Désespérant espoir renaissant [2/3]

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  Deux claquements de téléportation retentirent. L’un proche de Dame Huria, l’autre tout près de la porte. Le premier était Bolt, toujours aussi fardé. Il s’assit pesamment à côté de son amie à l’air pincé et se plaignit de sa voix de castrat :

 « Malheur ! Je sais que certaines personnes ne sont pas douées pour le chant mais à ce point, ça me dépasse totalement !

 — Que vous arrive-t-il, Bolt ? demanda Raphaël. Vous avez hérité d’une casserole ?

 — Oh ! Malheur ! C’est une batterie de cuisine qu’elle a dans la gorge. Que dis-je ? Même une marmite sonne plus juste que la voix de cette pauvre malheureuse !

 — Qui est-ce ? l’interrogea Dame Huria.

 — Miranda Nevers. Elle n’a aucun doigté ! Aucune technique ! Aucun talent ! Donnez-moi une tasse de thé et je vous en supplie, ne m’obligez plus jamais à la faire chanter. Et ne la laissez jamais poser les doigts sur un instrument de musique. Jamais ! »

  Les rires dans la salle se calmèrent quand ils s’intéressèrent au deuxième arrivant. Erzat n’avait pas encore bougé du coin où il était apparu. Il semblait en état de choc.

 « Kuro ? Toi aussi, tu as eu un problème avec ta protégée ? demanda Saïd en plaisantant.

  Le calligraphe, d’ordinaire si bavard, fut long à comprendre que quoi on l’entretenait. Hegel, l’ancien général toujours droit dans ses bottes, lui céda sa place et l'assit avec autorité sur le large et confortable fauteuil. L’air hagard, Erzat trouva ses mots et expliqua, encore confus de la journée qu’il venait de vivre :

 « J’ai appliqué le programme…

 — Jusque-là, rien d’anormal, commenta Caron, en mordillant sa brindille de paille. Qu’est-ce qu’il s’est passé ?

 — Elle a parfaitement réussi toutes les épreuves ! répondit Erzat, abasourdi.

 — Où est le mal dans ce cas ? réagit Raphaël, sans comprendre où leur confrère voulait en venir. C’est le but quelque part, non ?

 — Vous ne comprenez pas. Quand je lui demandais de réaliser un exercice, elle s’exécutait parfaitement, sans un mot, sans une question. Elle maîtrisait toutes les compétences testées. Je ne comprends pas ce qu’elle fait ici. Pas en tant qu’élève en tout cas.

 — De qui vous occupez-vous ? demanda Gyptah avec beaucoup d’intérêt après être parti boudeur quand il n'avait pas pioché le bon nom.

 — Arya Al’raï. Elle est terrifiante quand elle fait de la magie. Terrifiante…

 — Représente-t-elle une menace pour autrui ? intervint Maître Hegel avec son sérieux habituel.

 — Je l’ignore, répondit Erzat. Mais elle n’est pas normale, ça je vous l’assure !

 — Ne soyez pas mauvaise langue ! le gourmanda Ewea. Je suis sûre que vous exagérez.

 — Vous n’étiez pas présente lors du tournoi, ça se voit ! Intervint Jowel, maître des langues anciennes, de son air méprisant. Si c’est bien la fille que je crois, nous avons toutes les raisons du monde de nous en faire !

 — Allons ! Allons ! tempéra Iasi Raphaël. Cette demoiselle a un grand potentiel. Elle a juste besoin d’être guidée. Vous n’allez pas me faire croire qu’elle est la seule à sortir du lot ?

 — Il est vrai que cette année, plusieurs candidats tirent leur épingle du jeu, remarqua Calrol, le diplomate.

 — Vous ne comprenez pas ! cria Erzat en se levant pour les confronter au problème. Elle a besoin d’être enfermée ! Vous verrez quand vous l’aurez en leçon ! Vous verrez ! Je vous aurais prévenu ! Cette fille est un monstre ! »

  Habitués à l’hystérie chronique d’Erzat, les maîtres le tournèrent en dérision, changeant rapidement de sujet. Même si le cas d'Al’raï n’avait pas échappé à certaines personnes.

 « Vous remarquerez, chers confrères, qu’il manque toujours Miss Spencer ! lança Dame Huria, avant de boire une gorgée de thé.

 — Elle ne saurait tarder, annonça Intillalta d’un air mystérieux. Mais vous devriez prévoir des sucreries pour l’apaiser.»

  C’est alors qu’ils l’entendirent monter du fond du couloir. Un rire fou, un fou rire. La porte s’ouvrit brusquement sur un visage couvert de suie, les cheveux à moitié brûlés, dressés sur la tête. Spencer semblait ne pas pouvoir gérer sa crise nerveuse. Certains soupirèrent, habitués à cet état proche de la folie. D’autres, poussés par la curiosité, tentèrent tout de même de lui soutirer des informations.

 « Que vous est-il arrivé ? commença Huria avec inquiétude.

 — Ah ! Ah, ah ! C’était super ! Ah ! Ah ! Ce garçon ! Hi ! Hi ! Il est génial ! Ah ! Ah ! Boum ! Ça a fait boum ! Hu ! Hu ! Ça a pris feu ! Ah ! Ah ! BOUM ! Ah ! Ah ! Ah ! »

   Ce fut tout ce qu’elle parvint à articuler avant que cela ne redevienne incontrôlable. Spencer se plia en deux, sembla se calmer, puis reprit, incapable de s’arrêter de rire. Elle finit par rouler par terre en se tordant de douleur. Elle en fit sourire plus d’un, mais après plusieurs échanges de regards, ils décidèrent de ne pas prêter attention à l’alchimiste et à son expérience explosive.

 « Il semblerait qu’elle ait trouvé un garçon plus fou qu’elle ! railla Raphaël tandis que Gyptah la calmait grâce à un sort, agacé par le bruit qu'elle faisait.

 — Ou quelqu’un d’encore plus maladroit, rétorqua Caron en se dirigeant vers la sortie.

 — Une seconde, Jord ! Tu ne crois pas t’en sortir si facilement ? s’énerva Jowel.

 — J’ai mes bébés à nourrir. Pour le reste, j’ai fait mon boulot.

 — On aimerait tous retourner à nos petites affaires, souligna Gyptah, pressé de rencontrer Al’raï en personne.

 — C’est une façon de voir les choses, intervint Ari, le philosophe.

 — Toujours très efficiente votre intervention, critiqua Bolt. Cela ne nous mène nulle part. »

  Lassé par leur discussion sans queue ni tête, le maître de monte s’en alla et claqua la porte pour bien se faire remarquer. Le Gardien les forçait à agir selon sa volonté depuis des décennies. Cela agaçait tout le monde, mais il était idiot de se voiler la face. Aucune mutinerie n’était possible. Autant profiter du peu de liberté qu'ils avaient. Caron choyait ses animaux aussi souvent qu'il le pouvait.

 « Quel culot ! lâcha Huria en plissant la bouche d’un air dédaigneux quand Maître Caron fut sorti.

 — Ne vous mettez pas dans cet état-là, Fabula, cela n’en vaut pas la peine.

 — Raphaël ! Je vous prierais de ne pas m’appeler par mon prénom.

 — Oh ! C’est vrai ! Pardonnez-moi, j’avais oublié : pas en public.

  Indignée, Dame Huria cingla son confrère d’une réplique mordante. Mais une fois de plus, il l’esquiva d’une plaisanterie qui fit rire son public. Pendant ce temps-là, les résultats furent compilés et des groupes de travail mis en place. Les élèves qui étaient sortis du lot étudieraient ensemble sous la surveillance de Luménor. Les autres recevraient une éducation conforme à ce que les états attendaient d'eux. Les résultats seraient transmis aux étudiants le lendemain dans la matinée.

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