L'extrème Conflagration
(rimes aléatoires, ne pas s’y fier)
C’est une lande inhabitée où plus rien de pousse. Un reg solitaire, sans fin et sans soif.
Αἰών foule cette plaine aride au hasard des vents. Il ne reconnaît rien de ce pays cent fois traversé. Lui qui a conduit la révolution terrienne, trame maintes fois répétée ; qui toujours, étonné, y trouvait quelques variations. Quelle maille grossièrement esquissée avait eue raison du maternel printemps ? Où sont donc passées les âmes guettant jadis son éternel retour ?
Sur cette sente silencieuse, sous le regard des étoiles songeuses, Αἰών s’effondre.
Le deuil tombe sur lui, mantel tissé de nuit. Inutile de chercher plus loin ; c’est ici que sa course prend fin. Ici que tantôt prospéraient les plus belles cités ; ici que chaque année, leurs habitants l’attendaient. Malgré le Déluge en torrents ; malgré l’Astre de plus en plus ardent. De ces lumières aux aguets, plus rien ne reste. Ce désert n’est plus abreuvé d’aucune averse.
Pas même la plus infime lacryme. Αἰών garde la sienne au fond de son œil accablé.
Dans sa détresse, il croit bientôt se souvenir. Cette désolation, ce monde disparu, serait le fruit de son ire. Déjà, à son dernier passage, il n’avait reçu aucun accueil. On le prenait pour un hère égaré, un esquif pris dans l’écueil. Désintéressés de son séjour, ils vaquaient à leurs préoccupations vaines et leurs passions inanes.
Ils pensaient ne plus rien devoir espérer de sa ponctualité, ne remarquaient plus de différences entre les saisons, les mois, les années. Et roule l’ouroboros d’airain rutilant autour de la terre jusque l’adirer.
Naguère, leurs aïeux pourtant l’adoraient. Ils le célébraient de coutumes et de libations, paraient leurs façades pour son retour, lui donnaient des fêtes et des oraisons. Alas, d’oublis en paresses empressées, de lui leurs enfants s’étaient détournés. Las de n’être contemplées, les fleurs, lentement, s’étaient fanées. L’amertume et le regret l’auraient aveuglé. De dépit, Αἰών aurait laissé le soleil brûler trop fort cette impiété. Le Déluge, ne s’émouvant plus de ces retrouvailles, finit par se tarir. Enfin la terre, sous le joug du feu, s’était laissée mourir.
Le dieu esseulé contemple son œuvre, cils secs, agenouillé. Nul remord ne l’étreint, sinon le regret.
Il n’espérait plus de considération, ni même la plus petite dilection. Tous ceux qui vivaient ici l’ont trahi, leur sort est mérité. Hybris et nonchalance ne méritaient nul autre conclusion. Mais à présent, le voilà seul, plus personne ne l’attend. Plus de témoins de sa course cosmique et du passage des saisons. Plus personne pour saluer sa ronde et proférer son nom.
Pourtant, Αἰών doit reprendre son périple.
C’est ainsi qu’il est né, c’est là sa raison de vivre. Et tant pis s’il n’est plus personne pour le suivre. Mais où donc aller ? Où trouver un peu de sollicitude ? Est-il un endroit où plus jamais il ne connaîtrait la solitude ? Quelques misères lointaines à qui donner du vin ? Il ne sait ; ce monde-ci est le seul qu’il ait fait sien.
Il mire l’éther.
C’est là qu’il siège, au sein de l’éternité. Là sera toujours sa place, quelque part dans cette voûte étoilée. Une place enviée des hommes et dont les astres sont seuls gardes.
Il pourrait s’en retourner vers ces nobles cieux, chercher quelque âme pour combler ses vœux. Tout à ce songe, il doute. Tant de tours et de détours autour de la même sphère ; il avait cru faire cela toujours, le même parcours, la même sente. Pouvait-il encore changer de direction ? Il se lève, interroge l’assemblée nitescente.
Ces compagnes stellaires délibèrent en silence. Lui reprocheraient-elles une certaine absence ?
Peut-être les a-t-il négligées pour s’éprendre d’ici-bas, cette ruine qui en lui avait perdu toute foi. Il veut les exhorter à l’indulgence, plaider sa cause et l’égarement. Des millénaires d’infidélité, cela ne se justifie point aisément.
Αἰών veut croire à sa bonne fortune. Il jure une adoration plus ardente que le feu qui consuma les cités coruscantes.
Cette tendresse passée, cependant, il ne peut tout à fait la renier. Ce serait mensonge, ou pire : hypocrisie, et les étoiles ne peuvent être dupées. L’honte le rattrape, l’oblige aux aveux. Il aimait ces petits êtres malingres et voulait être aimé d’eux. Il sait, à présent, qu’il ne faut se fier à pareilles créatures. Au culte céleste il veut dédier sa course future. Le seul cycle des galaxies sera sa nouvelle aventure.
Et de Conflagrations solaires en Déluges nébuleux, il serait à jamais leur plus sincère amoureux.
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