Bienvenue chez vous [5/5]

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  L’ambassadrice n’avait pas pris cette décision à la légère, même si elle n’avait rien anticipé de longue date. À son arrivée, elle avait salué les diplomates et les délégués des quatre coins du monde. Cela avait été fastidieux. Pour s’en remettre, elle s’était trouvé un cavalier digne d’elle et avait esquissé quelques pas de danse. C’est ainsi qu’elle avait repéré une chevelure sanguine sur la piste, vêtue de pied en cap comme une ancienne connaissance.

  Interpellée par la présence cette jeune fille, Ambroise l’avait suivie dans l’espoir d’échanger quelques mots avec elle afin de connaître son identité. Mais un vieil ambassadeur s’était interposé et elle avait perdu de vue sa cible. Le seul moyen qui lui apparut efficace pour en apprendre plus sur cette fille était de résider quelque temps à l’Université. Voilà pourquoi elle avait embêté le Gardien, avec un plaisir immense.

  La soirée lui réserva pourtant une autre surprise, et de taille. En descendant les quelques marches qui menaient au trône du Gardien, elle aperçut une Cheveux-Argent. Une fois au pied de l’escalier, Ambroise intercepta une soutane bleue et lui demanda qui était la jeune nuwë.

 « C’est la fille du maire de Longvent en Nuweat, Lily Leyhan, Votre Altesse. Elle a été admise suite aux sélections annuelles. Vous la trouverez accompagnée de son chaperon.

 — Vraiment ? »

  Ambroise réserva un salon attenant à la salle de bal. Elle s’y installa puis manda l’un de ses serviteurs personnels pour qu’il aille quérir la jeune Leyhan. Le temps que son invitée arrive, l’ambassadrice prit ses aises, établissant un périmètre insonorisé, délimité par le tapis du salon. Elle préférait les conversations intimes. Ambroise n’ignorait rien des tactiques de Luménor, ses espions étaient partout. Il valait mieux calculer ses actions et se protéger des oreilles indiscrètes.


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  Quand le serviteur lui transmit l’invitation, Lily fut étonnée qu’une dame d'un tel rang souhaite la rencontrer. La jeune fille accepta de grand cœur l’honneur qui lui était fait et suivit le messager jusqu’à la porte du salon. Margarof lui signala qu’il restait dehors et elle acquiesça. Lily fut introduite puis laissée en tête à tête avec l’ambassadrice d’Iscil.

  Avec timidité, Lily s’assit sur le sofa à l’invitation d’Ambroise. La jeune fille connaissait son hôte et son statut, ainsi qu'une partie de son histoire. Les nuwës étaient proches des sorogs ; les deux races étaient des Enfants de l’Aube, ils avaient énormément de points en commun. Plus personnellement, la grand-mère de Lily était une des demi-sœurs de l’Empereur. Elles étaient donc des parentes par alliance. Toutefois, la nuwë n’oserait jamais le revendiquer haut et fort de son rang de bourgeoise nuwë.

  Lily but une gorgée de vin pétillant en attendant qu’elle lui adresse la parole.

  Ambroise l’observa un moment puis posa sa coupe sur la table basse.

 « Pose donc ce verre avant de te rendre malade. Tu ne fais que jouer avec pour donner le change, tout comme moi. Pourtant, ici, nous n’avons pas besoin de faire semblant, n’est-ce pas ?

 — Cela a vraiment un goût affreux.

 — Je ne te le fais pas dire. »

  Elles rirent poliment. Puis Lily regarda la sorog avec plus d’assurance et reprit la parole en laissant tomber son masque de timidité.

 « Pourquoi m’avoir conviée ? Je sais que ce n’est pas pour vous nourrir. Vous avez suffisamment de donneurs pour cela. Et je me suis moi-même sustentée avant le bal comme le conseille le protocole de sécurité. Alors pourquoi ? Nous nous rencontrons pour la première fois, même si j’ai souvent entendu parler de vous. Que suis-je à vos yeux ? »

  Ambroise sourit, ravie de voir son invité prendre ses aises. Elle se rapprocha et posa sa main sur la sienne avec bienveillance. À son contact, elle sentit qu’elles étaient destinées à se rencontrer.

 « Nous savons toutes les deux ce que tu es. Tout ce que tu dois savoir, c’est qu’à partir de ce soir, tu es sous ma protection. Si tu as besoin de quoi que ce soit : je suis là pour toi.

 — Ce que je suis ? demanda Lily en se méfiant soudainement.

 — N’aie crainte, petite sœur, la rassura Ambroise. Je ne suis pas ton ennemie. Bien au contraire. J’ai bien connu celle qui possédait le Don avant toi. Et sache que les sorogs n’oublient rien. Le Gardien n’est pas un vieillard innocent. Si la dernière fois, je n’ai pas pu l’empêcher d’intervenir, ce ne sera pas le cas cette fois-ci.

 — Vous étiez le Bouclier de tante Cyan ?

 — Oui, avoua tristement Ambroise. Malheureusement, j’étais trop jeune, et trop insouciante à l’époque. Je ne referai pas deux fois la même erreur. J’aurai constamment un œil sur toi. »

  La nuwë garda le silence le temps d’analyser la situation puis elle se rapprocha de la sorog pour baiser sa joue avec légèreté.

 « J’ai hâte d’apprendre à te connaître, grande sœur. »

  Surprise par le baiser, Ambroise se contenta de sourire. Comme elle s’y attendait, la nuwë cachait son jeu. Elle lui demanda pourquoi elle jouait la comédie. Lily sourit et reporta la réponse à plus tard. La jeune fille reconstitua son visage d’innocence et se leva en prenant son verre. Elle salua l’ambassadrice puis quitta le salon. Elle glissa quelques mots à Margarof puis ils désertèrent la réception.

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  À l’infirmerie, Luc demanda à Zoann de déposer Arya en zone de quarantaine pendant qu’il se changeait. Le médecin troqua son costume d’apparat contre une tunique simple par-dessus laquelle il enfila sa blouse blanche. Le bagrilien resta auprès de la jeune fille et lui parla doucement pour lui expliquer où ils étaient tout en lui caressant doucement la main.

  En surprenant l’acte du jeune homme, Luc s’arrêta sur le seuil.

 « Est-ce que je dois te demander la permission avant de la toucher ?

 — Hein ? Non ! Non, non. Nous n’avons pas ce genre de relation. Quand ma sœur est malade, c’est ce que j’ai l’habitude de faire. Je me suis dit que, bah, ça l’aiderait. »

  Un sourire aux lèvres, Luc hocha la tête. Il aimait déstabiliser les gens. Il congédia Zoann en se montrant rassurant.

 « Je devrais pouvoir me débrouiller maintenant. J’ai tout ce qu’il me faut à portée de main. Tu n’es pas obligé de rester.

 — Très bien. Je passerais demain prendre de ses nouvelles.»

  Zoann s’esquiva après une dernière parole d’encouragement pour Arya. Il referma la porte en partant puis retourna à la fête qui était encore loin d’être terminée.

 « C’est bien dommage que tu te sois faite si belle pour si peu de temps. »

  Luc retira délicatement la bague qui maintenait concrète la tenue de bal. Même si le bijou s’était déformé sous le coup de la chaleur, il avait continué de fonctionner.

 « Hé, oh ? appela Mora à l'autre bout de l'infirmerie. Il y a quelqu’un ?

 — Ah ! Voilà les secours. »

  Luc laissa sa patiente quelques minutes le temps d’échanger quelques mots avec Mora Alayne. Elle repartit aussitôt son paquet déposé. Le médecin retourna auprès d’Arya, la déshabilla, lui laissant simplement ses sous-vêtements.

 « Tu m’excuseras, je ne te demande pas ton avis, mais je t’assure que je travaille avec sérieux, l’informa-t-il en sachant qu’il y avait des chances pour que les entités attachées à la jeune fille entendent ces paroles. Et puis, j’aime les hommes, vois-tu. Les attributs féminins me laissent complètement indifférent. »

  Arya ne réagit pas. Sa respiration était régulière mais faible.

 « Je te remercie pour ta compréhension.»

  Luc utilisa une autre fonction de sa vision spéciale pour l’ausculter tout en tenant un discours futile. Il finit par se taire, consterné par tant de marques indélébiles sur une si jeune personne. Le corps d’Arya portait tant de blessures et de manipulations magiques que c’en était effrayant.

 « Mais qu’est-ce qu’on t’a fait ? Je ne suis pas du genre à invoquer les dieux à tout va, mais je te jure que je prierai pour toi. Je ne sais pas par où commencer ni si je vais être en mesure de t’être utile. »

  Avec délicatesse, le médecin plaça Arya sur le ventre afin de mieux observer les nervures noires qui couvraient son dos, principalement le long de la colonne vertébrale. Sa plus grande surprise fut de comprendre que ce n’était pas le fonctionnement physique, ni le contrôle de la douleur qui était visé par les expérimentations. Non, celui qui avait fait cela visait les shakras que chaque mage possédait dès la naissance et qui une fois à terme permettaient de manipuler les énergies magiques.

 « Pas étonnant que tu aies des fuites, princesse. Avec des shakras atrophiés comme les tiens, il faudrait un contrôle permanent dessus. Désolé de te l’apprendre, mais tu es une bombe à retardement. Surtout que tes émotions sont les déclencheurs de la réaction. Comme tout un chacun certes, mais chez toi, ça peut décupler les réactions jusqu'à devenir hors de contrôle. Qui est l’imbécile qui t’a fait ça ? Il était soit extrêmement stupide, soit il avait une bonne raison de le faire et dans le dernier cas, j’aimerais bien savoir laquelle. C’est inhumain ce qu’on t’a fait. »

  Il préleva un peu de son sang, quelques cheveux, puis déposa le tout sur un plateau. Il les observerait pour découvrir tous les secrets de sa patiente avec l’espoir de la stabiliser sans qu’elle n’en souffre trop. Pourtant, elle ne lui en laissa pas le temps. Luc ne s’était pas retourné qu’une onde de choc le projeta contre le mur, l’assommant un court instant. L’incident ameuta le personnel de l’infirmerie qui évacua le médecin de la salle de quarantaine pour la verrouiller.

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