Double Face [1/4]

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  Xaan se calma en observant Hevlaska. Était-elle sérieuse ? Il continua de la suivre du regard jusqu'à ce qu'elle trouve un coin qui lui convienne pour s'asseoir. Elle invita ensuite son jeune ami à l'imiter. Un brin méfiant encore, Xaan s'agenouilla en face de la vieillarde et écouta.

 « Te rappelles-tu quand je t'ai dit que tu étais destiné à protéger le monde ?

 — Oui. J'en ri encore.

 — Cela n'a rien de drôle !

 — Oh, si ! Je suis un assassin, grand-mère. Mon rôle est de tuer sur commande.

 — Tu es le descendant de l'Ombre et ton rôle est d'anéantir Luménor.

 — Jusque-là, cela devrait être dans mes cordes. Oh ! Attendez ! Je viens de comprendre. L'ombre que Wolfgang et Vulcain ont vue, c'était moi ?

 — Oui ! Chaque Descendant porte l'ombre de la Créature à l'origine de sa lignée. N'as-tu pas aperçu le Phénix dans les flammes lors du tournoi ? »

  Hevlaska étudia Xaan pendant qu'il assemblait les pièces du puzzle. Il hocha la tête la regarda avec plus de sérieux. Il la questionna sur la raison pour laquelle les deux garçons avaient pu voir l'ombre. Qu'avaient-ils de spécial ? Est-ce que tout le monde pouvait voir son ascendance ? Ou étaient-ils, comme lui, les héritiers d'une grande lignée de protecteurs du monde ?

 « Ne te montre pas condescendant ! Non, tout le monde ne le peut pas. Les dieux se sont assurés que seuls les Descendants et leurs Boucliers puissent se reconnaître.

 — Leurs Boucliers ? releva Xaan. Rassurez-moi, je ne vais me retrouver avec un garde du corps sur le dos en permanence ?

  La vieillarde soupira et lui expliqua qu'il existait une catégorie de mages bénis des dieux. Des mages naissant avec des qualités hors du commun les poussant à rechercher les Descendants. Souvent, ils apparaissaient dans la même zone géographique que le dernier né des Lignées.

 « Personne ne m'a cherché pendant que j'étais dans le désert, réfuta Xaan. Sauf s'il ne m'a pas trouvé. »

  Hevlaska se mordit la lèvre pour ne pas en dire trop. Il n'était pas prêt à entendre certaines choses. Il valait mieux le préserver encore et y aller progressivement. Xaan la dévisagea en cherchant à deviner ses pensées. Il fut interrompu par son cristal. Son devoir l'appelait. La vieillarde le poussa à partir et lui promit de continuer sa surveillance. Il râla et disparut. Il aurait préféré rester et la questionner encore.

Ж

  Convoqué par le lieutenant Crétin, Xaan se retrouva pris à partie dans un couloir. Son supérieur tenait à savoir pour quelle raison l’assassin avait abandonné son poste. Comme la veille, Roman lui coupa la parole à chaque fois que Xaan tentait de lui expliquer. Tout ça pour l’insulter et passer ses nerfs sur lui. L’assassin finit par perdre patience et se rebiffa violemment contre le lieutenant. Il le saisit à la gorge, le plaqua au mur et l’étrangla suffisamment pour le faire taire.

 « Quand on me pose une question, c'est pour que j'y répondre. Tes airs de despote ne m'impressionnent pas. Si tu tiens à te mesurer à moi, allons dans le gymnase et battons-nous. »

  Un son étranglé lui répondit. Tendu, Xaan exerça une pression supplémentaire avant de le libérer. Roman se remit d’aplomb en reprenant douloureusement son souffle. Puis, il vit que Santhià les observait à quelques mètres. Il avait le don de se ridiculiser devant elle.

  L'air neutre, la lamie posa son regard sur la recrue.

 « Talin ! Au rapport. »

  La redondance des demandes agaça l’assassin qui obéit néanmoins. Il tourna le dos au lieutenant et suivit Santhià jusqu'à la salle de contrôle. Elle ne tourna pas autour du pot une fois la porte refermée. S'il y avait une chance que Talin ait vu la Sainte quitter le Templion, elle devait le savoir et la retrouver au plus vite. Elle n'avait pas envie de finir comme Setsuan.

 « Décris-moi ce que tu as vu. »

  Xaan lui parla de l'être à la peau verte et de la lévitation, du bouclier d'invisibilité et de l'infirmerie. Pendant qu'il parlait, Santhià éjecta un opérateur de son siège et manipula les cristaux afin de cibler la zone de recherches. Elle figea l'image sur l’arguenne quittant l'infirmerie. Peau verte et pouvoir de télékinésie. La lamie grimaça et Xaan mémorisa le visage sur l'écran.

 « Qui est-ce ?

 — Un nouveau problème. »

  Santhià fit défiler l'enregistrement à l'envers. Le télépathe était assez puissant pour troubler la magie des cristaux. On ne le vit pas arriver à l'infirmerie. La lamie lança une recherche générale et tout ce qu'elle trouva ne lui plût guère. Il avait fait un aller-retour pour discuter avec Luc Nandru plus tôt dans la journée, après être passé au temple. Elle grogna en remontant suffisamment pour voir l'arguenne entrer dans le temple en humain et ressortir sous sa véritable apparence. Elle soupira en s'affalant sur le siège.

 « Le maître ne va pas être content... »

  C'était un euphémisme. Luménor allait devenir fou de rage. Il n'y avait qu'à voir la réaction qu'il avait eu pour le Templion. Le Gardien s'était encore une fois montré excessif et radical.

  Santhià se rendit compte que Talin était toujours à côté d'elle et la lamie se redressa pour faire bonne figure. Elle le remercia pour son témoignage et le renvoya vers Roman. Elle devait prévenir Luménor et aviser. Mais avant cela, elle devait se préparer à subir la colère du maître.

Ж

  Les murs se gondolaient. Sa vision se troublait. Son corps lui semblait lourd, plombé par le mal qui lui tournait le sang. Igurantori se traîna au plus vite chez son ami quand il vit que sa peau ternissait. Ses pouvoirs le quittaient. Chaque pensée était une souffrance, amplifiée par le moindre mouvement. Mais il devait continuer. Il devait trouver un remède. Survivre. Il n'était pas prêt à quitter ce monde. Il ne le voulait pas. Malgré la vision de la Sainte, il ne rencontrerait pas le Dieu-Juge aussi tôt. Il était trop jeune encore. Il ne voulait pas mourir sur cette île sans avoir libérer son grand-père.

  Ses forces l’abandonnèrent finalement alors qu’il atteignait son but. L'arguenne s’effondra contre la porte de Luc Nandru. Ce dernier sortit au vacarme de la chute.

 « Igur ! Qu’est-ce qui t’arrive ?

 — P…Poison… »

  Au lieu de perdre du temps à poser des questions, Luc tira son ami à l’intérieur de sa chambre personnelle et referma la porte. Il chercha la substance responsable de son mal grâce à ses dons puis fouilla dans ses produits pour trouver ce qui permettrait de gagner du temps jusqu’à ce qu’ils se rendent à l’infirmerie. Toutes les plantes médicinales se trouvaient dans la réserve.

  Jurant et s’agitant en voyant l’épiderme virer au noir, Luc écrasa quelques pilules aux effets divers avant de faire avaler le mélange à l’arguenne. Puis le médecin entreprit de purifier le sang avec un sort. Cela ne fut pas suffisant. Le poison avait déjà contaminé trop de tissus.

  Le temps jouait contre lui. Igurantori ne tiendrait pas à moins de se faire téléporter à l'infirmerie. Mais le médecin n'avait pas ce pouvoir-là et contacter quelqu'un d'assez discret pour le transport demanderait trop d'explications. De ce fait, il renonça à déplacer son ami et recommença plusieurs fois le sort de purification.

  Dès que le poison cessa de progresser, Luc courut à la réserve et en rapporta tout ce dont il avait besoin pour sauver Igurantori. Il lui concocta un antipoison avec les moyens dont il disposait puis le lui fit ingurgiter. Une fois que l’arguenne eut recouvré ses couleurs naturelles, le jeune médecin se détendit et souffla en se laissant tomber à côté de lui. Il l'avait assis contre le lit après l'avoir tiré à l'intérieur de la chambre. Ce n'était pas le plus confortable, mais dans l'urgence, il avait fait au mieux.

  Quand il ne subsista plus aucune tâche noire sur la peau verte délicatement nacrée, Luc le stimula pour l'éveiller et l'inciter à changer de position.

 « Hé! Igur ! Aide-moi un peu. Tu es trop lourd pour moi. Il est hors de question que je te laisse par terre. »

  L'arguenne fournit un gros effort pour se relever pendant que Luc s'arc-boutait pour le soutenir et l'allonger confortablement sur son lit. Après cela, Igurantori sombra dans un profond sommeil réparateur et Luc soupira. Et dire qu'il ne serait jamais repassé par sa chambre si Arya ne lui avait pas fait remarqué qu'il portait exactement les mêmes vêtements depuis plusieurs jours. Est-ce qu'Igurantori aurait eu la force d'aller jusqu'à la tour pour le trouver s'il n'avait pas été dans sa chambre à ce moment-là ?

  Luc avala mécaniquement quelques pilules énergisante, tria les fioles et les récipients qu'il avait chamboulé dans la précipitation, puis il se laissa tomber sur sa chaise de bureau et observa Igurantori. Comment son ami le plus pacifiste s'était-il retrouvé dans cette situation ? Depuis qu'ils s'étaient liés d'amitié, à force de fréquenter les mêmes allées à la bibliothèque, ils s'étaient promis de ne pas s'attirer d'ennuis. Ils n'y étaient pas tout à fait parvenus, entre la métamorphose de l'arguenne et l'entrée de Luc dans les petits papiers de Haec, mais jusqu'à présent, personne n'avait cherché à les éliminer. Est-ce qu'Igur aurait vu ou participé à une activité illicite ? Le jeune médecin allait devoir attendre son réveil pour obtenir des réponses.

Ж

  Réfugié dans son sanctuaire mental, Igurantori se ressourça pendant deux jours. Durant ce laps de temps, il tenta de contacter la Sainte afin de la mettre en garde. Le Gardien avait appris pour leur rencontre. Il fallait qu'elle se mette à l'abri. Elle resta malheureusement hors d’atteinte. L'arguenne se mit à redouter le pire. Et si en trompant la mort, c’était elle qui avait passé les Trois-Portes ? Ce fut dans ce grand moment de confusion que son grand-père le contacta.

‘‘C’est bon de te sentir à nouveau.’’

‘‘Ils ont osé s’en prendre à moi ! Que va-t-il lui arriver ?’’

‘‘Elle a subi le même sort que toi avant d'être emprisonnée, mais elle s’en sortira. Elle a les dieux à ses côtés. Quant à toi, tu as un ami fidèle.

‘‘Grand-père... Je ne suis pas à la hauteur de la tâche.’’

‘‘Tu t’en sors merveilleusement bien pourtant. Tes ennemis croient t’avoir évincé. Utilise-le à ton avantage. Ta force n'est pas physique, mon enfant. Montre-leur de quoi est capable un prince d'Ion.’’

  La présence de son grand-père s'atténua jusqu'à disparaître et le jeune arguenne se mit à réfléchir à un plan. Il manquait de moyens et d'énergie. Comment pouvait-il prendre l'avantage sur un ennemi qui l'avait manipulé et humilié pendant vingt ans ? À cette simple pensée, Igurantori sentit une étrange colère naître en lui. Il comprit plus tard que ce sentiment nourrissait un désir de vengeance qui jusqu'alors lui était étranger. Les arguennes étaient pacifiques, cette volonté de partir en guerre était nouvelle.

  Le deuxième jour, Maître Intillalta toqua chez Luc. Le médecin ouvrit prudemment la porte avant de le laisser entrer. Sans prononcer un mot, l'arguenne posa sa longue main sur le front d'Igurantori puis lui transmit autant de spirit qui lui fut possible sans se mettre lui-même en danger. Il se tourna vers le médecin une fois le transfert terminé et le rassura.

 « Vous avez fait ce qu'il fallait dans un temps extrêmement court, Luc Nandru. Vous lui avez sauvé la vie. Pour cela, les familles Intillalta et Oronganto vous seront à jamais reconnaissantes. »

  Le maître s'inclina profondément devant le médecin qui lui rendit cette marque de respect, ému par la solennité de sa déclaration. C'était certes une habitude arguenne de toujours s'exprimer avec ce ton et cette élégance pompeuse, mais en cet instant, Luc comprit que cela était plus important qu'un simple remerciement. Intillalta ne s'attarda pas plus longtemps et s'en alla en silence.

  Juste après son départ, Igurantori ouvrit les yeux et tenta de se redresser. Luc s’approcha pour le soutenir.

 « Doucement, mon ami ! Tu as frôlé le changement de bord là ! Ne me refais plus jamais ça !

 — On m’a empoisonné.

 — Oui, j’avais remarqué. Tu m’expliques ?

 — Ta chambre est sûre ?

 — Autant qu’elle puisse l’être, tu le sais bien. Alors ? Qu'est-ce qu'il s'est passé ?»

  Igurantori lui raconta tout. Il avait entièrement confiance en son ami. Il lui narra sa rencontre avec la Sainte, son expédition dans les profondeurs de la tour, son serment de Bouclier. Luc l’écouta plongé dans un silence recueilli, reconnaissant par certains aspects ce qu’il avait pu éprouver au contact d’Al’raï. À cette réflexion, Igurantori releva la tête vers Luc, il avait suivi le cours de ses pensées.

 « Arya Al'raï est sous ta protection ?

 — En quelque sorte. Pourquoi ?

 — C'est une longue histoire. Si tu le veux bien, gardons-la pour plus tard. Il faut que tu fasses quelque chose pour moi avant toute chose.

 — Je t'écoute.

 — Peux-tu me donner l’apparence d’un faran ?

 — Combien de temps ? »

  Luc comprit par cette simple demande qu'Igurantori voulait faire le mort. Il accéda à sa requête sans tergiverser. Ils élaborèrent un stratagème pour faire croire que l’arguenne n’en était plus un et qu’il avait perdu ses facultés. Luc lui fabriqua quelques pilules à prendre à des heures régulières pour maintenir l’illusion. La partie la plus ardue de leur plan consistait à apprendre l'art du mensonge à un être fondamentalement sincère. Ils y passèrent plusieurs heures, puis Luc fut obligé de se présenter à l'infirmerie pour travailler. Igurantori le poussa à reprendre ses habitudes pour ne pas éveiller les soupçons. Il s'entraînerait seul en attendant que le médecin puisse libérer un peu de temps pour l'aider.

 « Reste ici dans ce cas. Une fois que je serais à l'infirmerie, personne ne devrait venir dans ma chambre. Tout le monde sait que je vis quasiment là-bas. »

  Igurantori hocha la tête et entra en méditation dans un coin de la chambre. Il devait recouvrer toutes ses forces avant de sortir jouer la comédie.

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