Chronique journalière 7 BIS — 27/09/2024 — Page 124
Vue sous un autre angle.
14 avril :
Après mon road trip d’une semaine en Jordanie, me voilà de retour en France, et j’overthink comme souvent. J’ai passé une semaine à contempler des paysages splendides, à voyager dans un environnement aux antipodes de ce que je connaissais jusqu’alors. J’ai découvert une culture tellement riche… mais voilà, mon cœur n’est pas aussi comblé que je l’aurai espéré.
Le retour en France me fait l’effet d’une claque, et dans cette triste réalité : je me sens vraiment seule. Cela fait des mois que je cherche quelqu’un avec qui partager ma vie, et chaque jour, je prie le Seigneur pour qu’il m’envoie celui avec qui je pourrais enfin envisager un avenir heureux. Cette pensée me hante de plus en plus, elle devient presque obsessionnelle.
16 avril :
Cela fait deux jours que j’ai repris le travail. Plus que deux et c’est le week-end.
Je ne sais pas pourquoi, mais ce matin, j’ai décidé de réinstaller Tinder. C’est avec peu de convictions que j’ai recréé un profil, en suivant une méthode que je connais par cœur. Tout d’abord, ma fameuse phrase d’accroche : « À la recherche de mon futur partenaire de voyage ». Puis, je choisis minutieusement les cinq photos qui vont composer mon profil. La première, prise assise à mon bureau, où mon visage est parfaitement visible ; la deuxième, où l’on me voit en pied ; la troisième, avec mes chats ; la quatrième, où je suis avec Nala, et enfin, la dernière, capturée lors de mon voyage en solo.
Il ne m’a pas fallu plus de quelques secondes pour voir le nombre de mes likes augmenter de manière exponentielle. Je suis une femme, et plutôt jolie de surcroît. Il n’y a rien de surprenant à ce que ce genre de profil soit liké aussi rapidement.
J’ai passé plusieurs minutes à swiper à gauche des profils d’hommes que je trouvais, ma foi, assez repoussants. Il faut dire que sur l’application, les beaux prétendants sont plutôt rares, ou alors ils cachent quelque chose de plus sombre.
Je viens de matcher avec deux personnes. Le premier s’appelle Robin, ou quelque chose du genre. À vrai dire, je ne me souviens pas trop de notre discussion, qui était tout bonnement insipide : « Salut, ça va ? Tu fais quoi dans la vie ? ». Rien de tout cela ne me donnait envie d’aller plus loin.
Et puis, il y a Vincent. Sur sa photo principale, il semble être un garçon charmant. Un beau brun aux yeux marrons et au visage anguleux. Tout ce que j’aime. L’échange a été plutôt direct et a duré toute la matinée.
En début d’après-midi, il me passe son Whatsapp pour que nous puissions continuer à converser. Commence alors un dialogue teinté d’humour, suivi d’un message vocal, en espérant qu’il fasse de même pour que je découvre sa voix. Prenant une tonalité très aiguë, il me fait éclater de rire instantanément. Nous avons continué toute l’après-midi, tantôt par vocaux, tantôt à l’écrit. J’avais l’impression de le connaître depuis toujours, sa malice me séduisait. C’était un bon point. Une connexion fluide qui me mettait en confiance.
Je lui ai dit que j’écrivais un livre, et c’est dingue parce que lui aussi. Encore un point commun qui nous rapproche.
17 avril :
Je me réveille pour aller au travail, et mon premier réflexe est de prendre mon téléphone pour envoyer un message à Vincent. Je le connais à peine, mais j’ai déjà un grand intérêt pour lui.
La journée est très chargée. J’enchaîne les missions, les tâches administratives et les visites avec des prospects. J’espère qu’elle se terminera vite.
Vincent vient de me proposer de venir chez lui ce soir, après le travail. Honnêtement, je ne suis pas très à l’aise à l’idée de me rendre directement chez lui. Nous ne nous parlons que depuis hier, et l’idée d’aller dans un endroit inconnu m’angoisse un peu. Je lui en fais part, et il est très compréhensif. Cependant, je lui suggère d’aller boire un verre en ville, mais il ne semble pas vraiment emballé. Tout compte fait, une alternative se dessine : on se rejoint dans son village, mais on ne rentrera pas chez lui. Il me préparera du thé, et nous irons nous poser dans un square à proximité. Une petite paranoïa m’envahit, et je me dis qu’il pourrait discrètement mettre quelque chose dans mon verre. J’ai déjà eu des expériences par le passé qui me font redouter les hommes. Pourtant, malgré la peur, j’ai quand même envie d’y aller.
Il est dix-huit heures, et je prends ma voiture pour me rendre chez Vincent. Je suis au téléphone avec Annelise. Avant notre appel, je lui ai envoyé tout ce qui pourrait me permettre de me sentir safe : son nom, son adresse, son numéro et une photo de lui. Je lui précise que si je ne lui envoie pas de message avant ving-deux heures, elle devra appeler la police pour qu’ils puissent me retrouver. Est-ce que je suis folle de prendre autant de précautions pour un simple rendez-vous ? Peut-être, mais peu importe, j’ai besoin de me sentir en sécurité.
En arrivant sur le parking où Vincent m’attend déjà, je suis encore en ligne avec mon amie. C’est à ce moment-là que j’essaie de me garer, un créneau délicat, tout en tenant mon téléphone et en tâchant d’ouvrir la fenêtre d’une main. Au milieu de l’exercice, j’entends mon prétendant me faire remarquer que je suis mal garée. Sur un ton un peu exaspéré, je lui réponds, et ce fut la première phrase qu’il m’entendit prononcer : « Je peux pas tout faire en même temps, Ok ? ». Il faut dire que j’étais assez stressée. Je m’excuserai plus tard… ou pas.
Je finis par me garer correctement après avoir raccroché avec Annelise. Je sors de la voiture. Il est plus grand que moi, ce qui me plaît. Nous nous faisons la bise. Il sent bon. J’aime beaucoup son parfum.
Nous marchons côte à côte jusqu’à ce que nous arrivions devant une porte qui semblait être celle de chez lui. Plutôt méfiante, je n’entre pas. Je peux apercevoir l’intérieur du rez-de-chaussée, sa cuisine. La bouilloire est déjà prête, il sort deux tasses du placard et me propose un sachet de tisane. Je m’avance pour prendre la mienne, puis je ressors immédiatement. Nous partons en direction du petit square qu’il m’a promis. C’est une placette tranquille avec deux bancs à l’ombre de platanes. Nous nous installons sur l’un d’eux. Je me sens un peu intimidée, mais il parle beaucoup, ce qui m’arrange. La conversation se tourne rapidement vers son livre Evolve or Die, dans lequel il raconte l’histoire de sa vie. Il me parle de sa sœur, décédée quand il était petit. Ce récit me renvoie inévitablement à la tragédie que ma mère a vécue lorsqu’elle a perdu son frère. Son histoire me touche profondément, il a l’air d’un garçon qui a souffert, et cela résonne en moi, d’une manière que je ne peux ignorer. Dès que l’occasion se présente, je rebondis avec mes propres anecdotes et expériences. Je lui parle du roman que j’écris, de mes souvenirs d’enfant, dont la chronologie me paraît floue.
Nous restons un moment à discuter, avant qu’il me propose d’aller prendre une pizza juste à côté. En règle générale, j’aurais refusé, mais ce soir, je ne sais pas, je me laisse tenter. Il est dix-neuf heures quand nous entrons dans le restaurant pour commander. Je remarque qu’il a l’air tendu, sans vraiment comprendre pourquoi. Lui poser la question me paraît un peu déplacé, alors je me contente de laisser passer. Cette fois, deux options s’offrent à moi : soit on mange sur le banc du square où nous étions, soit on va chez lui. Il fait froid, et rester dehors dans ces conditions me semble insensé.
C’est ainsi que je découvre son premier étage, le salon. Pendant notre échange de l’après-midi, il avait insisté pour que je vienne, affirmant : « Tu comprendras mieux ma personnalité en voyant mon appartement ». Et effectivement, c’est le cas. Son logement est ultra propre, et sa déco épurée. Rien ne traine, tout semble minutieusement organisé. Il a une bibliothèque remplie de livres aux reliures anciennes. Très vite, je remarque une lance accrochée au mur et un arc posé dans un coin de la pièce. Je dois avouer que j’étais un peu dubitative quant à la personnalité de mon hôte. Cela m’a fait immédiatement penser à Lilian, ce mec qui avait des armes factices suspendues partout dans son appart, ainsi que des posters de femmes dénudées. Il avait aussi cette passion pour la bière. Mais bon, il ne faut pas mettre tout le monde dans le même panier.
Je n’ai pas fait attention à tous les détails et j’ai dû passer à côté de pas mal de choses. Ce qui m’a le plus interpellée, c’est sa lampe, qui ressemble à une lanterne marocaine. Une écriture en arabe est fixée au mur, mais je n’ai pas cherché à comprendre. C’était peut-être simplement une décoration ou un souvenir de voyage. Ce n’est que pendant le repas que j’ai vraiment saisi. Lorsque je lui ai proposé une part de ma pizza, il la refusa poliment. Alors, je lui ai demandé, amusée : « Ah, c’est parce que tu ne manges pas de porc ? ». Et là, quelle ne fut pas ma surprise lorsqu’il acquiesça. Honnêtement, ça ne me dérange pas spécialement, mais c’est juste que rien, dans son comportement ou son apparence, ne m’avait laissé supposer qu’il pouvait être de confession musulmane. Enfin, il s’appelle Vincent et a grandi entre Solliès et Escalès-en-Provence ! Immédiatement, plusieurs interrogations me sont venues, notamment celle-ci : est-ce que cette divergence d’opinion religieuse pourrait être un frein à une potentielle relation ? Oui, parce qu’il m’arrive déjà d’imaginer que nous pourrions être ensemble. Je sais que cette pensée peut sembler précipitée, mais je me sens bien quand je suis avec lui. Il sait m’apaiser, et j’ai la sensation qu’on se connaît depuis toujours.
Après avoir dîné, il m’invita à sortir marcher. Il se dévoilait à moi sans trop en dire, comme pour garder une part de mystère. Nos pas nous menèrent près d’un paddock. J’étais si heureuse de voir des chevaux, rien ne pouvait me faire plus plaisir. Mais ça, il ne le savait pas encore. On se regarda un moment, et il me proposa de m’embrasser. Je ne m’y attendais pas. Je crois que j’ai besoin de temps. J’ai envie de faire les choses bien et je ne veux pas me précipiter. Alors, je refusai gentiment. Le lieu était pourtant parfait, mais j’avais besoin qu’il patiente encore un peu.
Sur le chemin qui nous séparait de la maison, il me suggéra de prendre la voiture pour nous rendre dans un endroit sympa. J’acceptai. Voir comment il se comporte au volant peut en dire long sur sa personnalité. Je m’installai côté passager. L’intérieur était propre, un autre point positif. Sa conduite était assez sportive, mais il restait néanmoins prudent. Je crois que j’aimais bien cette place de copilote.
La balade se poursuit en lisière de forêt. Ça ne me fait pas spécialement peur, mais sur un ton léger, je lui demande s’il a l’intention de me faire du mal une fois arrivés. On se lance des regards complices et on rit beaucoup ensemble. Je crois que je l’aime bien.
L’endroit offre une vue imprenable sur le village, illuminé par les réverbères, tandis que la lune veille sur nous. Dans ce décor presque féerique, il s’approche à nouveau de moi pour m’embrasser. Ses lèvres se posent doucement sur les miennes. Wow.
De retour sur son canapé, nous avons discuté pendant des heures. Quand j’ai enfin regardé l’heure, il était déjà 22 h 30. En prenant mon téléphone, j’ai appuyé par inadvertance sur l’appareil photo. La caméra frontale m’affiche en gros plan sur l’écran, et alors que je m’apprêtais à verrouiller l’appareil, Vincent me propose de prendre une photo ensemble. L’image est surexposée, le flash trop intense, nos yeux sont fermés, et la pose ne nous met pas vraiment en valeur. J’allais la supprimer, mais il me demande de la garder en souvenir de cette première soirée à deux. Le temps a filé si vite que j’ai oublié d’envoyer un message à Annelise pour lui dire que tout allait bien. À l’intérieur, il n’y a pas de signal, et le wifi est en panne. Nous voilà dehors, à faire le tour du village à la recherche d’un réseau. Heureusement qu’Ali n’a pas appelé les flics pour rien !
Il se faisait tard, et il me recommanda de passer la nuit ici. Je refuse. J’ai besoin de rentrer chez moi, et dormir avec lui pourrait précipiter les choses. Je n’ai pas envie qu’il pense que je suis une fille facile à obtenir. Il va devoir un peu ramer avant de m’avoir dans son lit, en tout cas, j’y tiens ! Je reprends la route pour Avignon. Il est déjà deux heures du matin, et je dois bosser demain.
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