Toujours pour jamais

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Julien ne savait pas se décider. Il avait toujours eu, depuis son plus jeune âge, la même inexplicable habitude que son père : porter systématiquement des chaussettes de couleurs différentes. Peut être que c'était par paresse de chercher la paire, ou peut être pour se distinguer des autres en sport, mais quelque chose d'inexplicable ne peut pas s'expliquer. Julien devait donc se préparer. Il avait les mains moites à l'idée de se retrouver là bas. En tout cas, il devait se décider ; chaussettes de la même couleur ou pas ? Le changement lui faisait peur, mais il savait qu'il allait le faire un jour ou un autre. Il empoigna une paire rouge sang puis les couvrit de ses éternelles converses grises. Il étouffa ses cheveux bouclés d'une casquette Adidas, puis repoussa une grande mèche noire histoire de faire ressortir ses magnifiques yeux gris verdâtre.

Après s'être fait grondé par sa mère parce qu'il ne savait pas fermer une porte sans la claquer, Julien alluma l'autoradio en même temps que sa mère appuyait sur l'accélérateur. Ni Julien ni sa mère n'avaient envie de parler, donc ils ne parlèrent pas. "Fiday I'm in love" donnait une ambiance pas désagréable au voyage. Il était évident que, au vu d'où ils se rendaient, ce n'était pas la joie. La chanson se mit soudainement à vaciller sur ; "I don't care if…" qui se répéta une trentaine de fois avant que la mère de Julien lâche le volant d'une main pour éteindre le poste avec l'autre. Elle fit pivoter les roues à droite puis gara le vieille Toyota grise dans le parking vide. Julien s'empara de la poignée mais sa mère l'arrêta avant qu'il puisse sortir. Elle ouvrit la boîte à gants d'où elle sortit un bouquet de roses rouges. Rouges comme les chaussettes de son fils. Elle lui dit de le lui donner quand il la verrait. Il hocha la tête, se tourna, et marcha vers l'entrée du bâtiment pendant que sa mère lui criait qu'elle viendrait le chercher à midi.

Ça faisait peut être une vingtaine de minutes, quand une jeune femme vêtue d'une blouse blanche ainsi que de gants en plastiques s'approcha de la salle d'attente puis annonça le nom de Julien ; Mr Laurent. Celui-ci se leva et la suivi. Après avoir tourné à droite plusieurs fois, l'infirmière s'arrêta devant une porte puis regarda Julien dans les yeux d'un air sévère.

- On entre dans la salle de réanimation, annonça-t-elle, alors fais attention à tous tes gestes. Elle est sûrement très fatiguée, ne t'attend pas à pouvoir discuter avec elle pendant longtemps.

L'adolescent hocha la tête. Il avait peur de comment elle allait être. Il enleva sa casquette pour la remplacer par une charlotte qu'on lui avait tendue. Après quoi, il ouvrit la porte et pénétra dans la pièce. C'était sombre et des "bips" résonnaient de partout. Au centre de la pièce de trouvait Apolline. Son lit était blanc, ce qui faisait ressortir ses longs cheveux noirs. Julien s'assit sur une chaise, déposa maladroitement les roses sur la table de chevet d'Apolline puis observa cette dernière. Un long tuyau fin lui traversait la narine gauche. Elle avait les joues légèrement creuses, pas comme à son habitude. Mais elle continuait à être belle. Magnifique. C'était un sublime cadavre vivant.

Une infirmière rousse et imposante ramassa une bassine noire dans laquelle il y avait sûrement du vomi. Elle indiqua au jeune homme qu'il avait le droit à trente minutes seul, mais que s'il y avait le moindre problème, il fallait se servir du bouton d'urgence rouge positionné au dessus du lit. C'était vital.

À peine quelque secondes après sa sortie, Apolline ouvrit les yeux puis les mélangea avec ceux de Julien.

- Je… suffoqua-t-elle. Tu sais que je vais mourir. Je ne souffre plus de ma pneumonie, je suis ma pneumonie. Tu te rappelles il y tellement longtemps, quand on jouait au foot, quand je pouvais courir, marcher, vivre. Je te demandais si tu allais toujours rester près de moi, pour la vie. Et tu as tenu ta promesse. Tu es venu voir mon squelette avant qu'il soit enterré. Je sais que c'est plus possible pour moi de lutter, et ma mère m'a bien fait comprendre ce que les médecins ne voulaient pas que je sache. Je ne t'abandonnerai jamais. Promis, je penserai à toi quand je serai en haut. Peut-être que l'eau qui tombera du ciel contiendra de mon urine, ou alors, on ne pisse pas au paradis, je ne sais pas. Je ne veux pas que tu souffres à cause de moi. Promets-moi ça.

Julien était sans voix. Alors il lui tendit le bouquet de roses tout en cachant ses larmes qui coulaient abondamment sur ses joues.

- Apolline, je te le promets, je te le promets, je te le promets, répéta-t-il

...

- Apolline, je t'aime, je t'aime, je t'aime…

Elle le coupa en se levant. Elle s'approcha de lui, ce qui lui fit laisser tomber les roses par terre. Ses lèvres allèrent petit à petit sur celle de Julien. Une larme de l'adolescente se croisa avec une de celui qu'elle aimait. Le seul qu'elle aime, qu'elle a aimé et qu'elle aimera.

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