Double face [2/4]

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  Quel repos soudain ! Quand Astralia s’éveilla, elle fut surprise par le silence. Un silence profond et total. Son esprit était calme comme la surface d’un lac gelé. Elle ne percevait aucune présence. Ce vide aurait pu l’inquiéter beaucoup plus si elle pouvait voir les taches noires sur sa peau. Mais plongée dans l’obscurité d’une pièce sans fenêtre, elle était seule avec sa conscience.

  Son dernier souvenir concernait sa rencontre avec la Reine-Dragon. Que s’était-il passé ensuite ? Igurantori l’avait probablement ramenée à la surface, et après ? Astralia savait avec certitude qu’elle n’était plus aux temples. Elle ne ressentait plus la protection bienfaisante du sanctuaire. Elle n'avait visité aucun autre bâtiment de l'île. Où pouvait-elle bien se trouver ?

  Une porte claqua non loin et de la lumière approcha. Astralia vit qu'elle était dans une cellule, derrière des barreaux épais. Un homme en uniforme militaire approcha, une torche à la main. Elle tenta d’entrer en contact avec lui mais rien ne se produisit. Elle était devenue sourde et aveugle, du moins spirituellement. Elle baissa les yeux sur ses mains et eut un aperçu des dégâts provoqués par le poison qu’on lui avait administré. Sa santé n’était pourtant pas en danger, car elle se sentait bien. L’homme la dévisagea quand il s'arrêta en face d'elle. Il fut surpris qu’elle garde son calme.

  Roman s’attendait à la trouver en pleurs. Une jeune fille comme elle, emprisonnée, empoisonnée et laissée plusieurs heures dans le noir total, n’aurait pas attendu pour hurler et appeler à l’aide. Le lieutenant ouvrit la porte de la cellule et lui fit signe de sortir. Il jeta un regard dédaigneux derrière elle. La Sainte aperçut dans la pénombre un homme allongé. Ils partageaient le même cachot, pourtant, elle n’avait rien senti, ni entendu non plus. C’était une sensation étrange et dérangeante. Quand son geôlier lui répéta de sortir, Astralia quitta la cellule et suivit le milicien.

  L’ascension dura quelques minutes. À aucun moment, la jeune fille ne se montra encline à la panique ni même à la peur. Ces émotions ne l’atteignaient pas. Elle était en mission et bénie des dieux. Il ne pouvait rien lui arriver. Forte de cette conviction, elle n’avait aucune raison de craindre pour sa vie.

  Deux étages plus haut, Astralia reconnut le hall et la porte de métal derrière laquelle se trouvait Galriel. Puis ils traversèrent le couloir aux portes peintes. Ils parvinrent finalement dans la crypte où les attendait le Gardien et quelques membres de son armée. L'heure de la confrontation avait donc sonné.

  Luménor remercia Roman et inspecta la jeune fille depuis son trône. Elle n’avait rien d’exceptionnel à première vue. Elle était jeune et probablement inexpérimentée. Les marques sombres sur sa peau l'intriguèrent et lui rappelèrent les symptômes d'une maladie psychique. Il tourna la tête vers Santhià qui acquiesça pour lui faire comprendre qu'elle était à l'origine de cette décision. La lamie avait opté pour la prudence. Luménor sourit et s'approcha de la Sainte. Il avait eu le temps de changer de corps et de reprendre des forces depuis son dernier malaise. Il la contourna lentement, comme un vautour guettant sa proie.

  Astralia se laissa observer sans esquisser le moindre geste. Elle n’avait pas besoin de fuir, elle n’avait pas peur. Il ne pouvait pas la tuer. Cette certitude la rendait plus forte. Et Luménor le sentit. Il chercha donc à lui saper le moral. Cela fut sans effet.

 « Je suis heureux de faire enfin ta connaissance. Setsuan a bien joué son coup, mais je me suis montré meilleur que lui. Maintenant que je t’ai attrapée, tu ne reverras pas le soleil. Tes nouveaux appartements te plaisent ?

 — Ils sont charmants. Je vous remercie.

 — Ah, vraiment ? C’est tout ce que cela t’inspire ?

 — Oui.

 — Tu n’es pas indispensable. Je pourrais ordonner ton exécution immédiate.

 — Vous ne le ferez pas.

 — Tu es bien téméraire. Ou stupide, je ne saurais dire. Pardonne-moi cette digression, mais quel âge as-tu ?

 — J’ai eu dix-sept ans cette année.

 — Si jeune. Que c’est regrettable. »

  Luménor s’arrêta de lui tourner autour, caressa son menton pour lui faire relever la tête et plongea son regard dans le sien. Il tenta de prendre le contrôle de son esprit mais le poison qu’on lui avait administré bloquait tout échange dans les deux sens. Luménor soupira et ordonna qu’elle soit purifiée afin qu’il puisse s’amuser avec elle. Il jubilait d’avoir pu attraper la Sainte vivante. Si Galriel ne voulait pas travailler pour lui, le Gardien la convaincrait de le faire. D’ici là, Luménor ordonna qu’elle soit ramenée dans sa cellule. Il avait repris la main dans la partie d'échecs cosmique et cela lui suffisait pour le moment. Il fallait qu’il renforce ses appuis avant de passer à la vitesse supérieure.

  Comme le lieutenant Roman n’avait pas envie de se retaper le chemin jusqu’aux geôles, il confia la mission à Talin en lui refourguant sa torche. L’assassin se contint face au lieutenant, prit la Sainte par le bras et lui fit faire demi-tour. Elle eut un mouvement de recul en le reconnaissant et il prit cela pour de la crainte. Xaan relâcha légèrement sa prise afin de lui montrer qu’il ne lui ferait aucun mal jusqu’à la laisser marcher à son rythme dès qu’ils entamèrent la descente après la porte de métal.

  Quand ils furent seuls, Astralia adressa la parole à son geôlier. Elle avait retrouvé son calme après son moment de surprise. Ses visions lui revinrent en mémoire et elle remit le nom sur celui qui l’accompagnait.

 « Je suis heureuse de vous rencontrer enfin, Xaan Talin.

 — Ne me forcez pas à vous faire taire. »

  Ce n’était pas une réelle menace. Talin ne voulait tout simplement pas discuter. Santhià avait tenu à ce qu’il soit dans la crypte quand la Sainte leur serait présentée. Les informations qu’il lui avait transmises avaient permis à la lamie de faire son travail. Elle avait souligné auprès du Gardien qu’il était plus efficace que la plupart des miliciens alors qu’il avait été recruté récemment. Cette dernière remarque avait piqué l’ego du lieutenant qui s’était offusqué de la promotion de Xaan après leur entretien. Il était à présent capitaine et gâté par de nouvelles autorisations de déplacement. Hevlaska allait être contente de cette avancée pacifique.

  En le voyant si renfermé et silencieux, la Sainte aurait payé cher pour savoir à quoi il pensait. Elle percevait nettement l'Ombre derrière lui et cela ne fit que la réjouir. Un sourire serein chassait la moindre inquiétude. Tout se mettait en place. Bientôt, tout serait prêt. Bientôt.

  Une fois devant la cellule, l’assassin remarqua que le lieutenant Crétin ne lui avait pas donné les clés. Il jura et posa sa main sur l’épaule de la fille puis les téléporta à l’intérieur. Il en ressortit seul. Xaan se figea soudainement en se demandant pourquoi il ne s’était pas téléporté à la surface. Il se tourna lentement vers la Sainte. Elle devait forcément y être pour quelque chose.

  Astralia le fixa. Ses yeux verts paraissaient presque trop lumineux dans si peu de lumière. Elle reprit la parole en espérant lui faire comprendre qu’elle n’était pas son ennemie.

 « Xaan Talin, le vengeur zortan, l’ombre céleste, le démon blanc. Voilà bien des noms pour un seul être. Qu’êtes-vous venu chercher à Saltar ?

 — On m’y a mené. Je ne fais que rembourser une dette. »

  Talin fronça les sourcils. Pourquoi venait-il de lui avouer la vérité ? Il recula d’un pas, la torche à la main ; la luminosité baissa dans la cellule de la Sainte. Elle s’approcha des barreaux et continua de le regarder intensément.

 « Vous n’êtes pas ici par hasard. Nous devions nous rencontrer.

 — Je ne pense pas.

 — J’espère vous revoir bientôt. Nous avons des tas de choses à nous dire. »

  L’assassin la prit pour une folle et se téléporta dans la salle de contrôle après avoir laissé la torche dans l’encoche du mur. Il s’était rebuté à l’idée de la laisser dans le noir. Pourquoi tant de considérations pour une prisonnière ?

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