Immunité sui generis [4/4]

9 minutes de lecture

  Alors que la journée promettait d’être identique aux précédentes, un grand fracas fit sursauter Lina. La déflagration fut suivie par un grand tremblement. Zoann se précipita aussitôt vers elle et la couvrit de son corps jusqu’à ce que les secousses cessent. De puissantes alarment retentirent aussitôt et les portes de leurs cellules s’ouvrirent d’elles-mêmes après quelques secondes. Avec prudence, le duo sortit de la geôle.

  D’autres visages apparurent par l’entrebâillement des portes. Puis les prisonniers se rassemblèrent, s’interrogèrent du regard. D’autres tremblements les mirent en alerte et certains se préparèrent à se battre, d’autres se recroquevillèrent. Tobias poussa Ruy par réflexe au centre de leur ronde, Zoann et Suna firent de même avec Lina et Lola.

 « Qu’est-ce qu’il se passe ?

 — Aucune idée.

 — Est-ce que tout le monde va bien ? »

  Suite aux premières réponses et au constat de l’arrêt des tremblements, Luc fit le tour de ceux qui étaient sortis de leurs cellules par leurs propres moyens, puis il se rendit au chevet des autres. Suna lui demanda d’ausculter Lola dans l’intimité d’une pièce et l’accompagna, puis le médecin laissa mademoiselle Thouve aux bons soins de la métisse pendant qu’il allait voir l’arkien, il s’occuperait de son ami arguenne en dernier parce qu’il nécessitait plus de soins. Du moins, c’était ce qu’il pensait.

  Yugh était encore sonné de son dernier endormissement brutal. Il était déshydraté et s’était acharné au point de se briser les os. Sans son matériel habituel, Luc eut du fil à retordre pour le soigner. Zoann et Lina lui prêtèrent main forte, l’un pour tenir le loup, l’autre pour l’assister comme une parfaite petite infirmière avec les moyens du bord. Luc tâcha tout de même de ne pas trop puiser dans ses ressources magiques amoindries. Il n’avait certes pas pris grand soin de lui en retombant dans l’usage des pilules énergisantes, il connaissait néanmoins les limites à ne pas dépasser.

  Pendant ce temps-là, les nobles prisonniers tâchèrent de comprendre ce qu’il se passait. Des grondements lointains perduraient. Les alarmes ne cessaient de hurler. Pourtant pas un milicien ne se présenta. L’île était-elle attaquée ? Pouvaient-ils tenter une échappée ? Luc jugea leur tentative extrêmement dangereuse à cause de l’activité sismique, tandis qu’il changeait de patient. Il essaya de ne pas trop y penser pour être plus concentré, tout en constatant que son esprit s’égarait plus facilement et qu’il devait faire preuve de plus de discipline envers lui-même pour garder ses pensées orientées vers un seul sujet.

  Lorsque le médecin eut remis l’arguenne sur pied, ce dernier se montra prompt à juger ces camarades et alla de surprise en surprise en constatant l’étendue des personnalités et des rôles qui incombaient à chacun. Il était entouré d’ombres mythiques et observa avec une franche curiosité Tobias-Argan Shahama, Lily Leyhan, la jeune Lina et Lola Thouve. Sondant les lieux, il s’étonna de ne pas sentir le Champion de Saltar. Ce dernier apparut de nulle part et Igurantori devint particulièrement méfiant. Toutefois, il n’eut pas le temps de scruter son esprit, l’arkien s’éveilla et sa colère remplit l’espace d’une énergie brûlante. L’arguenne fut obligé de se refermer pour se protéger et ne pas s’imprégner de toutes les émotions des autres. Son sommeil avait déjà été particulièrement agité entre les appels de la Sainte et le souci de sa propre santé. Qu’allait-il leur arriver à présent ?

  Igurantori aurait préféré se museler, même mentalement, parce qu’à peine il parvint au bout de son questionnement qu’une épaisse brume orange se répandit dans toute la pièce. Elle semblait provenir de partout à la fois. Très rapidement, la brume les enveloppa complètement et il suffit de quelques respirations pour que tout recommence. Il sombra dans un profond sommeil, les sens coupés de la réalité.

  Autour d’elle, Lina perçut le bruit des chutes de ses compagnons d’infortune dans l’étrange fumée colorée. Zoann résista aussi longtemps qu’il lui fut possible, mais elle le vit succomber à peine une seconde après les autres. De son côté, Lina se ressentait pas les effets des somnifères. Certes, ce qu’elle respirait n’était pas agréable, cela lui chatouillait le nez et lui grattait la gorge, mais elle était loin d’être sensible aux produits utilisés. Elle resta donc debout jusqu’à percevoir des hommes masqués à travers la brume. Elle calcula rapidement ce qu’il convenait de faire puis elle choisit de se coucher et de faire semblant d’être évanouie. Cela lui demanda beaucoup de courage, surtout quand l’un des hommes l’attrapa pour la transporter ailleurs. Elle prit énormément sur elle pour ne pas faire de bruit, ne pas pleurer ni couiner.

  Ils changèrent rapidement d’air et on l’allongea sur un lit ni trop dur, ni trop moelleux. Elle fut laissée là et entendit des voix. Les hommes masqués parlaient entre eux, la voix étouffée par leurs masques.

 « Ils sont installés. Dites à l’autre équipe d’intervenir.

 — Oui, lieutenant. »

  Lina craignit un instant qu’on leur fît du mal, tout en ignorant où avait été emmené Zoann. Quelques minutes plus tard, d’autres hommes en uniforme et masqués passèrent devant la porte de ce qui ressemblait à une jolie chambre meublée. Elle entrouvrit les yeux pour observer leurs faits et gestes avec prudence. Deux personnes se présentèrent à son chevet un long moment après leur premier passage et elle offrit son meilleur jeu d’actrice pour faire croire qu’elle était endormie.

  L’une des deux personnes tenait une sorte de valise qu’elle posa sur le lit avant de l’ouvrir. Le bruit des attaches en métal résonna dans la pièce, puis Lina sentit les mains de l’autre personne autour de son poignet. On lui mettait une sorte de bracelet. Elle entendit autant qu’elle sentit le claquement de fermeture, puis un léger courant énergétique traversa ses membres. C’était désagréable, mais pas douloureux. Les deux individus échangèrent sur le fait qu’il leur restait encore trois autres visites et Lina supposa que tout le monde était en train de se faire équiper du même bracelet. Ce qui signifiait que Zoann et ses amis ne devaient pas être loin.

  Quand elle sentit soudain qu’on lui attrapait le pied, elle se raidit malgré elle et fit un effort surhumain pour ne pas faire de bruit. Heureusement le compagnon de la personne qui lui tenait le pied détourna l’attention de celle-ci.

 « Qu’est-ce que tu fais ?

 — Je voulais juste la mettre à l’aise en lui enlevant ses chaussures. C’est qu’une gamine.

 — On n’a pas le temps, viens ! »

  La porte de sa chambre fut fermée et Lina compta jusqu’à mille tout en écoutant les mouvements des miliciens avant d’ouvrir doucement les yeux. Elle se dressa prudemment et examina le bracelet. Il semblait être de métal, tout à fait banal, puis les reflets irisés lui rappelèrent les artefacts qu’elle avait pu voir au village en différentes occasions. À quoi pouvait-il servir ? Elle tira dessus, le fit tourner autour de son poignet, l’observa sous tous les angles avant de soupirer. Elle ne parvenait pas à localiser l’accroche qu’elle avait entendu se refermer. Impossible de le retirer.

  Se désintéressant un instant de son accessoire, Lina observa sa chambre et pencha la tête en la trouvant à son goût. Les couleurs pastelles étaient douces et lui rappelait le salon de thé de San Mario. À cette pensée, elle remarqua justement le coin salon et n’eut plus aucun doute : la chambre avait été aménagée selon ses préférences et le style de son village. Il y avait les fleurs préférées de Luis dans les vases et la fenêtre donnait sur la cour de l’auberge où Ben passait certaines après-midi à jouer aux cartes. Tout était donc faux. Mais jusqu’à quel point ?

  Toujours avec prudence, Lina quitta le lit, s’avança vers la porte et actionna délicatement la poignée pour voir ce qui se trouvait au-delà. Sa première surprise fut de constater que la porte s’ouvrait. Puis elle découvrit un large espace de l’autre côté du battant. Une sorte de galerie circulaire à arcades donnait accès à autre chose. Lina n’en saurait pas plus sans quitter la chambre. Elle était trop petite pour voir au-delà du garde-corps d’où elle se tenait.

  Prenant son courage à deux mains, Lina passa le seuil et regarda de chaque côté avant de faire un pas de plus. Les lieux étaient déserts. Il y avait trois portes simples à sa droite et cinq à sa gauche. Elle s’avança vers la rambarde en pierre pour regarder en bas. Il y avait un patio avec des plantes fleuries et une petite fontaine. En face, de l’autre côté de la galerie ouverte, à plusieurs mètres de distance, il y avait deux doubles portes ouvragées quasiment identiques.

  Tranquillement, Lina fit un pas après l’autre vers la gauche. Elle remarqua les plaques portant des inscriptions à côté de chaque battant. Elle lut ce qui ressemblait à des noms. Quand elle tomba sur celui de Zoann, elle retourna sur ses pas pour voir Lina Loptan inscrit sur la sienne. Avec un sourire satisfait, elle courut presque jusqu’à la porte de son protecteur et l’ouvrit sans toquer. Elle la referma aussitôt et s’y adossa avant de voir le géant couché sur le côté sur un lit plus grand que lui. Sa poitrine se soulevait avec régularité et Lina en fut rassurée. Elle s’approcha, grimpa sur le lit après avoir retirer ses souliers puis secoua l’épaule du bagrilien.

 « Zoann ! Zoann, réveille-toi! »

  Il ne réagit absolument pas à ses secousses même en y allant de toutes ses forces. Lina tenta alors de retirer les substances du corps de Zoann en usant de la technique apprise avec Luc Nandru. Elle cria aussitôt en sentant un éclair lui traverser le bras. Des larmes perlèrent à ses yeux et elle se frotta le poignet où se trouvait le bracelet. L’artefact servait donc à cela. Elle ne pouvait plus faire de magie, même pour aider son ami. Cela la rendit triste et elle s’assit un moment au bord du lit pour pleurer. Elle se sentait particulièrement inutile en cet instant.

  Lorsqu’elle eut retrouvé son calme, Lina se frotta les yeux et décida de continuer son exploration. Elle retourna dans la galerie donnant sur le patio et poussa la première porte ouvragée. Elle donnait sur un salon avec des sofas, des fauteuils, des causeuses de plusieurs sortes et des petites tables pour jouer aux cartes dans les tons rouges et bois.

  Un passage en enfilade permettait d’accéder à une autre partie. Lina laissa ses doigts glisser sur les moulures décorative de la grande arche puis s’émerveilla devant le mobile stellaire suspendu au plafond de la nouvelle pièce. Les murs étaient couverts d’étagères remplies de livres. Les tentures et les fauteuils placés près de grandes baies vitrées donnaient sur un immense jardin boisé. Encore du faux à n’en pas douter. Mais les meubles et la décorations dans les tons bleus et argent étaient très beaux. Elle avait presque peur de les toucher et de les abîmer.

  Lina quitta ensuite la bibliothèque en sortant par la double-porte de cette pièce et comprit qu’elle avait fait le tour de l’étage. Quasiment. Les deux pièces restantes étaient une salle d’eau et des toilettes. Il ne restait plus qu’à descendre les escaliers pour découvrir ce qui se trouvait en bas, tout autour du patio.

  Elle descendit donc l’escalier qui menait à l’étage inférieur. Lina n’oubliait pas qu’ils étaient dans une tour et que sans indice réel de leur position à travers les fenêtres, impossible de savoir s’ils étaient très haut dans la tour. L’idée qu’ils puissent également être sous-terre l’effleura. Seulement, la beauté des lieux détourna ses pensées de leur fil.

 « C’est joli ! »

  Elle resta un moment près de la fontaine à respirer le doux parfum des fleurs puis elle remarqua les mêmes plaques qu’à l’étage à côté des portes et s’en approcha. Il y avait d’autres noms. Dont celui du médecin.

  Lina entra une nouvelle fois sans toquer et trouva Luc couché sur le dos. Il n’avait pas de bracelet contrairement à Zoann et elle. Lina se demanda pourquoi avant de venir le secouer. Cela n’eut pas plus d’effet qu’avec le géant et elle soupira, dépitée. Elle fit la moue et retourna dans le patio. Sa visite se poursuivit alors dans une grande cuisine. Elle se trouva quelque chose à manger puis grignota son bout de pain en se promenant dans le grand salon. Pas de bibliothèque ici, juste de quoi s’asseoir et discuter. En face du salon se trouvait une grande salle à manger disposant d’une longue table et de bancs.

  Enfin, elle trouva une grande salle d’eau chauffée et d’autres cabinets d’aisance. Lina fut presque déçue que ce fut tout. Mais elle devait se rendre à l’évidence : ils étaient toujours enfermés. Elle avait ouvert toutes les portes des deux étages et pas une n’ouvrait sur autre chose qu’une pièce disposant d’un certain type de confort. Ou alors la sortie était cachée. Quoi qu’il en soit, elle était seule et elle avait un petit peu peur. Lina remonta donc s’enfermer dans la chambre de Zoann et attendit qu’il se réveille.

Annotations

Vous aimez lire Siana Blume ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0