Cendres

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Ma petite Plume, tu es celle qui pourfendra l'Aube. D'un battement d'ailes, tu déroberas les couleurs rosées du ciel. L'heure du Crépuscule tu sonneras, alors la Clé tu deviendras. Va, mon délicat oisillon, chante, chante, sifflote, sifflote, conte nous la légende interdite. D'un battement d'ailes, caresse-nous de rêves duveteux. De ta voix étouffée, libère les mots emprisonnés.

Prophétie du Petit Oiseau, Oratrice inconnue, temps du Tournesol.

Un soleil de plomb embrassa de sa chaleur poisseuse les rues ensanglantées de la cité. L’atmosphère exhalait un parfum funeste, un mélange de chair brûlée et de braises mortes. Un souffle ardent s’éleva, et cingla le visage du soldat au moment où ce dernier tranchait la nuque d’une chevaleresse. Un coup sec, rapide. Sa tête roula par terre, symbole de la fin d’une bataille.

La cité avait été ravagée. Désormais, tout n'était que ruines et cendres. Une odeur pestilentielle prenait au nez des bourreaux mandatés, qui retenaient tant bien que mal leur envie de vomir. En plus d’entasser les cadavres les uns sur les autres dans les charrettes, ils étaient à la recherche des trésors de la cité de Plume. Ils enfonçaient les portes et retournaient les maisons, afin de s’approprier leurs arcanes. Il pouvait insuffler la vie aux contes, disait-on. Mais comment faisaient-ils ? C’était ce secret-là qui était tant convoité. Le Dignitaire du Continent voulait en faire des armes, retourner contre la cité volante ses propres armes afin d’assouvir sa soif de pouvoir. Il voulait s’approprier la cité de Plume, lui voler ses rêves et sa sagesse.
La Cathédrale et ses gargouilles, cette reine vénérée par les nuages, était entièrement détruite. Il fallait qu’Elle soit anéantie, tel était l’ordre du Dignitaire.

Jadis, c’était une cité reconnue pour ses mille-et-une légendes. Elle flottait au-dessus du continent, sereine. Comme une hirondelle lors du temps du Muguet. Toutefois, elle devait retourner à l’état de poussière, pour le bon vouloir du commanditaire.
« Il ne reste plus qu’à exécuter les derniers Orateurs, mon capitaine » lança un des chefs de bataillon. L'intéressé fit un signe à quelques soldats, tout en désignant les survivants. Les survivants restants étaient attachés à des piloris. Tous psalmodiaient, récitant le chant du Dieu Rossignol, gardien des mots. Ils semblaient tous prêts à accepter leur mort. A travers leurs mots, leur prière prit vie, et un petit rossignol se matérialisa.

Sur la vieille branche, le Rossignolet joli veille,

Ses plumes boivent la lumière,

Son chant trouble et fend l’air.

Dès que les fleurs se fanent,

Il cueille ce dernier souffle mélomane.

Pourtant, une jeune femme gardait la tête droite. Une lueur de défi brillait au fond de ses yeux. Certes elle s’était résignée à mourir, mais elle garderait son honneur en tant qu’Oratrice.

« Vous aurez beau anéantir notre cité, un jour, vous goûterez à la saveur de notre vengeance, et alors vous connaîtrez notre souffrance. Vos larmes auront le goût des cendres et de la flétrissure ! » éructa la jeune femme, en plantant ses yeux d’acier dans le regard de son bourreau qui levait haut sa hache pour trancher sa nuque.

Un à un, les Orateurs passèrent de vie à trépas. La jeune femme fut la dernière à y passer. Avant que ne sonne le glas, elle cracha aux pieds de son bourreau. C’était là son dernier acte de rébellion. Son enfant emmené au loin, la jeune mère pouvait partir en paix. Elle prit une dernière inspiration et se laissa enfin aller. La cité lâcha son ultime soupir, lors de ce qui aurait dû être une belle journée d’été. Une étuve estivale, où la chaleur écrasante rendait hommage au festin muet des vers.

Au même moment, Eliane fuyait sur le dos de son dragon à plumes, tout en serrant dans ses bras l’enfant qui lui avait été confié.
Quelque temps avant que le massacre ne commence, la jeune mère l’avait supplié d’emmener le petit oiseau le plus loin possible, auprès de son père. C’était le dernier espoir des Orateurs, et il fallait qu’elle soit en sécurité. Bientôt mère elle-aussi, la jeune femme avait parfaitement compris la détresse de son amie. Si vif et intense était son amour pour son enfant à venir qu’Éliane ne pouvait que comprendre ce besoin vital de protéger ce petit oiseau, suite à la demande de son amie. La chevaleresse avait été désignée pour être sa maîtroiselle, celle qui la chérirait comme une mère si cette dernière venait à disparaître. C’était pour elle sa plus grande fierté.
La petite Mésange semblait profondément endormie. Le battement des ailes du lyncornis semblait la bercer, les derniers rayons de soleil de cette chaude journée illuminant son visage. Alors que le maître de la lumière laissait place à la gardienne de la nuit, la température retombait petit à petit. L’air était bien plus frais, plus respirable. Le vent, qui se faisait dorénavant plus agréable, balayait peu à peu les sombres pensées de la chevaleresse. Elle se sentait si loin de tout, loin du cauchemar que vivait son peuple. Mais une partie d’elle était restée à Plume. Le regard perdu au loin, Eliane semblait figée, errante entre deux mondes : là où une partie souhaitait retourner dans sa cité, une autre complètement déboussolée, encore sous le choc de savoir que ce sont les dernières rescapées, elle et Mésange. Mais l’orage grondait au plus profond de son être. La nuit offrait sa plus belle parure étoilée. Elle avait tissé la voie lactée et l’offrait en spectacle à celleux qui le voulaient bien. Tout doucement, Mésange se réveilla.

– Oh te voilà enfin réveillée, ma petite. Là, tout doux, on est presque arrivé, ton père prendra bien soin de toi. » murmura la jeune femme. Elle vit au loin la Montagne Brumeuse, où, petit à petit, elle arrivait à distinguer une silhouette. Eliane comprit directement que c’était le père de Mésange, Obaldore. Tout doucement, le lyncornis se posa à la lisière de la forêt. Tout en se déposant, Eliane descendit doucement, le bébé dans ses bras.

– Eliane ! Enfin… Enfin te voilà ! J’ai eu si peur que tu ne puisses pas toi aussi t’en sortir ! lança Obaldore tout en courant vers la jeune femme.

– Oui… Oh, Obaldore, je suis soulagée et heureuse de te voir en vie, lui répondit-elle,

– Eliane… Tu me sembles étrangement calme.
Obaldore lâcha quelques larmes. Son cœur se fendit en deux, en imaginant la cité de sa Ayleen chérie, la mère de Mésange, détruite.

- La cité de Plume a été entièrement ravagée. Je jure que je le retrouverai, que je vengerai Ayleen, mon mari, je... hoqueta Eliane, les larmes aux yeux.
L’orage éclata enfin. La pluie de larmes survenait enfin. Le souvenir de son mari égorgé lui revint en mémoire. Ainsi, la réalité de ces derniers jours la rattrapa. Prise par une douleur violente à la poitrine, elle se laissa tomber sur les genoux. Sa silhouette était enveloppée d’une profonde colère, mêlée à de la rage et d’une profonde tristesse. Les images défilaient sous yeux. Éliane se martelait à plusieurs reprises le front, comme pour faire sortir ces horreurs de sa tête. Obaldore la prit dans ses bras et lui caressa le dos d’un geste tendre, profondément amical, mais cette dernière le repoussa violemment. De mère protectrice, Eliane était devenue une mère meurtrie.
Le jeune père se releva et alla chercher dans son sac une couverture afin de lui fournir un peu de chaleur.

Ma douce amie, sache que je te protégerai. Merci d’avoir emmené ma petite protégée, maintenant tu peux souffler, je suis là, avec toi, murmura le jeune homme.
Tout en resserrant le tissu contre elle, Éliane se releva et alla se blottir contre son lyncornis, qui, d’un regard comprit que sa maîtresse avait besoin de lui. Il releva une aile, et la déposa délicatement contre sa bien-aimée chevaleresse. Il ferma alors les yeux pour prendre lui aussi un temps de repos après des temps aussi difficiles.

Les babillements de l’enfant brisèrent le silence. Obaldore alla prendre son enfant qui était posé près du dragon dans ses bras avec une infime précaution, comme quand on cueille un tendre secret. Il la serra contre lui et déposa un délicat baiser sur le sommet du crâne de sa petite protégée. Il saisit alors sa corne et versa un peu de lait tiède qui était en train de chauffer sur le feu depuis qu’Eliane s’était endormie.

Tout en s’allongeant contre lui, l’enfant saisit avec la plus grande des douceurs le doigt de son père,et le serra dans sa toute petite main, minuscule mais tenace, à l’image d’une promesse silencieuse. Les deux yeux de l’enfant, deux perles grises, observaient intensément le visage du père. Ce dernier sourit, et resserra son étreinte contre lui.

De sa voix de velours, Obaldore se laissa aller à une petite berceuse improvisée, dans un murmure sous la lueur taciturne de la lune.

Dors, ma petite plume, papa est là

Dors, ma petite étoile, je veillerai sur toi

Le ciel est vaste, mais je te tiens,

Que l’on parte, que l’on fuit,

Tu seras mon soleil, je te serais ta douce nuit

Dors, ma petite plume,

Dors ma petite étoile,

Ton pilier je serais,

Ma reine tu seras.

Obaldore finit par pleurer silencieusement, en regardant sa tendre petite fille. Il n’avait pas pu dire au revoir à sa femme, et cela lui brisait le coeur. Il essaya de se remémorer le sourire d’Ayleen, son parfum, son rire… Il voulait absolument se rappeler de chaque petit détail afin de mieux l’ancrer en lui. C’était là son cadeau d’adieu envers celle qu’il aimait.

Le sommeil gagna petit à petit Obaldore, et alla s’installer lui aussi contre le flanc du lyncornis. Mésange, dans ses bras, respirait paisiblement. Eliane semblait pour la première fois depuis longtemps, sereine. Sa respiration s’accordait avec le souffle léger du vent. La nuit les protégeait de sa voûte céleste. La voie lactée leur chantait une petite berceuse au creux de l’oreille, une mélodie pleine de nostalgie, qui avait le goût lointain des rêves d’enfant.

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