Immunité sui generis [1/4]

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Polonia, Larfonie,

Cinq jours plus tôt.

  La grande ville impressionna Lina dès leur arrivée. Elle resta accrochée aux doigts de Zoann qui lui avait promis qu’on s’occuperait bien d’elle. C’était la première fois qu’elle utilisait la téléportation pour se déplacer et son estomac n’avait pas apprécié le voyage. Elle se retint de toutes ses forces pour ne pas vomir le ventre vide. Le grand aux cheveux blancs remarqua sa pâleur et lui tapota la tête d’un air désolé.

 « C’est toujours perturbant les premières fois. Ne t’inquiète pas, ça va passer. »

  Elle hocha la tête et resta sagement accrochée à Zoann. Ce dernier s’entretint avec Xaan et un vieil homme maigre qui s’étonna de l’absence du lieutenant Roman. Ce devait être le fameux Blondie qu’ils avaient laissé en plan au village.

 « Il nous a demandé de partir avant lui, répondit Xaan très naturellement. Il a été retenu par une mission urgente. »

  Le vieil homme maigre ne posa pas plus de questions, les mena dans une cave et ouvrit un portail de transport. Lina déglutit en voyant la surface ondulante. Est-ce que cela serait aussi désagréable que la téléportation ? Ils traversèrent ensemble et arrivèrent dans un endroit gigantesque. Lina sourit en constatant qu’elle ne ressentait aucun inconfort supplémentaire, puis elle s’émerveilla devant le décor de la salle de transport de Knia, avant de s’arrêter sur un groupe de personnes en uniforme de couleur bleu qui les attendaient. Ils n’avaient pas l’air très gentils ceux-là. Comme une enfant, Lina se cacha à moitié derrière Zoann et observa attentivement.

 « Bienvenue à Saltar. »

  La femme rousse qui les accueillit n’était pas humaine. Elle ne portait pas non plus l’énergie d’une arkienne. Lina fut surprise de sentir la part reptilienne de cette personne et fit mine d’avoir peur. Elle n’était pas à l’aise pour sûr, mais elle était assez maligne pour exagérer ses réactions. Au village, Lina avait vu ce que cela donnait d’exposer ses émotions et sa vulnérabilité. Elle serra plus fort les doigts de Zoann. Il s’accroupit pour la prendre dans ses bras, l’enveloppa ainsi de son aura protectrice. Il se releva ensuite en la portant contre lui, la câlina avec douceur et lui chuchota à l’oreille.

 « Des tas de choses vont te paraître étranges ici. Ne t’en fais pas. Je resterais avec toi pour te protéger. Tu me fais confiance ? »

  Lina jeta un coup d’œil en biais vers la lamie puis hocha la tête en regardant franchement Zoann dans les yeux. Il lui sourit et baisa son front pour la féliciter. La fillette se sentit sincèrement protégée et regarda la femme rousse avec candeur. Elle était douée pour paraître mignonne et inoffensive.

 « Bonjour, madame.

 — Bonjour, mademoiselle. Je m’appelle Santhià. Comment vous appelez-vous ?

 — Lina, madame.

 — Est-ce qu’il y a un nom de famille qui accompagne ce charmant prénom ?

 — Loptan, madame. Je m’appelle Lina Loptan. »

  Santhià hocha la tête d’un air satisfait puis son regard dévia vers Xaan et Zoann. Elle parut prête à leur demander quelque chose puis se ravisa en croisant le regard innocent de Lina. La lamie tendit alors le bras vers la sortie avec élégance.

 « Laissez-moi vous accompagner jusqu’à vos appartements. »

  Le ton était charmant, mais Lina ne se laissa pas avoir. Elle sentait l’hypocrisie de façade de Santhià. La fillette passa ses bras autour du cou du géant et garda l’œil ouvert, attentive à tout ce qu’il se passait autour d’elle. On lui cachait quelque chose, mais quoi ?

  Lina prit conscience de l’heure tardive en passant la porte du bâtiment. La nuit était tombée et il faisait sombre à présent. Les individus en uniforme allumèrent des lampes puis les encadrèrent pour les escorter. Étaient-ils accueillis comme des rois ou des criminels ? Ils traversèrent un village désert puis cheminèrent sur une large route jusqu’à une grande porte leur permettant de passer au-delà d’imposants remparts. Dans l’obscurité, Lina ne perçut que des ombres gigantesques, les lampes ne portaient pas au-delà de dix mètres à la ronde. La nausée ne semblait pas être tout à fait passée et la fillette se pressa un peu plus contre Zoann qui lui frotta gentiment le dos. Il lui fit une bise sur la joue puis lui chuchota à nouveau à l’oreille.

 « Quoi qu’il se passe une fois dans la tour, n’aie pas peur. Je tiendrais ma promesse. »

  Le géant parlait avec honnêteté. Lina lui sourit et hocha la tête pour signifier qu’elle avait compris. Elle cala ensuite son menton sur son épaule pour jeter un coup d’œil derrière eux. Santhià et Xaan discutaient à voix basse et Lina n’entendit pas ce qu’ils disaient. Elle soupira alors et regarda de nouveau devant.

  La portée des lampes ne lui permit pas d’apprécier les détails des immenses bâtiments. En revanche, son œil vif, habitué à chercher les animaux dans la forêt, remarqua des traces évidentes de dommages. Elle vit les fissures, les blocs tombés au sol, des zones calcinées. Elle se demanda alors où elle était tombée. Y avait-il eu un incendie ? Une attaque ? Les hommes en uniformes étaient-il des soldats malgré l’absence d’armes ? Lina hésita entre poser des questions avec naïveté et se taire pour laisser traîner ses oreilles. Elle opta finalement pour la deuxième option.

  Au pied de la tour, Santhià prit la tête de leur cortège et leur fit monter de nombreux escaliers jusqu’à une porte dessinée sur un mur. Il lui suffit d’un geste de la main pour que la porte s’ouvre sur une pièce circulaire où s’alignaient des portes à barreaux, comme en prison. Lina déglutit et fit de son mieux pour ne pas laisser transparaître sa peur et sa colère. Zoann lui avait-il menti sans qu’elle ne s’en aperçoive ? D’habitude, elle était plutôt douée pour percevoir le mensonge.

  Santhià s’arrêta devant une cellule vide, l’ouvrit et s’adressa à Zoann.

 « Dépose-la à l’intérieur. »

  Le géant resserra légèrement son étreinte et répondit à la lamie sans agressivité.

 « Je demande l’autorisation de la garder avec moi. Elle est très jeune et je doute que ce soit une bonne chose de la laisser seule dans une ce...chambre close. »

  Lina perçut l’hésitation. Santhià également. La lamie se tendit, ses yeux se réduisirent à deux fentes. La fillette pensa que la femme rousse était aussi méfiante qu’elle-même, sinon plus. Jouant le jeu de son protecteur, Lina se blottit contre Zoann en abusant de sa fragilité, elle parvint même à avoir les larmes aux yeux. Le géant reprit la parole pour convaincre Santhià.

 « J’ai suivi les règles imposées pendant la mission. Je demande seulement à ce qu’elle reste avec moi. Annulez les privilèges promis en échange de cette faveur. »

  Après un temps de réflexion et pour seule réponse, Santhià referma la porte qu’elle maintenait ouverte. Celle-ci disparut en se fondant dans le mur. Puis la lamie traversa la salle pour ouvrir un autre battant. Zoann lui sourit en remerciement et retourna dans sa cellule en portant toujours la petite contre lui. Il s’assit ensuite sur le lit à peine assez grand pour lui et regarda la porte se refermer sur eux, Lina posée sur ses genoux. Il soupira finalement et caressa la tête de la fillette.

 « Je sais à quoi cela ressemble et je m’en excuse. Je ne voulais pas te faire peur. La vérité, c’est que nous sommes de nombreuses personnes à être dans la même situation. Tu as vu les autres portes ? Derrière chacune d’elle, il y a quelqu’un. Certains d’entre eux sont mes amis. Hier, il y a eu un événement particulier qui a tout chamboulé dans nos vies.

 — La voix de l’ange ? lança Lina avec une légère hésitation.

 — Tu l’as entendu toi aussi ? s’étonna Zoann.

 — Mm, répondit-elle en hochant la tête. C’était juste avant l’attaque du village. J’ai cru que j’avais rêvé de cette voix. Elle disait de la rejoindre, mais j’ignorais d’où elle provenait. »

  Zoann sourit doucement et laissa simplement sa main sur le dos de Lina. Il tourna plusieurs fois sa langue dans sa bouche avant de trouver une manière simple de lui expliquer. Puis il lui raconta tout, de son départ du bas-plateau de Bagril à son entrée dans la classe spéciale, en passant par le récit épique du tournoi.

  Pendant qu’il lui racontait ce qu’elle avait manqué sur l’île, deux plateaux leur furent livrés et ils dînèrent en conversant. Zoann loua le calme de la petite tout en remarquant la pertinence des questions qu’elle posait. Quand elle montra des signes évidents de fatigue, il la mit au lit et la borda en lui promettant de veiller sur son sommeil. Lina lui sourit en lui souhaitant une bonne nuit et s’endormit rapidement, rassurée par la présence chaleureuse du géant. Elle avait eu une journée plus que chargée en émotions. Et Zoann n’était pas en reste.

Ж

  Après l’endormissement des deux derniers prisonniers, Santhià reçut Talin pour le compte-rendu de l’opération en Larfonie. Elle lui avait demandé un rapport détaillé. La mise en bouche du trajet de Knia à Saltar n’avait fait qu’éveiller sa curiosité. Avait-il vraiment planté un couteau dans la cuisse de Roman avant de l’abandonner sur place ?

  Xaan lui rendit un travail de qualité en quelques heures malgré un mal de tête lancinant et la fatigue du voyage. Il parla de la ville pleine de soldats aptans et de leur élimination par les Ombres, puis de son accrochage avec Roman qui avait mené à son abandon une fois la cible récupérée. En revanche, il tut son échange avec les fantômes. Xaan n’avait pas estimé ces informations nécessaires. Il signala simplement qu’ils avaient enterré les parents de la petite avant de rentrer.

 « Il va te haïr, soupira Santhià en entendant déjà Roman se plaindre.

 — Il l’a mérité. Ce n’est qu’un abruti. »

  Santhià pinça fort les lèvres pour ne pas rire. Elle n’était pas habituée à ce qu’on partage son avis à propos du lieutenant. Revenant à la réalité du moment, elle regarda l’écran sur lequel tous les prisonniers apparaissaient. Son regard s’arrêta sur la cellule du Vulcain et de la nouvelle pensionnaire. Elle n’avait pas voulu se battre contre lui dès leur retour.

 « Qu’est-ce que tu peux me dire à propos de la petite ? Est-ce qu’elle va poser problème ?

 — Je ne pense pas. Elle a l’air vive d’esprit et sait contenir ses émotions. Je ne sais pas si c’est lié à son sang ou à son caractère, mais les seules larmes qu’elle a versées étaient pour ses parents morts. Même si elle s’est méfiée de nous, elle a plutôt réagi avec sang-froid. Elle raisonne bien malgré son jeune âge. Et puis c’était une bonne idée de choisir le bagrilien. Il l’a mise à l’aise et on a pu la gérer facilement.

 — Il était comment sur le terrain ?

 — Étonnamment sympathique.

 — Sympathique ? Ce n’est pas un terme très professionnel, le taquina-t-elle avec amusement.

 — C’est vrai, mais c’est le seul qui me vient en tête quand j’y pense. Après... Il reste un bagrilien de sang pur : massif, robuste, endurant, efficace sur les longues distances. C’est un guerrier des montagnes. Je n’ai pas eu le loisir de le voir en action à Joviel, mais je suis sûr que Blondie te racontera ça en détail.

 — Blondie ? releva Santhià, intriguée.

 — C’est le surnom qu’il a donné à Roman.

 — Ah ! Je comprends mieux maintenant pourquoi tu apprécies le Vulcain. »

  Xaan haussa les épaules d’un air innocent puis sourit et ricana en repensant aux réactions de Roman. À bien y réfléchir, Blondie était un surnom plus intéressant que Lieutenant Crétin, même si les deux lui allaient à la perfection.

  Santhià savoura ce moment de détente avant de soupirer. La journée avait été longue pour elle aussi. Mais la lamie savait également que ce n’était pas terminé. Maintenant que la Vouivre était présente, et éveillée, il ne manquait plus que le Dragon, la Forêt et leurs Boucliers.

 « Tu devrais aller te reposer. Demain, il faudra que tu fasses quelques apparitions dans ta cellule pour donner le change et persuader les autres que tu es comme eux. Tu en sortiras quelques fois pour mener les missions quotidiennes que je te donnerais.

 — Bien, Madame.

 — Eh ! Xaan ! le rappela-t-elle alors qu’il atteignait la porte.

 — Oui ?

 — Bon travail. »

  Il esquissa un sourire et se rendit aux cuisines pour grignoter un bout avant de monter s’allonger dans sa cellule. La porte était fermée à clé, mais il pouvait se téléporter à sa guise. Aucun sort n’avait été installé pour l’empêcher de se déplacer. Chaque cellules avait été adaptée à la magie de son pensionnaire afin de la contrer le plus efficacement possible. Santhià lui laissait le champ libre et l’assassin l’en remerciait. Xaan soupira finalement en se demandant si cette situation allait durer. Il jouait un double rôle qui demandait de la concentration. Il ne fallait pas qu’il baisse sa garde.

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