La potion de Noël (conte)

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Il était une fois, au cœur des îles des Shetlands du Sud, au nord du cercle polaire Antarctique, une immense ville de glace où se retrouvaient, comme chaque année, des couples de manchots impériaux, à partir du mois d'avril. Ils avaient passé tout l'été austral à se nourrir de poissons, de crustacés et de calamars.

Il fallait voir la procession sur la banquise de ces étranges oiseaux, comme habillés en queue-de-pie. Ils marchaient sur deux pattes en se dandinant ou se laissaient glisser sur le ventre, leurs ailes ouvertes pour maintenir l’équilibre.

Certains pouvaient atteindre plus d'un mètre et vingt centimètres pour un poids moyen de quarante kilos. Depuis des millénaires, ces animaux répondaient au cycle de la vie et de la nécessaire reproduction pour pérenniser leur espèce.

*

Petitpou vint au monde au mois d'août sur la banquise, en plein hiver austral, comme bon nombre de ses cousins. Il sut très vite qu'il appartenait à la famille des manchots impériaux. Il naquit cependant avec quinze jours de retard et il eut un mal fou à quitter la protection de ses parents pour gagner en autonomie.

Dès avant sa naissance, Papapou et Mamanpou se relayèrent sans cesse, pendant des jours et des nuits pour que sa coquille ne touchât la glace. Mais peut-être que Petitpou avait hésité à venir au monde. Depuis lors, il faisait l'objet de toutes les attentions. Il devait compenser son retard. Ses parents y veillaient à tour de rôle pour qu'il puisse manger et s’épanouir.

À mesure qu'il grandissait, au milieu de cette blancheur immaculée, où les températures pouvaient descendre sous les moins 40°C, il prit un joli duvet. Mamanpou lui confectionna une sorte de petit pull grisé avec de la bave dont il se montra très fier.

Très vite, il gagna en assurance et malgré sa petite taille, il passa beaucoup de temps avec ses congénères. Il se fit plein de copains dont LittleBigpou et Molossepou. Et des copines aussi, avec Pineuppou et Plumplumpou. Ils s’organisaient entre eux des trucs très drôles, des glissades, des battements d'ailes, des cris, des chants. Mais dès que sa mère l'appelait, il reconnaissait immédiatement sa voix au milieu du brouhaha permanent et il rentrait aussitôt.

Pour autant, Mamanpou et Papapou s'inquiétaient toujours de sa faible croissance. Malgré tous leurs efforts, il ne grandissait pas assez vite. À ce rythme, il ne pourrait pas suivre la prochaine migration et il leur faudrait l'abandonner à son sort.

Il devait tenter quelque chose.

Papapou se décida à rendre visite à la doyenne de la Cité de glace, Félinedrapou. On lui prêtait de grands pouvoirs. Il faut avouer qu'elle était très âgée. Elle avait un mari, le renommé Magmapou. Ce dernier se faisait lui aussi vieux, et peut-être davantage encore. Sa vue baissait et ses rhumatismes limitaient ses déplacements. Mais chez les manchots impériaux, à l'instinct grégaire fort développé, le collectif s'avérait le plus important. Il en allait de la survie de l'espèce.

— Que me veux-tu, Papapou ? lui dit-elle d'une voix fatiguée, lorsqu'il se présenta à Félinedrapou, avec une certaine déférence.

— Merci bien chère mère de me recevoir. Je viens trop peu te voir. J'en ai conscience. Mais nous avons fort à faire, depuis la naissance de notre Petitpou.

— Je suis au courant, mon fils. Mais de temps à autre, tu pourrais passer me voir, m'apporter quelques crustacés. Tu sais combien il est important pour moi et ton père de garder notre rang.

— Je ne le sais que trop, mère. Je dois cependant vous faire part de mon inquiétude. Notre enfant a pris du retard depuis sa naissance tardive.

— Ce sont des choses qui arrivent. J'en ai peur.

— Si nous ne trouvons pas de solution pour accélérer sa croissance, il finira par mourir. Nos ennemis sont fort nombreux. Comme tu le sais, la banquise se réduit de plus en plus.

— Écoute mon fils ! Tu dois te rendre sans délais sur l'ile de la Demi-Lune (Half Moon). Sur ses rives, sévit une variété de calamars qui secrète une protéine qui nous est très profitable car elle nous permet de favoriser notre croissance. Bien sûr, il faut en consommer avec modération. Mais tu peux constater que tes parents en ont tiré avantage, vu notre âge avancé.

— Difficile de dire le contraire, très chère mère.

— Pour aider notre petit-fils, je dois donc réaliser la Potion de Noël.

— De Noël, dites-vous ?

— Noël est un vieux calamar géant que j'ai connu plus jeune. N'en dis rien à ton père. Bien qu'il soit un peu dur de l'ouïe. S'il venait à l'apprendre, il me ferait un infarctus, dans un ultime excès de jalousie. Et j'ai bien assez de soucis comme cela avec notre colonie.

— Je garderai mon bec jaune scellé, dit-il en agitant ses ailes.

— Bien. Tu devras donc le rencontrer.

— Qui ?

— Noël, bien sûr !

— Désolé, j’ai quelque difficulté à vous suivre. Mais il va m'écarteler et me dissoudre en un rien de temps !

— Enfile cet os de seiche autour de ton cou. Il te servira de sauf-conduit.

Papapou avala sa salive et essaya de reprendre contenance.

— Tu vas emporter cette bave en gelée pour ton voyage. Elle te permettra non seulement d'avoir assez d'énergie pour ton périple mais aussi de tromper tes poursuivants.

— Je te remercie pour ce geste.

— Je préserve juste ma lignée. Rassure-toi. Je garderai aussi un œil sur Mamanpou. Dis-lui qu'elle passe me voir avec notre petit-fils.

— Je lui dirai.

— Sois prudent mon fils ! Dans ces eaux et ces glaces dangereuses, méfie-toi de Léo, la léoparde des mers, une vicieuse. Prends garde à la bande d'Orqua. Ses orques sont rusés et d’excellents chasseurs. Et sur les plages, fuit sans te retourner le grand Pétrel.

— Je suis un excellent nageur, je cours vite. Et je ne manque pas de talent pour tromper nos prédateurs.

— Alors qu'attends-tu ?

— Merci mère. Je pars sur le champ.

*

Papapou fit preuve de courage, d'abnégation et se révéla plein de ressources. Sur l'ile de la Demi-Lune, dans des eaux peu profondes, il put récupérer la protéine auprès du calamar Noël. Ce dernier lui indiqua de cueillir des algues en bordure de l'ile de la Neige (Snow). Il dut ensuite se gaver de crustacés sur l'île de l'Éléphant (Elephant), les fameux krills.

Il rentra fourbu au bout de deux semaines.

Il avait fière allure, semblait aminci mais plus athlétique. Cependant il était épuisé. La doyenne lui offrit sans délais une gelée à haute valeur calorique pour lui permettre de récupérer.

Dans l'intervalle, Petitpou avait à peine grandi.

Mamanpou se désespérait de cette situation pour laquelle elle se sentait impuissante. Sans tarder, Félinedrapou réalisa la fameuse potion. Elle ingéra tous les ingrédients qu'elle conserva toute une nuit dans son estomac.

Au matin suivant, Mamanpou et Petitpou se présentèrent devant la doyenne. Magmapou assistait à cette séance très particulière. La vieille manchot régurgita le précieux mélange et gava le petit qui faillit s'étouffer sous le flot acide de la mixture.

Après une journée difficile et une nuit agitée, Petitpou se mit à changer et sa croissance s'accéléra. Très vite, il perdit son duvet gris et prit l'apparence impériale de sa lignée, parée de blanc, de noir et d'or couleur de miel.

On dit de lui qu'il serait devenu un magnifique empereur, là-bas, en bordure de la Mer de Weddell.

*

Le conte de la Potion de Noël fait partie des nombreuses histoires et légendes que l'on raconte dans ces terres glacées très hostiles et qui pourtant hébergent une grande diversité animale. Ils permettent de mieux comprendre les comportements et les enjeux dans cette région du monde encore à l’abri des activités industrielles des humains.

On a retrouvé des écrits très anciens en Amérique du sud dans le port d'Ushuaïa qui relatent des récits plutôt édifiants. Même des biologistes et des glaciologues, qui mènent des études dans cette région, contribuent à la connaissance et à la préservation de cet écosystème.

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Contraintes spécifiques de l’atelier

Max 10.000 signes – 5 heures - Conte

Un petit poussin de Manchot impérial (illustration d’une carte de vœu).

Une potion de Noël.

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