3. Le feu d'adieu

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Il se tenait là, debout face à l’hôtel. Le corps sans vie de sa grand-mère y était allongé, recouvert par un drap clair. La pièce était silencieuse, il s’y trouvait seul. Sa famille ne tarderait pas à entrer, il profitait du calme du lieu. Sa respiration était posée, mais souffler l’air de ses poumons était douloureux, ils se compressaient durement.

Ses mains étaient rétractées contre son buste, il tenait avec force sa sacoche contre lui. Son visage était fermé, bien que les larmes eussent cessé de tomber, des sillons humides s’étaient formés sur ses joues. Le contour de ses yeux était gonflé, ses iris ambrés ne quittaient pas la silhouette inerte face à lui. Il sentait un poids peser sur son corps, ses jambes étaient prêtes à céder, pourtant il restait debout.

Une porte s’ouvrit dans son dos, la lumière de l’extérieur envahissait la pièce, elle qui était plongée dans une obscurité apaisante. La flamme des bougies fut balayée par le courant d’air.

Des pas résonnaient jusqu’à ses oreilles, s’arrêtant proche de lui. Du coin de l’œil, il distingua le prêtre. Ce dernier s’approcha de l’hôtel, se retourna vers le jeune homme, lui offrant un sourire qui se voulait bienveillant.

Une main se posa sur son épaule, le faisant se retourner. Sa mère le prit dans ses bras, le serrant de toutes ses forces, tandis que des sanglots lui échappaient, faisant tressaillir son buste.

Il sentit de nouveau les larmes glisser en ligne sur sa peau, sa respiration s’accéléra, il ne pouvait plus le cacher. Sa bouche laissa échapper ses cris de désespoir, ce qui brisait le cœur de ses proches face à sa voix cassée. Le prêtre assista à leurs deuils en silence, choisissant de sortir de la pièce afin de les laisser en paix.

Plusieurs heures s’écoulèrent ainsi, jusqu’à ce que la famille quitte les lieux. La fille d’Ama parla avec Kadir au sujet de la cérémonie. Onyx parti devant, il ne souhaitait pas rester dans le khanqah plus longtemps, sa gorge l’irritait et le gênait. Il rentra dans la demeure familiale en compagnie des plus jeunes, les anciens se recueillaient dans l’Haram. Il monta dans sa chambre, le félin le suivait de près, trottinant à ses pieds.

Il referma la porte de la pièce, et s’assit sous sa fenêtre. Il se recroquevillait, plongeant sa tête dans le creux de ses bras. Il n’avait plus la force de pleurer, ses joues étaient sèches et ses yeux irrités. Sa tête lui faisait mal, il ferma les yeux, essayant de se calmer.

Sarshall le regarda au centre de la pièce, assise sur ses antérieurs, ses iris opalines étaient fixés sur la silhouette sursautant du garçon. Il miaula un instant pour tenter d’attirer son attention, en vain. Il se redressa sur ses pattes, trottina jusqu’à Onyx, se frotta à ses jambes en ronronnant.

Le jeune homme releva la tête et regarda son chat. Il le prit dans ses bras, le serrant contre sa poitrine en enfouissant son visage dans le pelage sablonneux du félin. Sarshall se laissait faire, et ronronna de plus belle, dans l’espoir de rassurer le garçon.

Il resta ainsi de longues secondes, minutes, heures. Il n’avait plus la notion du temps, seulement celle du mal qui le rongeait. La lumière de l’extérieur déclinait au fur et à mesure, la remplaçant par la noirceur de la nuit. La fatigue le gagna, ses larmes s’atténuaient tandis que ses tremblements se calmaient. Il se coucha sur le sol, l’animal trouva refuge contre le creux de son ventre.

Il ferma les yeux, bercer par les chants de prières du khanqah qui résonnait dans la ville et se perdit dans l’étendue interminable du désert. Le jeune homme s’assoupit entièrement, ses muscles se détendent, son esprit rejoignait le monde des songes.

Ama, c’est comment après la mort ?

Onyx était jeune lorsqu’il lui avait posé cette question. Étrangement, pour un enfant de son âge, le futur ne l’effrayait pas. Sa grand-mère l’avait regardé calmement tout en réfléchissant à ses mots.

Lorsque l’on meurt, nos cendres rejoignent le ciel, auprès des déesses.

Alors je te rejoindrais ?

Lorsque ton temps sera venu, oui. Mais tu es encore trop jeune pour que tes cendres rejoignent les déesses.

Mais je veux être avec toi.

Sa voix se fit plus basse. Pour la première fois, il semblait effrayé par le futur, ou plutôt, par l’éventualité d’une vie sans sa grand-mère.

Quoi qu’il arrive, je serais toujours à tes côtés Onyx.

Elle le prit dans ses bras pour le poser sur ses jambes, et caressa ses mains en portant son regard sur la ville.

Chacun d’entre nous possède une part de magie, enfoui dans son corps.

Elle posa sa main sur sa poitrine, puis sur celle de son petit-fils. Il l’imita en posant sa propre main contre son buste, et fut surpris de ressentir les battements de son cœur.

Lorsque nous mourons, nos cendres rejoignent le ciel, mais une part de nous reste ici-bas.

Comment ?

Notre esprit se réincarne en un élément vivant. C’est ce que ces lignes représentent.

Elle désigna les lignes bleutées sur sa peau. De sa curiosité enfantine, Onyx toucha ces lignes. Il regarda ses avant-bras, mais fut déçu de ne pas posséder ces tracés.

Je resterais toujours à tes côtés, sans que tu n’en t’en rendes compte.

Elle le serra contre elle, et vint embrassa son front, faisant sourire le garçon.

Mais tu dois toujours te rappeler ceci : tu es l’être le plus important dans ce monde.

Comme toi !

Non Onyx.

L’enfant ne comprenait pas les paroles de son aînée. Mais elle ne lui expliqua pas ses dires.

Souviens-toi toujours de ceci, tu es voué à de grandes choses.

Il ferma les yeux, bercé par les chants du khanqah qui résonnèrent jusqu’à eux.

Je serais toujours là pour veiller sur toi Onyx, toujours…

Le réveil fut dur, ses yeux s’ouvraient difficilement. Les rayons du jour traversaient sa fenêtre, Sarshall se trouvait toujours en boule contre son ventre. Il bougea légèrement ses jambes et vint caresser le félin. Il se redressa après quelques secondes et regarda la pièce de ses yeux vides.

D’en bas, il entendit la voix de sa mère qui l’appelait. Il ne souhaitait pas sortir de sa chambre, il ne voulait voir personne. Mais il savait comment vont prendre la tournure des évènements. Après un décès, le corps était rapidement amené dans le désert, et brûlé afin que le défunt rejoigne les déesses.

Il se leva péniblement, il tituba par son manque d’énergie et de motivation. Le chat le suivit de près et se frotta à ses jambes. Un fin sourire se forma sur la commissure de ses lèvres, avant qu’il ne sorte de sa chambre. D’en haut des escaliers, il remarqua les membres de sa famille, attablés dans la cour intérieure.

Sa mère le remarqua, et lui sourit tristement. Elle l’incita à les rejoindre pour le repas. Mais le cœur n’y est pas, comme l’appétit. Il descendit néanmoins au rez de chaussé, dans un silence pesant.

Sa mère vint embrasser son front, puis le guida vers une pièce habituellement fermée. Il y trouva de nombreuses piles de vêtements et d’accessoire. La matriarche entra à son tour et le dépassa, venant saisir un ensemble pour le tendre à son fils.

Il comprit aisément qu’il s’agissait de sa tenue de cérémonie. Son regard se leva vers le visage de la femme, avant de se baisser vers les tissus qu’il avait en main. Il soupira, quitta la pièce pour retourner dans sa chambre.

Il se changea lentement, et enfila une djellaba albâtre aux coutures ocre. Il n’attacha pas ses cheveux, les couvrant d’un chèche au même teint que sa tenue. Un souffle passa la barrière de ses lèvres. Il sortit de la pièce, entendant les voix des anciens s’élevaient dans la cour. La famille était réunie, vêtue de tenue traditionnelle pour la cérémonie.

Dans la rue, un attelage était arrêté devant leur maison. La voiture était tirée par deux Meocs, des créatures aux caractéristiques identiques aux équidés, munis de huit pattes. Leur robe orangée évoquait les flammes d’Erebun, enfermé dans les confins du désert. Le corps d’Ama reposait dans un lit de draps ocre, décoré par d’innombrables variétés de fleurs désertiques.

La famille se plaça autour de la voiture, le prêtre et les mystiques du khanqah se trouvaient en tête du chargement. Un tintement aigu retentit dans l’air, Kadir agita un instrument sacré devant lui, commençant ainsi les chants sacrés.

Le cortège traversait calmement la ville, les habitants se retrouvaient sur leurs porches, à leurs fenêtres, sur les terrasses. Ils joignaient leurs mains proches de leurs cœurs, priant respectueusement. Les voix s’élevaient vers le ciel, les larmes surgissaient sur certains visages, d’autres essayaient de rester forts.

Le groupe quitta la ville pour s’arrêter non loin des remparts. Là, dans le désert, se trouvait une structure de billot. Un carré formé de bille de bois, le contour était décoré de fleurs et de tissu. La voiture s’arrêta proche de la structure, les mystiques venaient prendre le corps de la vieille femme. D’un pas lent, en continuant de chanter, ils l’amenaient à cet agencement, et l’y glissaient à l’intérieur.

Kadir s’approcha à son tour, n’ayant jamais cessé ses prières. Il déposa une pierre et une fleur sur le buste de la défunte, puis se recula. La famille se tenait rassemblée autour de la structure, main dans la main, ils fermaient les yeux. Un chant uni sortit de leurs bouches. Des paroles sacrées appartenant à leur peuple.

Le prêtre prit une torche présente sur l’attelage, et l’alluma. La flamme d’une orange sanguine s’affola au grès du vent, l’homme qui la portait se méfia de sa fourberie. Il s’approcha de la structure, se pencha, et laissa les flammes embrasser le bois sec. Elles se faufilaient tels des serpents.

L’agencement s’embrasa lentement. Le corps d’Ama disparut petit à petit. Onyx observe ce spectacle qui lui était offert, sa vue s’embrouilla lorsque les flammes changèrent de couleur pour un bleu cæruleum.

La fleur qu’avait offerte Kadir à sa grand-mère était vieille d’une décennie, conservée dans les sous-sols du khanqah. C’était au prêtre de choisir la fleur qui correspondait à l’offrande de passage pour rejoindre les déesses.

Pour le jeune homme, Kadir avait choisi la fleur parfaite, qui convenait à sa grand-mère. Il regarda les membres de sa famille, certains avaient quitté le cercle. Il n’avait pas envie de rentrer chez lui, pas encore.

Il s’assit à terre, croisa ses jambes et retira son chèche. Il permit au vent de venir jouer avec les mèches de sa chevelure noisette. Il ne fut pas étonné de voir Sarshall s’installer entre ses jambes, ce dernier ayant surement dû le suivre depuis la maison. Il ne lui en voulut pas. Au contraire, il était heureux de l’avoir toujours à ses côtés.

Il resta ainsi durant de longues heures, son regard se perdit dans ce feu bleuté, quelques cendres volaient jusqu’à lui, mais jamais ne l’atteignaient. La foule se fit de moins en moins présente, jusqu’à ce qu’il se retrouve seul. Les gardes de la cité n’étaient pas loin, à dos de Meocs, ils surveillaient le garçon, et veillaient à sa sécurité.

Onyx était pensif, se perdant dans ses souvenirs. Les dernières flammes s’élevaient vers ce ciel nocturne, rejoignant les nombreuses étoiles qui parsemaient cette toile d’un céruléen sombre.

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