Loin du conte de fée [1/3]

6 minutes de lecture

   Les ténèbres l’entourent. Elle a si froid. Elle est si seule. Pourquoi ne voit-elle jamais le soleil ? La seule lumière qui l’enveloppe parfois est mauvaise. Comme si elle était prise dans un orage sans pluie où seuls les éclairs percent le ciel et s’abattent sur le sol. Sauf qu'il n’y a pas de sol. Il n’y a qu’elle. Et tout n’est que douleur.

  Ses hurlements couvrent le bruit du tonnerre. Son corps se tord, s’arque sous la puissance de la tempête. Puis elle retombe dans les ténèbres pour s’éveiller à nouveau dans la tourmente. Elle voudrait mourir mais le feu la ramène constament.

  C’est un cycle sans fin.

#


  L'alarme tournait en fond. À son réveil, Luc Nandru demanda les constantes de sa patiente sans se soucier de ses propres blessures. On lui annonça que les cristaux enregistreurs n’avaient pas supporté la succession de chocs. La vitre de séparation entre la chambre et la salle de contrôle non plus d’ailleurs. La quarantaine était hors service depuis plus d’une heure. Le personnel médical était ainsi dans l’incapacité de suivre l'avancement de l'état d'Arya Al'raï. Ils avaient verrouillé les deux pièces de leur mieux afin qu’il n’y ait pas de fuite de ce côté-ci.

   Luc se dressa brusquement et eut un vertige. Il grogna en agrippant le bord du lit. Ce n'était pas le moment de faire un malaise. La situation n'était pas des plus favorables.

  « Je suis resté inconscient combien de temps ?

  — Un peu plus de deux heures, lui répondit l'infirmier en chef. J’ai été obligé de te mettre dans un cocon de guérison et Monturiganto s’est chargé de ton esprit. Tu avais une méchante commotion cérébrale. Il y a eu six explosions depuis qu’on t’a trouvé. Elles sont de plus en plus puissantes et de plus en plus rapprochées. Les sceaux tiennent bon, mais j'ignore pour combien de temps. J'ai demandé à ce que les autres patients soient transférés. Le Gardien n'a pas encore donné son accord.»

   Luc quitta le lit, aidé par les infirmiers qui venaient de l’informer et s’avança vers la chambre de sa patiente. Une nouvelle secousse fit trembler les murs.

 « C’est Arya qui est à l'origine de ça ? s'inquiéta-t-il avec horreur.

 — Non, ce sont les sorts de contention qui redistribuent l’énergie absorbée. Ce genre de tremblements n’arrête pas.

 — Et le bruit de fond ? C’est un sifflement ou…

 — Luc… C’est elle. Elle hurle depuis que les sceaux ont commencé à rendre l’énergie emmagasinée. »

  Choqué par la nouvelle, le médecin sonda la zone de quarantaine. Le mobilier était en morceau et les murs commençaient à se fissurer. Mais ce n’était pas cela le plus important. Al’raï se trouvait dans une situation inédite. L'énergie se condensait en elle avant de se libérer d'un seul coup. Les quatre entités, que le médecin avait repéré pendant le bal, se succédaient pour tenter de prendre le dessus, sans y parvenir. Cela ne promettait rien de bon. Avait-il provoqué cela au cours de la soirée ? Son insistance et son observation poussée avaient-elles déstabilisé Arya au point de lui faire perdre le contrôle ?

  Trop de questions lui venaient. Luc se rongea l'ongle du pouce en continuant d'observer. Il fallait garder son sang-froid et trouver une solution. Il devait stabiliser Arya de toute urgence.


#


  Elle n’a plus de larmes pour pleurer. La douleur est trop grande. Elle n’a plus qu’à s’abandonner et disparaître. Personne ne viendra la chercher de toute façon. Elle est si loin. Personne ne sait où elle se trouve. Sinon, quelqu’un serait venu depuis longtemps... Toujours les mêmes ténèbres qui l’anéantissent et la même lumière qui la ramène. Elle se sent déchirée. Que quelqu’un l’achève avant qu’elle ne perde l’esprit. Elle continue de supplier qu'ils arrêtent. Ils ne l'entendent pas.

« Encore, dit le monstre derrière le miroir. Ne vous arrêtez pas. »

  Sa voix la rend furieuse. Pourquoi est-ce qu'ils continuent ? Elle n'en peut plus. Elle en a assez. Elle hurle pour couvrir le bruit et tente de leur rendre la souffrance qu'ils lui infligent. Ses yeux s'illuminent. Elle déborde de puissance. Elle hurle avec la rage de vivre et leur renvoie l'énergie qu'ils lui ont fait absorber.

#

  Un grand tremblement secoua l’étage. Les choses pouvaient-elles encore empirer ? Les sorts de contentions semblaient prêts à s’autodétruire. Pourtant, la porte résistait. Quand bien même la salle tiendrait, Luc s’affola soudainement. Arya suffoquait. Le feu avait consumé l’oxygène à l'intérieur de la quarantaine. Luc jura et prit la décision d’aller déverrouiller la porte. Ses collègues l’arrêtèrent.

  « Tu es fou ! Tu vas tous nous mettre en danger.

 — Elle va mourir si on ne fait rien !

 — C’est quoi ce bordel ? cria Wolfgang de son lit. On peut même plus dormir en paix ? »

   Tous les regards se tournèrent vers lui. L’arkien s’était assis et les dévisageait de son œil valide. Vu que personne ne semblait prêt à lui expliquer la situation, il se répéta avec plus de hargne :

 « Oh ! Vous êtes sourds ? C’est quoi le problème ?

 — Recouche-toi, lui répondit un infirmier. Nous gérons la situation.

 — Vous ne gérez rien du tout. »

  Yugh se leva avec difficulté, encore groggy à cause des potions médicinales. Il avait l’impression d’être un nouveau-né testant ses jambes pour la première fois. C’était très frustrant mais l’arkien loua la Déesse-Lune de lui avoir laissé la vie sauve. L’infirmier vint à sa rencontre pour le persuader de se rallonger. Le loup gronda en dévoilant ses crocs. Il s’approcha ensuite du médecin-chef en claudiquant.

 « C’est encore la tarée qui fait des siennes ? Je vais lui dire deux mots, moi ! Pas possible de déranger les gens pour rien. Les blessés ont besoin de repos ! »

  Luc déverrouilla la porte sans qu’on ne l’arrête. À l’appel d’air, les flammes s’échappèrent vigoureusement, tels de longs serpents destructeurs. Yugh eut un mouvement de recul devant les flammes, mais anesthésié par les médicaments, la peur n’eut aucune emprise sur lui. Luc le rattrapa par le bras et l’aida à se remettre d’aplomb. L’arkien râla pour la forme puis cria du seuil de la chambre.

 « Hé ! L’humaine ? Cheveux-Rouge ! Oh ! La tarée ! Tu vas te calmer un peu, oui ? Ça ne t’a pas suffi de me bousiller le visage ? Il faut en plus que tu détruises l’infirmerie ? T’es vraiment qu’une égoïste!»

   À la surprise générale, dès qu’elle entendit la voix de l’arkien, Al’raï cessa de hurler et les flammes s’apaisèrent. Yugh, constatant le changement, continua de lui parler, encouragé par le médecin.

 « T’es pas possible quand même ! Alors qu’on prend soin de toi, tu fous le bazar et tu déranges tout le monde ! C’est quoi ces manières ? Tu peux pas te plaindre comme tout le monde au lieu de tout casser ? T’es qu’une sale gamine ! Retourne dans les jupes de ta mère ! »

  Les sorts de contention absorbèrent ce qui restait du feu, et toutes les énergies associées. Luc pénétra dans la chambre pour couvrir Arya et lui parler avec douceur.

 « Tout va bien, Arya. C'est fini. On est là, tu vois. Tout va bien. Calme-toi. »

  De la fumée s’échappait de la peau de Cheveux-Rouge. Ses cicatrices brillaient, surchargées de magie. Luc soupira. Ils avaient frôlé la catastrophe. Le médecin leva la tête et observa la chambre. Les murs avaient fondu en surface. Les pierres du sol et du plafond avaient fusionné. Yugh demeura à la porte en observant le médecin. Avec calme, il fit par demander :

 « C’est bon ? Je peux retourner me coucher ? »

  Nandru hocha la tête. Yugh lui rendit son salut puis fit demi-tour. Beaucoup trop rapidement. La pièce tourna violemment et l’infirmier le rattrapa avant qu’il ne succombe à son vertige. L’arkien fut à moitié porté jusqu’au lit où il fut bordé. Wolfgang resta néanmoins éveillé dans l’attente d’un signe positif en provenance de la quarantaine. Il avait vu de quoi était capable Cheveux-Rouge dans un large espace pendant le tournoi. Il se demanda ce qui avait provoqué cette explosion en zone close. Est-ce qu’elle avait été attaquée par quelque chose ? Cela faisait un moment que l’arkien savait qu’il se passait des choses étranges sur l’île. En tout cas, ça sentait le roussi. Dans tous les sens du terme.

Annotations

Vous aimez lire Siana Blume ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0