Solo scriptura

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C’était l’époque où je lisais la Bible et où j’avais décidé de devenir protestant. J’écrivais avec des feutres à micromine, dans des carnets minuscules, des inscriptions microscopiques traitant des Écritures, d’un jeune homme lisant la Bible et qui se décide à devenir protestant. Des narrations microscopiques, très courtes. Presque des haïkus. J’écrivais tard le soir. La nuit savait me porter conseil. Je me couchais plein de confiance. Je rêvai une nuit de l’achat d’une poire et de trois barquettes de surgelés (1 poire, 3 barquettes = circulation de la trinité, mystère de l’1 dans le 3). Une autre nuit je rêvai d’un déménagement dans une maison près d’entrepôts d’électroménager en zone semi-rurale, où seul un large triangle de champs et de chemins carrossables coincé entre deux tronçons d’autoroute et une route nationale me séparait d’une petite ville principalement constituée de lotissements. Était-ce un cauchemar ? Quel sens lui donner eu égard à ma quête de Dieu ? Je trouvais vite des solutions. Zone, triangle, électroménager, autoroute, champs, tout résonnait, resplendissait d’une lumière qu’on peut qualifier d’évangélique. Le découragement n’entravait pas ma spiritualité. La lecture des Textes, même prolongée, ne fatiguait pas mes yeux. J’écrivais et la véritable Concentration (que d’autres appellent Esprit ou Souffle saint) passait dans l’encre à pigments du micromine. L’hiver s’installait en ville. Je me rendais à des fêtes pour mettre à l’épreuve mes convictions. On y trouvait une foule de jeunes gens très bien habillés, avec un brin de négligé parfaitement calculé. La moitié au moins étaient graphistes. Le reste se composait d’artistes, de professionnels de l’évènementiel. La foule gravitait de pièce en pièce, comme un unique organisme aux multiples individualités reliées entre elles : on avait déjà vu quelque chose de semblable parmi les créatures des abysses. Je me retenais de parler de Calvin, de Luther, de Zwingli, du précepte latin de sola scriptura premier des cinq piliers de la foi luthérienne et que l’on traduit habituellement par l’expression “l’Écriture seule”. J’attrapais les verres de gin qui flottaient à hauteur des lambris. Je les reniflais, les faisais tourner sous mon visage, sans jamais y tremper les lèvres, comme un exercice d’ascèse, avant de les vider dans les pots de plantes grasses du salon. À l’aube je repartais sans avoir bu ni fumé, en pleine forme et souriant dans une rame du premier métro. Chez moi je m’endormais dans mon fauteuil jaune canari, les yeux à demi-ouverts sur la table basse. Au réveil, le feutre à micromine est à portée de main. J’écrivais des réflexions, et une histoire, toujours la même : un garçon que les Écritures obsèdent se plonge dans l’écriture du récit d’un garçon qui rêve d’entrepôts d'électroménager, de surgelés, de maisons perdues, qui traverse des fêtes comme un fantôme frôlerait un banquet de vivants. Quel était le sens de tout cela ? Le garçon du récit se demande si le texte plane d’un vol plus ample que la signification de son contenu pareil à un oiseau de nuit mû par un autre destin que la recherche de nourriture et dont les ailes se devancent elles-mêmes. J’écrivais au feutre micromine. L’encre à pigments inondait le monde.

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