Bon gré, mal gré, pieds et poings liés [1/4]

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  Le lendemain du bal, Tobias-Argan reçut une lettre d’une admiratrice différente des autres. Elle ne quémandait ni compagnie ni attention. Elle ne demandait rien du tout d’ailleurs. C’était une missive pleine de poésie et de délicatesse destinée à le remercier. Le Dauphin fut charmé en découvrant la délicate signature de Lily Leyhan au bas de l’humble vélin.

  Chaque jour qui suivit, de nouvelles lettres de la demoiselle lui furent délivrées en réponse aux siennes. D’une page, sur un papier toujours agréablement parfumé. Du lilas ou de l’eau de jasmin peut-être. Mais rien qui tendait vers la séduction. Le prince découvrit une jeune femme complexe, intelligente et cultivée au cours de leurs échanges épistolaires.

  Le troisième jour, il reçut avec son courrier une boite contenant une veste bleu pastel brodée richement de roses et de licornes cabrées, rappelant les armoiries de sa famille. Le travail était d’une finesse que le jeune homme n’avait jamais observée auparavant. Il s’empressa d’inviter la jeune fille à un déjeuner pour la remercier. Ce qu’elle refusa.

 « Je sais comme tous les regards se portent sur votre personne et il me déplairait de nuire à votre réputation. Une jeune femme de mon rang se réjouit déjà grandement de l’attention que vous portez à cette correspondance. Oh ! Pour cette remarque, ma chère, vous avez plus de valeur et d’honneur que certaines demoiselles de meilleure naissance. »

  Tobias prit beaucoup de plaisir au cours de leurs échanges. Elle apportait un vent de fraîcheur semblable à celui de la princesse Arya, dont il avait eu si peu de nouvelle depuis la fin du tournoi. Il lui faudrait remédier à cela. Même si le Dauphin ne pouvait oublier ses devoirs envers son pays, il comptait prendre soin de ces nouvelles rencontres.

  Ses obligations diplomatiques accomplies, le Dauphin savoura la douceur d’une tasse de thé en réfléchissant à la meilleure façon de passer un moment en compagnie de la nuwë. Il appela son Nolan et l’interrogea. Il apprit ainsi que la demoiselle était logée par l’ambassadrice d’Iscil. Plus intrigué encore, le Dauphin demanda une audience à la princesse Ambroise. Le temps de recevoir la réponse à sa requête, il se décida pour une promenade au bord de l’eau.


#


  Après plusieurs heures de réflexion, Arya prit la plume pour écrire à Maï. Sa mère d’adoption savait prodiguer de bons conseils ; la princesse en avait grand besoin. Sans compter qu’elle n’avait reçu aucune lettre concernant l’état de santé de Kol. Emportée par son élan, elle écrivit un mot pour chaque membre de la famille, et encore un de plus pour Lauriane. Cela lui fit du bien de se confier un peu sur ce qu'elle vivait à Saltar en leur absence. Cependant, comme à son habitude, Arya leur dissimula la gravité de ses problèmes.

  Les lettres cachetées à la cire, Arya se rendit au pigeonnier. Là-bas, on lui indiqua qu’elle avait besoin d’une autorisation spéciale pour envoyer du courrier. D’abord cela la fit rire, puis elle tourna les talons en comprenant que le gestionnaire ne plaisantait pas. La princesse se rendit donc au service des autorisations. Là encore, on lui demanda de présenter un justificatif qu'elle ne pouvait présenter. Agacée, Arya quitta l’administration. Elle se rendit alors au port d’Apre pour apprendre qu’aucun bateau ne prendrait la mer avant une dizaine de jours. N’ayant pas envie de retourner tout de suite déprimer dans sa chambre Arya se détourna du chemin qui menait à l’Université pour se promener le long de la plage. Elle s’installa quelques minutes plus tard sur le sable gris, les yeux perdus vers l’horizon où l’on ne distinguait aucune terre, les bras serrés autour des genoux.

  Des bruits de pas la détournèrent de sa contemplation silencieuse. L'inconnu se dirigeait vers elle. La main en pare-soleil, Arya fronça les yeux, tâchant de reconnaître l’individu qui troublait sa morosité. Il la salua élégamment. Alors, il n’y eut plus aucun doute sur l’identité du promeneur.

 « Bonjour Tobias-Argan.

 — Bonjour Arya.

 — Vous parvenez enfin à m’appeler par mon prénom !

 — Je me suis dit que cela vous plairait. Puis-je m’imposer et vous tenir compagnie ?

 — Faites. Ma journée s’en trouvera peut-être améliorée…

 — Qu’est-ce qui vous chagrine ? »

  Arya lui montra le paquet de lettres et soupira d'un air désespéré sans rien ajouter.

 « Ils ont refusé de les envoyer, n’est-ce pas ? devina-t-il avec délicatesse. Puis-je ? »

  Elle haussa les épaules et lui tendit le lot. Il retira ses chaussures, remonta son beau pantalon et s’avança dans l’eau jusqu’aux mollets, les lettres en mains. Arya le regarda faire, intriguée. Le prince porta les enveloppes à sa bouche en marmonnant, comme s’il leur murmurait des secrets, puis il les jeta en l’air. Les lettres se plièrent d’elles-mêmes pour former de petits oiseaux et la nuée s’envola. Il s’assura que rien n’arrêtait le courrier ensorcelé puis il remonta sur la grève et rejoignit Arya.

 « Si tout se passe bien, cela devrait arriver à destination dans la semaine. Si rien ne les arrête. La pluie n’est pas vraiment un gage de bon voyage.

 — Merci.

 — Je vous en prie. »

  Arya sourit et Tobias fut heureux d’avoir pu être utile à la jeune fille. Si la récompense était un si charmant sourire, il était prêt à recommencer n’importe quand. Néanmoins, ce moment de complicité fut interrompu par une question tout à fait légitime.

 « Pourquoi faut-il une autorisation pour envoyer du courrier ? demanda Arya avec une certaine agressivité.

 — Parce qu’ils surveillent tout. À ce propos, cela m’étonnerait beaucoup que vous receviez une réponse à vos lettres. Sauf si le contenu est acceptable du point de vue du Gardien et de ses critères fort discutables.

 — Je déteste cette règle stupide.

 — C’est la raison pour laquelle, j’envoie mon courrier le plus important de la sorte. »

  Tobias-Argan savait qu’il pouvait lui faire confiance, qu’elle garderait le secret. La princesse rebelle avait dans les yeux cette étincelle d’authenticité qui poussait à la confidence. Il lui sourit, amusé et serein.

  Dérangée par le regard perçant du prince, Arya se leva et s’épousseta. Il fallait qu’elle bouge. Mora et Suna la couvaient tellement qu’elle ne pouvait plus faire un geste sans se justifier de tout. Arya ne s’en plaignait pas, c’était réconfortant d’être ainsi choyée. Sauf quand cela la mettait plus mal à l’aise encore. Comme à l’instant avec le Dauphin.

  Se rendant compte du trouble de la jeune fille, le prince suivit le mouvement et lui présenta son bras en galant homme.

 « Puis-je vous raccompagner ? »

  Arya hésita. Elle balaya les alentours puis accepta sa compagnie pour un moment encore. Afin de coller à l’image d’une jeune fille bien éduquée, la princesse entama une discussion légère. Cependant, plus ils avançaient vers l’Université et plus ils prirent d’aisance dans leur conversation. Ce fut avec passion qu’ils débattirent de sujets aussi divers qu’intemporels. Une fois à l’intérieur des murs, elle le suivit jusqu’à ses quartiers. Oubliant les convenances du protocole, ils s’installèrent au petit salon dans lequel ils poursuivirent leur discussion fort enrichissante. Ils oublièrent l'heure et le temps fila.

  Alors que le Dauphin emmenait son invitée faire une promenade dans les jardins après le goûter, Luc Nandru surgit du bâtiment de brique. Lorsqu'il aperçut la demoiselle qu’il cherchait depuis plusieurs heures, il l’interpella et Arya s’immobilisa au milieu du chemin.

 « Qui est-ce ? demanda le Dauphin. Un admirateur ?

 — Moins amusant que cela. Bonjour Docteur, le salua-t-elle quand Luc arriva à sa hauteur. Que puis-je faire pour vous ?

 — Votre Altesse, salua-t-il le Dauphin par respect avant d’enchaîner directement. J’ai peut-être une solution à ton problème, Princesse. Provisoire, j’en ai peur, mais cela reste tout de même encourageant. Veux-tu bien venir avec moi ? Je souhaiterais tester la formule au plus tôt. »

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