la salle de bal, Lily Leyhan, escortée de son garde du corps, prenait son courage à deux mains pour approcher le Dauphin de Larfonie, déjà bien entouré. Elle n’était qu’à quelques pas mais elle n’était pas près de lui parler. Il subissait bien trop d’assauts de la part des autres demoiselles.

  Elle aurait aimé discuter avec lui de ce qu'il s'était produit pendant leur rencontre au tournoi. Juste avant leur chute, il y avait eu une étrange connexion et elle aurait apprécié élucider ce mystère. Même si ce n'était probablement pas le meilleur endroit pour ce genre de conversation.

  Dans un soupir, elle renonça :

 « Viens Margarof, allons prendre un verre. »

  Son protecteur n’osa pas la contredire. Il prit les devants et intercepta une soutane bleue. Lily Leyhan accepta une coupe avec délicatesse et but le liquide pétillant avec parcimonie. Margarof se tenait sur le qui-vive, surveillant avec sévérité toute personne dans un rayon de dix mètres. Même si elle n’y paraissait pas, la nuwë étudiait attentivement les groupes de dignitaires et de diplomates, peu enclins à se mélanger aux étudiants de l’Université. D’ailleurs, les invités ne semblaient pas vouloir se mêler les uns aux autres. Les nobles s’étaient rassemblés dans un espace, prenant leurs aises avec autorité. Les hauts bourgeois et autres rapaces formaient des groupuscules aux aguets, prêts à grignoter la moindre miette de sang bleu. Le reste des élèves se répartissait selon leurs années d’étude, parfois selon leur race. Rien d’inhabituel dans un événement de la sorte.

  Un soupir lui échappa et Lily fit face à Margarof en se détournant de ses observations.

 « Encore dix minutes et on rentre. »

#


  De son trône perché, Luménor détaillait chaque personne présente, maîtres et élèves, visiteurs et accompagnateurs. La plupart des invités ne resteraient qu’un jour de plus avant de quitter les lieux. L’île retrouverait alors sa population habituelle d’étudiants, d’employés et d’enseignants. Ses yeux balayaient l’assemblée avec intérêt. Un tel serait utile, un autre serait à surveiller, d’autres encore avaient des capacités loin d’être à leur apogée. Mais tous étaient ici sous son commandement, sous ses instructions, à ses ordres. Autant de situations qui le rendaient extatique.

  Son attention portée sur l’incident aux portes de la salle, Luménor ignorait qu’une dignitaire attendait aux pieds des escaliers l’autorisation d’approcher. Santhià lui caressa délicatement la main pour attirer son attention.

 « Maître, l’ambassadrice d’Iscil désire s’entretenir avec vous.

 — Qu’elle vienne. »

  La lamie fit signe à l’émissaire de les rejoindre. Elle se démarquait des autres délégués débonnaires par sa jeunesse apparente et sa prestance. De son teint de crème à son regard charmeur, la grande dame, aux attributs généreusement mis en évidence dans son sari indigo richement brodé d'or et de turquoise, avait tout pour séduire. La sorog s’avança jusqu’à faire une élégante révérence au Gardien avant de lui adresser la parole avec assurance.

 « Bonsoir, Gardien. Vous avez toujours autant de goût pour vos divertissements à ce que je vois. C’est un plaisir d’y assister.

 — Je vous remercie d’attacher chaque année autant d’importance à cet événement malgré vos multiples occupations, répondit Luménor, agacé par la présence de la sœur de l’empereur d’Iscil.

 — Cela fait pourtant partie de mes fonctions. Garantir la paix et la sérénité entre nos états, solidifier nos échanges de connaissances. Mais, ce n’est pas pour cela que je tenais à m’entretenir avec vous ce soir.

 — Je vous en prie, Votre Altesse Impériale, rétorqua-t-il en insistant sur son titre, entretenez-moi de la raison exacte. Le suspense m’est insoutenable.

 — Je n’en doute pas, commenta-t-elle avec un brin d’insolence. Je tenais simplement à vous prévenir : je vais prendre mes quartiers à Saltar. Les voyages m’ennuient, voyez-vous. Et il est certain que j’aurais de nombreuses occasions d’être présente en ces lieux dans les mois à venir. Afin d’éviter vos frais, comme les miens, je vais m’installer dans les appartements que vous me prêtez habituellement. J’aurais mes propres servants, vous n’aurez à vous occuper de rien.

 — N’avez-vous pas peur de vous ennuyer ?

 — Votre Université regorge de divertissements, ne prétendez pas le contraire. Chercheriez-vous à me convaincre de partir ? demanda-t-elle après une courte pause. Vous savez que l’empereur n’apprécie aucune contrariété. Il serait dommage de gâcher une si longue entente pour un futile malentendu. La sécurité de votre île vous inquiète donc si peu ? »

  Luménor avait perdu cette partie. Ambroise Cescil était une femme redoutable. Elle avait gagné, elle le savait, et elle le fit savoir en affichant un sourire victorieux. Elle s’inclina sans se départir de son sourire puis retourna à la fête. Son statut diplomatique la protégeait. Sœur de l’empereur d’Iscil, elle avait les pleins pouvoirs en dehors de son pays. C’était frustrant de devoir se coucher face à des fantaisies qui pouvaient lui coûter cher. Il fit signe à Santhià de mettre la sorog sous surveillance pendant qu’il retournait à son observation, même si l’entrain l’avait quitté.


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