Fin de partie [3/4]

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Mer Intérieure


  Zaigham volait depuis des jours. Après la traversée du désert, il avait repris des forces dans un village portuaire, décimé la moitié de la population. Il avait semé la panique avant de redécoller. C’était le troisième village à subir son appétit titanesque. La traversée du continent avait été coûteuse en vie et en énergie, mais il devait rejoindre celle qui l’appelait sans cesse. Il le devait.

  Le rivage était loin dorénavant. Il volait au-dessus de l’eau en priant pour avoir la force de rejoindre la terre ferme. Un plongeon le tuerait à coup sûr. Zaigham n’avait jamais appris à nager, ou bien, il avait oublié. Le miroitement de l’eau lui brûlait la rétine après tant de siècles passés au fond de la cité carcérale. Même la luminosité du désert lui paraissait plus douce. La météo demeurait clémente, lui offrant un ciel dégagé à des miles à la ronde.

  Une masse sombre commença à se détacher du royaume de Nébuline. Une île ! Enfin. La voix dans sa tête le félicitait et l’encourageait toujours. Parfois il ne l’entendait plus pendant un moment et puis elle revenait. Il était sûr d’aller dans la bonne direction et d’atteindre bientôt sa destination. Cela le rendait joyeux. Qu’il était étrange de sentir à nouveau ce sentiment se diffuser dans ses veines. Cela démultiplia son énergie.

  Le démon prit de la vitesse et s’écrasa si violemment contre le sortilège antiaérien qu’il le brisa et tomba vers la tour, sonné par le choc. Les alarmes réveillèrent tous les miliciens qui ne tardèrent pas à cibler l'intrus pour s'en débarrasser.

  Zaigham retrouva ses esprits et se raccrocha comme il put à la tour, ouvrant de longues brèches dans la façade avec ses griffes. Il perdit quelques écailles dans son freinage avant de s’intéresser à ses nouveaux ennemis. Ceux-ci étaient beaucoup moins équipés que les gardiens de la cité carcérale. Leurs flèches et leurs sorts n'avaient aucun effet sur lui, le chatouillaient à peine. Le démon sourit, dévoila sa dentition terrifiante avant d’entendre la voix dans son esprit lui donner des indications très claires.

’’Rejoins-moi au sommet de la tour. Je t’attends.’’

  Comme dans le cratère, il se servit de ses griffes pour escalader le bâtiment.


#

  Astralia se leva en sentant le dernier Bouclier venir. Elle s’apprêtait à l’accueillir chaleureusement quand le mur vola en éclat. Incapable de lever les bras pour se protéger, son bouclier de sang prit le relais et la protégea. À travers la poussière, elle aperçut la tête d’un monstre et elle tenta de fuir, apeurée. Mais menottée au sol, elle glissa sur sa robe et tomba sur son séant. Cela ne l’empêcha pas de tenter de s’éloigner au maximum de cette créature sortie tout droit de l’Entre-mondes.

  Le démon la fixa de ses yeux noisette, étonnamment humains. Quand la Sainte s’en rendit compte, la peur disparut et elle l’observa avec curiosité. C’était donc lui qu’elle guidait depuis des jours ? Que lui était-il arrivé ? Quelle malédiction apportait-il avec lui ? Il fallait qu'elle le découvre pour l'en libérer.

  Il pénétra à l’intérieur de la tour après avoir fracassé la façade pour élargir l’ouverture. Il la rejoignit et brisa ses chaînes avec aisance. Il n’eut aucun geste agressif ni déplacé à son encontre. La Sainte eut un geste de bonté et tendit la main vers son museau écailleux.

  Un sort l’arrêta. Touchée à l’œil, la créature gronda et fit face à la Milice pour se défendre. Xaan Talin fut immédiatement au près de la Sainte pour la mettre en sécurité. Elle lui résista et lui échappa pour s’interposer entre les soldats et le démon. Santhià, en charge de l’intervention d’urgence, lui cria de s’écarter. Astralia refusa fermement.

 « C'est l’un des nôtres ! Laissez-le en paix ! »

  Luménor pénétra dans la salle après cette déclaration et s’avança jusque derrière la lamie. Il n’était pas fou au point de se mettre en première ligne. L'énergie du démon ne lui était pas inconnue. Luménor chercha dans sa mémoire l'identité rattachée à cette empreinte spirituelle, tandis que Santhià tentait de convaincre la Sainte de s'éloigner de l'intrus. Le gardien se rappela soudainement de leur visiteur et réagit à la présence de cette vieille connaissance avec des sentiments partagés.

 « Hé bien, tu as mal vieilli, Zaigham ! D’où sors-tu après tout ce temps ? Tu devrais être mort depuis des lustres. »

  La créature grogna, puis fit un pas vers son ennemi juré. La Milice le torpilla de sort de foudre, son premier réflexe fut de protéger la Sainte. Plaquée contre son torse puissant, elle n’avait pas peur. Elle percevait ses intentions et cela éveillait sa curiosité.

  Sans réfléchir, Astralia ferma les yeux et se lia à son esprit. Elle découvrit un homme marqué par le temps et la souffrance, maudit par les dieux pour avoir manqué à son serment. Dans cet espace intérieur, hors du temps, Zaigham se redressa en la voyant face à lui. Elle avait atteint son essence primaire et la surprise se lisait sur son visage marqué par la tristesse.

 « Cela fait bien longtemps que je n’ai pas reçu de visite.

 — Tu n’es plus obligé de te cacher.

 — Je ne me cachais pas. J’aurais dû mourir il y a des siècles.

 — Si tu es en vie, c’est que tu as encore un rôle à jouer. »

  Cette perspective ne le réjouit pas. Zaigham avait retrouvé un certain goût à la vie grâce à la Sainte, cependant, il était perverti par les pulsions de sa malédiction. Astralia diffusa des ondes bienveillantes qui n’apaisèrent pas seulement le démon ; toutes les personnes dans la salle d’astronomie se détendirent et baissèrent leurs armes.

  Pris de court en constatant l'influence de la Sainte sur ses hommes, Luménor trépigna comme un enfant et ordonna finalement avec mauvaise humeur :

 « Puisque Zaigham semble chercher ta compagnie, Sainte Astralia, il restera auprès de toi ! J’espère que son appétit pour la bonne chair ne te portera pas trop préjudice. Allez me réparer les dégâts, bande de fainéants ! »

  Les miliciens s’appliquèrent à obéir tandis que Talin jetait un regard curieux à la créature que la Sainte avait protégé. Le démon semblait inoffensif dorénavant, mais combien de temps la jeune fille le tiendrait-elle en laisse ? L’assassin se fit rappeler à l’ordre par la lamie et s’en alla. Santhià fut la dernière à quitter l’observatoire. Elle enclencha un dôme qui empêcherait au démon de sortir aussi facilement qu'il était entré.

  D’après ses comptes, tous les Boucliers étaient rassemblés, il ne manquait donc qu’un seul Descendant. Si le Dragon était en chemin, il fallait préparer son arrivée. La lamie pria pour qu’elle soit moins fracassante que celle du démon. Qu’est-ce que c’était que cette génération de démolisseur ? Entre le Phénix et le démon, à quoi devaient-ils s’attendre après cela ? Tandis qu’elle continuait de descendre les escaliers, un célèbre adage lui revint en mémoire : jamais deux sans trois.

  Du grabuge dans la salle de contrôle lui fit soudainement presser le pas. À son arrivée, Santhià constata que toutes les portes des cellules retenant les Boucliers et les Descendants étaient ouvertes. Ces derniers en sortaient et s’interrogeaient sur la raison de leur libération. La journée allait être longue face à ce nouveau casse-tête.

  Santhià para au plus urgent et donna quelques consignes de sécurité. Puis elle observa les évadés à travers les cristaux. La tour demeurait fermée hermétiquement, ils ne pouvaient donc pas quitter les lieux. Seuls les sorts de verrouillage des serrures avaient sauté. Les dégâts occasionnés par l'arrivée du démon avaient désactivé les sorts les plus faibles et les plus récents. La situation était moins grave qu'elle n'y paraissait, toutefois, il valait mieux ne pas laisser traîner.

  La lamie missionna les équipes de la Milice et les répartit dans la tour pour réparer les dégâts. Alors qu'elle se concentrait pour remettre de l'ordre dans le chaos engendré par Zaigham le Terrible, Xaan se téléporta derrière elle. Santhià sursauta en percevant une présence, porta mécaniquement la main à sa cuisse, là où elle cachait sa dague, puis elle soupira et se détendit en reconnaissant la voix de l'assassin quand il se pencha vers les écrans par-dessus son épaule :

 « Que se passe-t-il ?

 — La classe spéciale a été relâchée. Aurais-tu des suggestions, mon cher ?

 — Organise un comité de bienvenue.

 — Hilarant !

 — Je vois que tu meurs d’envie de rire. Que veux-tu faire sinon leur permettre de prendre l'air ? À moins que le Gardien ait donné des ordres spécifiques dont j’ignore l’existence et que tu es obligée d’appliquer à la lettre ? »

  Parfois Talin était agaçant par sa perspicacité. Santhià hocha la tête et lui demanda un coup de main. Après avoir été drogués plusieurs jours d'affilés, les prisonniers ne se laisseraient plus nourrir aussi facilement. À moins d'user de la violence, il ne serait pas possible de les remettre en cellule. Or, la lamie n'avait pas envie de se confronter aux Descendants. Il allait falloir amener les prisonniers à penser qu'ils n'en étaient plus. Était-ce ce que Talin voulait dire par organiser un comité d'accueil ? L'idée n'était pas si mauvaise en définitive. Il faudrait aménager un nouvel étage et en limiter les accès. Une cage dorée serait plus propice à des échanges courtois. En définitive, Santhià fit signe à Talin de la suivre.

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