Désespérant espoir renaissant [1/3]

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  Un cri terrible attira Santhià dans la chambre du maître. En premier lieu, elle vit le miroir brisé et les éclats éparpillés dans la pièce. La lamie avança avec précaution, prête à en découdre avec l’intrus qui osait s’en prendre au Gardien. Elle découvrit que Luménor se battait avec lui-même. Cela lui arrivait parfois quand il perdait le contrôle de son corps d’emprunt. Santhià attendit que les choses reviennent à la normale ; elle ne pouvait rien faire pour l’aider dans l'immédiat.

  Le Gardien avait fortement vieilli au cours de la semaine. Son opposition au Grand Mestre l’avait profondément désappointé. Il fallait s’y attendre pourtant. Setsuan était revenu avec plus de vigueur et de détermination. Cela aurait rendu fou n’importe qui. De plus, la Sainte avait gagné en pouvoir sur l'île en purifiant tous ceux qu'elle touchait.

  Luménor s’aperçut tout à coup qu’il n’était plus seul et lui lança un regard noir.

 « Descends-moi à la crypte. Immédiatement ! »

  Santhià ne discuta pas et le téléporta où il le voulait. Une fois en bas, le maître lui ordonna de le laisser seul. Elle obéit en silence. Face à la dragonne, Luménor laissa éclater toute sa fureur, cracha son dédain. Il n'y avait que sa présence qui l'apaisait, en quelque sorte.

 « Je suppose que tu dois beaucoup t’amuser, ma douce ! Qu’est-ce que ça doit être drôle de me voir vieillir et mourir dans chaque corps ! Comme si une seule mort n’était pas assez. Je suis obligé de mourir encore, et encore, et encore… Je vous déteste ! Tous autant que vous êtes ! Vos ancêtres n’étaient pas meilleurs que vous ! Vous n’êtes les Descendants de rien ! À peine des chiots sortis du ventre de leur mère, de pâles reflets de la divine grandeur d’antan. J’étais un Dieu, moi ! Et vous m’avez abattu plus bas que terre ! Mais c’est fini ! La roue tourne ! Ce sera la dernière génération avant mon heure de gloire. Regarde bien, Reine-Dragon, regarde ce que je vais faire de tes enfants ! Ils seront tous à moi ! Je les aurais tous sous mon contrôle ! Regarde bien ! »

  Luménor se planta fermement sur ses jambes et entama un long sortilège. Les yeux du Gardien devinrent entièrement noirs tandis que de la fumée s’évaporait du sol et remontait à la surface. Aussi proche des cristaux magiques qui avaient poussé dans les entrailles de l'île, Luménor avait accès à toute l'énergie dont il avait besoin. Les maîtres de Saltar furent ainsi manipulés pour se rassembler au pied des tribunes tandis que les nouveaux élèves étaient convoqués hic et nunc afin de passer leur évaluation.


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  À tour de rôle, chaque enseignant piocha un nom dans le pot et disparut avec l'élève correspondant, simple prix de cette étrange tombola. Même si l'événement avait un petit air de fête, menée par Maître Bolt et sa voix aiguë, les autres maîtres semblaient tendus et ne se montraient pas très affables.

  Xaan se tenait sur ses gardes. Il était dans les souterrains quand il avait vu et senti la fumée noire remonter des zones les plus basses. Il n'avait pas perçu d'effets sur lui-même, toutefois, il préférait se méfier. À quoi cela rimait-il d'avancer leurs évaluations personnelles de la sorte ? De l'autre côté, la plupart des étudiants s’amusèrent de ce concept. Mais pas tous. Le petit groupe qui s'était constitué autour de la fille aux cheveux rouges affichait des mines sceptiques, critiques et suspicieuses. Par intérêt personnel, Talin se rapprocha discrètement d'eux pour les épier.

 « Cela n’aurait pas été plus simple de tous nous emmener directement à l’intérieur ? critiqua Mora Alayne avec une touche d'humour. Et de nous séparer après ?

 — Du calme, belle amazone, lui répondit Zoann Vulcain en souriant. Vois le bon côté des choses : on gagne une balade.

 — Une balade ? Un peu courte quand même ! »

  Zoann, Mora et Arya comptaient parmi les derniers élèves à ne pas avoir été appelés. Puis le nom du Vulcain sortit. Il leur fit un clin d’œil et suivit Rouget, le maître d’armes. Quelques secondes plus tard, c’était au tour d’Arya de suivre son référent. Kuro Erzat, maître de littérature et calligraphie, engagea la conversation très enthousiaste à l’idée de s’occuper d’une jeune fille de si bonne lignée. Elle esquissa un sourire aristocratique et rendit politesse pour politesse.

 « C’est un honneur pour moi, Votre Altesse.

 — J’espère que nous réaliserons de grandes choses ensemble, Maître. »

  Sans le savoir, elle n’était déjà plus elle-même.


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  Langues communes et étrangères, histoire et politique, bonnes manières, arts et musique, théorie et pratique magique, alchimie, stratégies et logique, aptitudes martiales, cavalières, oratoires, tous les domaines furent abordés au cours de l’évaluation. Sans pause ni repas, les étudiants furent soumis à rudes épreuves, baignant dans une atmosphère troublée par un encens nauséabond.

  À la fin de la journée, les maîtres se rassemblèrent dans la tour afin de délibérer. Le Gardien fut absent de cette réunion pour le simple motif que cela l’ennuyait. Ils savaient ce qu’ils devaient faire, nul besoin de supervision directe. Ainsi, chacun leur tour, les référents présentèrent leur élève et exposèrent un fait particulier, une petite anecdote croustillante, amusante ou sérieuse, les points forts et les défauts de l’étudiant à leur charge. Cela leur permettait d’oublier un instant qu’ils n’avaient plus toute leur liberté.

  La parole était à Dame Huria, maîtresse des bonnes manières, l’une des rares femmes du corps enseignant. Elle connaissait les variantes de chaque cour, les coutumes vestimentaires de chaque pays. Peu de mages égalaient ses connaissances en matière de généalogie. Elle s’était aigrie au fil du temps, après avoir perdu son grand amour.

 « Je suis satisfaite de la comtesse de Burgonde, disait-elle de son air pincé. Même si son niveau en magie n’est pas aussi bon qu’il pourrait l’être, il est tout à fait correct pour une jeune fille de son âge et de son rang.

 — C’est celle avec le garde du corps ? demanda Maître Saïd de son air bourru.

 — Non, répliqua sèchement Dame Huria, la jeune fille dont vous parlez est Lily Leyhan, la fille du maire de Longvent, et honorable marchand nuwë. Vous n’avez jamais eu la mémoire des noms, mon pauvre ami ! Il serait temps de travailler dessus !

 — Je m’y mettrais quand tu te seras décoincée, vieille pie ! répliqua le maître de magie, toujours aussi susceptible.

 — Oh ! Vous n’allez pas recommencer tous les deux ! s’esclaffa Maître Raphaël, le théoricien, toujours de bonne humeur. Et puis, vous pouvez me dire pourquoi on a commencé sans Erzat ? Et sans Bolt ? Où sont-ils ?

 — Ils ont dû préférer leurs estomacs à notre réunion, lança Rouget, le maître d’armes, en tapotant le fourreau de son épée qui ne le quittait jamais.

 — Ils n’auraient pas osé vous faire cet affront, Chevalier ! rétorqua Ewea, la sirène, de sa voix cristalline. Sans compter qu’il manque également Miss Spencer.

 — Ils n’en ont pas encore terminé avec leurs élèves, intervint Intillalta, le télépathe, de son petit coussin de méditation. Quoique… Non, attendez. Je n’ai rien dit, ils viennent de terminer. »

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